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Etat espagnol. Elections du 28 avril. Premières réflexions

Avec une participation dépassant le 75 %, le PSOE est le principal vainqueur (avec 28,7 % des suffrages, 123 sièges par rapport aux 85 de 2016) face au Parti populaire (PP), qui est sur le seuil d’une crise irréversible (le parti est passé de 137 sièges à 66, avec 16,7 % des voix ; pour la première fois, il est sans représentation au Pays basque et n’a remporté qu’un siège en Catalogne), à Ciudadanos (C’s) (qui passe de 32 à 57 sièges, avec 15,86 % des suffrages, mais ne réalise pas le sorpasso du PP et recule dans son bastion initial, la Catalogne) et face à Vox (qui entre au Congrès avec 24 sièges et 10,26 % des voix, en deçà toutefois des attentes engendrées par son discours de la Reconquista).

Pedro Sánchez [leader du PSOE et président du gouvernement] est parvenu à canaliser le cri No pasarán au détriment d’Unidas Podemos [coalition de Podemos, d’Izquierda Unida et d’autres formations de gauche] : la coalition est passée de 21,15 % des voix en 2016 à 14,31 %. En outre, à la différence de C’s, elle a été durement frappée par le système électoral, ce qui a conduit à ce que sa représentation parlementaire passe de 71 sièges à 42). Le PSOE a obtenu la majorité absolue au Sénat (où il passe de 43 à 121 sièges) face à une droite qui recule de 130 à 56 ; une droite qui avait traditionnellement dominé cette institution, dont le rôle a été revalorisé à l’occasion de l’application de l’article 155 contre l’autonomie de Catalogne suite aux journées de septembre et d’octobre 2017 [seul le Sénat peut décider de l’application de cet article, raison pour laquelle il a été choisi à la différence de l’état d’urgence ou d’autres dispositions qui nécessitent une majorité qualifiée du Congrès des députés].

La deuxième conclusion qu’il convient de souligner de ces résultats est sans aucun doute la montée d’ERC [Gauche républicaine de Catalogne, dont le leader, Oriol Junqueras, est en prison] :  elle est passée de 9 à 15 sièges, avec 3,89 % des suffrages [à l’échelle de l’État, cela représente une fraction bien plus importante de l’électorat dans les quatre provinces – qui servent de circonscriptions électorales – de Catalogne, où ERC est arrivé en tête dans trois de celles-ci]. Ce faisant, pour la première fois, une force politique indépendantiste est devenue la première force en Catalogne lors d’élections générales. A cela s’ajoute l’ascension de son allié pour les prochaines élections européennes, EH Bildu (qui a doublé son nombre de sièges, de 2 à 4, avec 0,99 % des suffrages [là aussi le suffrage à l’échelle de l’État ne reflète pas la force dans les trois provinces du Pays basque], ce qui confirme le poids plus important des forces de gauche souverainistes et républicaines au prochain Congrès, bien qu’elles ne seront pas décisives pour assurer l’investiture de Sánchez en tant que président du gouvernement.

Le triomphe du PSOE est complété par les résultats que le parti a obtenus lors des élections, le même jour, de la Communauté autonome du Pays valencien : il passe de 23 à 27 sièges et, avec le soutien de Compromís (17) et de Podemos (8), obtient une majorité suffisante pour former un gouvernement face aux trois partis droites (qui totalisent 47 sièges).

Ce nouveau scénario représente une grave déroute pour le PP et, surtout, pour son leader Pablo Casado, dont la radicalisation du discours afin de concurrencer Vox n’a pas apporté les fruits désirés et, en revanche, ouvre aujourd’hui une crise interne aux conséquences incalculables à moins d’un mois des élections municipales, de la majorité des communautés autonomes [dans 12 des 17 communautés autonomes] et des européennes du 26 mai. Les démissions et la fugue vers Ciudadanos dans les prochains jours ne sont pas à écarter, suivant ainsi le chemin tracé par Ángel Garrido, l’ancien président PP de la Communauté de Madrid, une région où C’s a réalisé le sorpasso du PP.

Le nouveau rapport de forces au Congrès des députés autorise Sánchez a obtenir l’investiture en cumulant les suffrages du PSOE avec ceux d’Unidas Podemos [aujourd’hui, 1er mai, Pablo Iglesias a toutefois indiqué qu’il n’y a pas de garantie du soutien d’UP sans gouvernement de coalition; il faudra sans aucun doute attendre les élections du 26 mai pour que la situation «se clarifie»], du Parti nationaliste basque (PNV) (qui est passé de 5 à 6 sièges), de Compromís (1) et du Parti régionaliste de Cantabrie (1), si ce n’est en première tentative, en seconde, sans avoir à réaliser des accords avec l’indépendantisme catalan (qui comprend Junts per Catalunya [la coalition de Puigdemont] qui comptera 7 sièges) ni avec C’s.

Cette dernière entrera dans une nouvelle étape, au cours de laquelle son dirigeant, Albert Rivera, a déjà indiqué son aspiration à devenir le chef de l’opposition au gouvernement de Sánchez, avec d’autant plus de raison dans la perspective de prochains rendez-vous électoraux et du nouveau recul du PP à cette occasion. Un virage vers la négociation avec le PSOE de sa part n’est, par conséquent, pas prévisible à court terme. Bien au contraire : il y aura une tentative accrue de gagner des voix parmi les électeurs du PP et de Vox et à forcer le soutien de ces deux partis pour gagner le gouvernement de grandes villes comme Madrid ainsi que dans certaines Communautés autonomes.

Face à un tel panorama, nous assistons à la perpétuation de l’offre faite par Pablo Iglesias – malgré le recul électoral – de faire partie d’un gouvernement de coalition avec le PSOE. Une option que Sánchez ne prendra sans doute pas en considération mais, si elle devait devenir réalité, signifierait, au vu des rapports de forces inégaux entre les deux formations, se diriger vers un rôle stratégique subalterne face à un parti dont les axes programmatiques en réponse aux principales fractures – sociales, nationale-territoriale et politico-institutionnelle – qui traversent la société obligent à considérer ce parti comme étant un pilier fondamental de ce régime – contre lequel est né Podemos – ainsi que comme fidèle serviteur de l’Ibex 35 [l’indice boursier espagnol] et la troïka néolibérale.

Une telle orientation, au cœur de la nouvelle campagne électorale qui va rapidement s’engager, ne servira en rien à regagner cette fraction de l’électorat qui a choisi, dimanche 28 avril, de voter pour le PSOE ou d’autres formations sur sa gauche; bien au contraire. Une position cohérente devrait se limiter à un soutien à l’investiture de Sánchez au Parlement ainsi qu’à une réaffirmation de l’autonomie stratégique d’un projet ouvertement disposé à s’affronter aux droites et, surtout, au vu de la menace de pénétration de Vox dans certaines couches populaires, porter un programme alternatif qui, dès le début, soit à même de contraindre le PSOE, cherchant la convergence avec les mobilisations sociales et une prise en charge par la population de revendications urgentes dans les domaines sociaux, féministes, écologistes, antiracistes ainsi que pour ce qui touche à la défense des libertés et à la question nationale-territoriale. Ce dernier point, inévitable dans une réalité plurinationale qui se manifeste à nouveau avec force et face à laquelle le PSOE de Sánchez continue de céder aux pressions de la droite et des barons du PSOE, parvenant y compris à esquiver de son programme électoral sa proposition fédéraliste, déjà modérée, et faisant l’oreille sourde devant la clameur majoritaire en Catalogne contre le procès farce qui se déroule à la Cour suprême (n’oublions pas que cinq représentants élus d’ERC et de Junts per Catalunya sont en prison) et en faveur d’une sortie dialoguée passant par un référendum sur l’avenir de la Catalogne.

La présence d’une diversité de candidatures d’unité populaire dans les villes, villages et Communauté autonome lors des élections du prochain 26 mai doit être une opportunité pour chercher à un enracinement social majeur dans les quartiers et les lieux de travail aidant à cheminer en direction d’un processus de recomposition d’une gauche qui, coïncidant avec le huitième anniversaire du mouvement des indignés du 15 mai 2011, revendique à nouveau l’esprit d’indignation qui l’a vu naître, maintenant un horizon destituant et de rupture.

Jaime Pastor. Publié le 29 avril 2019 sur le site VientoSur.info. Traduction A L’Encontre.