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Elections locales en Turquie : un camouflet inédit pour le régime

Les élections pour renouveler l’ensemble des collectivités locales en Turquie ont eu lieu le 31 mars 2024. Il s’agit d’un scrutin multiple. Chaque électeur/trice est appellé-e à voter plusieurs fois : pour son muhtar (élu à l’échelle du quartier ou du village en zone rurale), le/la maire, le conseil municipal et, dans le cas des « municipalités métropolitaines », pour le maire métropolitain, et pour les départements sans « municipalité métropolitaine » des conseils départementaux (qui ont assez peu d’importance en Turquie).

Deux précisions doivent donc être faites :

1) Les « municipalités métropolitaines » correspondent à peu près au statut de Paris en France, d’une part, en regroupant  municipalité et département en une seule institution et, d’autre part, en étant subdivisées sous forme d’arrondissements (39 à Istanbul dont la population s’étage à Istanbul entre 16 milles et 1 million d’habitants).  Les membres du conseil de la métropole sont élus dans les arrondissements (comme pour Paris, Lyon et Marseille). Il existe 30 municipalités métropolitaines en Turquie dont la population varie entre 750 milles habitants (Erzurum) à 16 millions (Istanbul)… Ces 30 métropoles représentent plus du ¾ de la population totale

2) L’élection du maire se fait au suffrage direct uninominal à un tour et celui du conseil municipal à la proportionnelle. Ainsi, il arrive régulièrement que le maire élu doivent cohabiter avec un conseil municipal qui lui est hostile en majorité.

Enfin, il ne faut jamais perdre de vu le caractère colonial et répressif envers les kurdes. Lors des deux dernières élections locales, la quasi-totalité des maires du mouvement kurde (DBP/HDP) ont été emprisonnés et les localités mises sous tutelle. En outre, les élections dans ces localités font l’objet de mesures de répression ou de manipulation spécifiques, ce qui a été encore le cas en 2024.

Au regard du dispositif institutionnel, il est possible d’analyser les résultats des élections à partir de plusieurs indicateurs : maires élus, scores aux conseils municipaux et départementaux, nombre total de voix… Or, quel que soit l’indicateur retenu, le résultat est sans appel : il s’agit d’une véritable claque pour l’AKP (Parti de la Justice et du Développement, conservateur, nationaliste, capitaliste) du président Erdogan et, dans une certaine mesure, pour son partenaire ultranationaliste du MHP (Parti de l’Action Nationaliste, ultranationaliste).

Si on regarde les votes pour les conseils départementaux et métropolitains en nombre de voix, l’évolution entre les élections locales de 2019 et 2024 (voir carte en illustration) ainsi que l’élection parlementaire de 2023 se présente ainsi :

Voix

Locales 2019

Parlementaire 2023*

Locales 2024

24/19

24/23

AKP

19.757.312

18.586.137

14.850.472

    4.906.840

– 3.735.665

MHP

3.754.810

5.283.345

3.015.476

        739.334

– 2.267.869

AKP+MHP

23.512.122

23.869.482

17.865.948

    5.646.174

– 6.003.534

CHP

13.216.998

13.374.463

15.785.662

      +2.568.664

+ 2.411.199

Iyi

3.375.335

5.211.632

1.956.149

    1.419.186

– 3.255.483

HDP/DEM

2.702.231

4.624.094

2.644.692

          57.539

– 1.979.402

YRP

1.505.736

3.189.913

    +  3.189.913

+ 1.684.177

Saadet

1.312.519

557.121

        755.398

ZP

1.198.647

1.100.294

    +  1.100.294

      98.353

Autres

2.312.541

2.844.128

2.946.322

+ 633.781

+ 102.194

Total suffrages valables

46.431.746

52.628.182

46.046.101

        385.645

– 6.582.081

*Pour 2023, uniquement vote à l’intérieur du pays

Ainsi, en 10 mois, l’AKP et le MHP ont perdu 6 millions d’électeurs. Pourtant, R.T.Erdogan avait annoncé le soir même de sa réélection comme président son prochain objectif : la reconquête des municipalités perdues en 2019, en particulier Istanbul dont il a été maire. Il pouvait être raisonnablement optimiste puisqu’il avait déjoué une première fois les analyses le considérant comme perdant lors des élections générales et qu’avec le souffle de la défaite, la principale coalition d’opposition avait explosé. Cette coalition composée principalement du CHP (Parti de la République et du Peuple, centre gauche « laïc » nationaliste) et du Iyi (Bon Parti, droite issue de l’ultranationalisme) n’avait pas résisté à la politique de la « terre brulée » du Iyi rompant tout accord avec le CHP et oscillant dans son degré d’opposition à l’AKP. De son côté, de manière légitime et face à la faible ouverture du CHP, le mouvement kurde présentait ses à la mairie dans les grandes villes de l’Ouest (au contraire de 2019).

Pourtant, le résultat du 31 mars a été le plus gros revers de l’histoire du parti présidentiel qui a perdu, symboliquement, la première place en termes de voix à l’échelle du pays au profit du CHP, qui lui enregistre un succès historique. A l’échelle des localités, les résultats sont très durs pour les deux principaux partis de la coalition au pouvoir (allié dans un grand nombre de municipalités mais concurrents dans ce qui est considéré comme des bastions du régime ou des localités ingagnables). Les 5 plus grandes métropoles du pays (Istanbul, Ankara, Izmir, Bursa, Antalya), qui représentent à elles seules plus du tiers de la population totale, sont désormais dirigées par le CHP. Sur les 10 plus grandes, l’AKP n’en conserve que 3.

A Istanbul, le maire CHP sortant, Ekrem Imamoglu, a facilement gagné avec 51% et 12 points d’avance sur son terne adversaire bureaucrate de l’AKP. Il est non seulement réélu maire mais, de plus, le CHP remporte 26 arrondissements sur 39 lui assurant une confortable majorité au Conseil de la métropole alors qu’il était confronté, jusque-là, il devait cohabiter avec une majorité AKP hostile. Le CHP remporte les arrondissements d’Üsküdar (détenu par l’islam politique Fazilet puis AKP depuis 30 ans) et de Beyoglu où Erdogan avait pris ses premiers galons.

Ekrem Imamoglu, homme fort du CHP depuis que son allié Özgür Özel a été élu président du parti au dernier congrès en délogeant le président sortant K.Kiliçdaroglu (une première en 100 ans dans l’histoire de ce parti), est plus que jamais « l’alternative » pour concurrencer R.T.Erdogan. Son discours de victoire a comme, à chaque fois, cherché à ressembler sur un terrain démocrate l’ensemble des composantes de la société en nommant chaque minorité. S’il a un profil éclectique et, au fond, libéral en matière économique, il est à noter qu’il s’est toujours garder de critiquer le DEM (parti du mouvement national kurde, continuité du HDP) et a régulièrement dénoncé la répression dont celui-ci a fait l’objet. Son allié Ö.Özel a également abordé ce sujet dans son discours hier soir.

A Ankara, le résultat est carrément une humiliation pour l’AKP avec 60% pour le maire sortant CHP (l’ex ultranationaliste Mansur Yavas) contre 31% pour son challenger erdoganiste, un affairiste caricatural. Là aussi, le CHP remporte la majorité des arrondissements et le conseil métropolitain au contraire de 2019.

A Bursa, seule métropole du top 5 qui échappait au CHP, l’AKP-MHP (qui se présentaient ensemble) connaissent une chute entre 10-14 points selon l’indicateur retenu profitant en partie au CHP et, en partie, à des partis d’opposition sur sa droite.

La soirée électorale fut en grande partie une accumulation de succès, pour nombre d’eux inattendus, pour le CHP. Il serait trop long de tous les citer. Toutefois, il est possible, d’en retenir quelques-uns qui donnent l’ampleur du bouleversement.

A Manisa (1,5 millions d’habitants, ouest anatolien) où le CHP n’avait jamais gagné la mairie depuis 1950 et qui était détenue par le MHP depuis 2009, le CHP balaye le MHP-AKP avec 57% contre 30% au poste de maire et en progressant de 19 points au conseil. Dans l’arrondissement minier de Soma, où un terrible coup de grisou avait entrainé la mort de 301 mineurs il y a 10 ans, le CHP écrase l’AKP au pouvoir avec 58% en doublant son score…

Dans la région de la mer noire occidentale, les évolutions sont tout aussi spectaculaires et… surprenantes. Par exemple, pour le petit chef-lieu de Bartin, considéré comme une forteresse du régime, le CHP gagne facilement le scrutin en doublant son score et en obtenant plus de 50% des voix alors même que le MHP et l’AKP avaient les 2/3 des votes en 2019.

Autre cas, encore plus spectaculaire, la ville d’Adiyaman (Anatolie du sud) où le CHP avait laissé son partenaire de droite Iyi se présenter lors des dernières locales (avec un score de 12%), puis a obtenu 22% à l’élection parlementaire de 2023… pour doubler son score et gagner largement le 31 mars 2024 (précisons que le candidat CHP n’est pas transfuge d’un autre parti).

Si l’AKP et le MHP sont les grands perdants de la soirée, ce qu’a admis R.T.Erdogan dans un discours assez terne, il en existe d’autres. Le premier est le Iyi qui est globalement balayé lors de ce scrutin avec 3,8% et un seul chef-lieu (et encore il s’agit d’un maire sortant AKP qui a changé d’affiliation lorsque son parti ne l’a pas mis candidat). Sa tactique de se présenter quasi systématiquement « seul » et prendre le risque d’offrir des postes de maires à l’AKP à la faveur de la division a été très mal vécue par une grande partie de son électorat. La crise qui couvait en son sein a éclaté dès hier soir. S’étant constituée pour être un parti de centre-droit d’opposition à l’AKP, il n’a jamais trouvé sa place. Les autres perdants sont tous les petits partis de droite (Saadet, DEVA, GP) auquel le CHP de K.Kiliçdaroglu avait donné une place disproportionnée lors des élections générales avec l’objectif d’attirer un électorat conservateur. Ces partis sont généralement en dessous de 1%. C’est l’idée même du type d’alliance réalisée par K.Kiliçdaroglu en 2023 qui prend du plomb dans l’aile : une alliance essentiellement oppositionnelle paralysée par des négociations internes interminables et pas en mesure d’avoir des propositions au-delà de la lutte contre la corruption.

Si le CHP est le grand gagnant de la soirée, il n’est pas le seul. Le DEM a montré une nouvelle fois l’impressionnante résilience du mouvement national kurde. Alors même que ces dix dernières années être un élu local signifiait pour ce mouvement aller en prison, il a réussi à présenter des équipes qui ont engrangé plus de victoires qu’en 2019 malgré la répression et la tutelle imposée par l’Etat central à leurs localités. Le DEM a gagné par rapport à 2019 les chefs lieu de Mus et Agri face à l’AKP et Tunceli/Dersim face au CHP (dans une tout autre configuration). Ces résultats auraient été meilleurs si le régime n’avait pas déplacé des fonctionnaires et des soldats dans certains chefs-lieux moins peuplés (Bitlis, Sirnak, Kars) au Kurdistan pour y faire la différence en faveur de l’AKP. Le DEM estime à 20.000 ces électeurs occasionnels. Au demeurant, quand on regarde à l’échelle des départements dans leur globalité (score au conseil départemental), le DEM gagne tout le Kurdistan y compris là où elle n’a pas emporté le chef-lieu.

L’autre grand gagnant de la soirée est le YRP (Yeni Refah Partisi, Parti de la Nouvelle Prospérité) dirigé par Fatih Erbakan, le fils de feu Necmettin Erbakan, fondateur du mouvement Milli Görüs (Vision Nationale) dont les premiers partis de l’islam politique de Turquie (MSP, Refah, Fazilet) ont été l’avatar au gré des interdictions politiques. Le père Erbakan a été le chef du jeune dirigeant Erdogan avant que celui-ci ne prenne son indépendance avec les « rénovateurs » du parti et conquiert le pouvoir avec l’AKP.  Après avoir gagné 4 députés à la faveur d’un accord parlementaire avec l’AKP, le YRP s’est présenté de manière indépendante quasiment partout et a réussi une percée en atteignant 6% ou 7% des voix selon l’indicateur retenu. Le YRP a même remporté l’une des 10 plus grandes métropoles du pays SanliUrfa (2,1 millions d’habitants, sud frontière du Kurdistan) et le chef-lieu bastion conservateur de Yozgat (Anatolie centrale) contre l’AKP grâce à des transfuges venus de ce parti même si ces maires n’ont pas obtenu de majorité à leurs conseils municipaux. Si ce genre de victoire est due à des politiciens bien implantés, la progression du YRP est globale et ce parti atteint des scores significatifs par sa seule force. Avec sa plateforme très conservatrice (rappelons que son programme prévoit la suppression même du délit de violence conjugale), le YRP apparaît comme un concurrent sur « sa droite » à l’AKP capable de capter l’intérêt d’un électorat conservateur malheureux de la crise économique, de la corruption de l’AKP et, pour les plus politisés, de son hypocrisie en ce qui concerne la Palestine (des discours et des prières pour Gaza mais aucune interdiction d’exportation vers Israël, y compris de matériel militaire).

Dans une moindre mesure, les ultranationalistes du ZP (Parti de la Victoire) spécialisés dans le discours de haine anti syrien en plus de la haine anti kurde se maintiennent au tour de 2% sans toutefois réussir de percée.

Enfin, les différents partis de gauche marxiste se présentaient également hors Kurdistan de manière dispersée dans un scrutin qui ne leur est généralement pas favorable et n’ont pas obtenus des résultats élevés. Ces partis ont été impacté par la vague CHP et handicapé par leur division là ou une victoire aurait pu être possible face au CHP (ces partis sont surtout forts là où les oppositions sont hégémoniques). Notons tout de même la victoire du TIP (Parti des Travailleurs de Turquie, marxiste) dans l’arrondissement arabophone de Samandag (Suwadiyah en arabe, 100 milles habitants) du département de Hatay à la frontière syrienne.

La question qui s’impose est « Pourquoi un tel revers pour l’AKP moins d’un an après son succès lors des élections générales ? ». Il est évidemment tôt pour avoir une analyse fine de ces résultats, néanmoins certaines observations peuvent être réalisées.

Au fond, l’électorat de l’AKP et MHP semble avoir connu une érosion dans 2 sens en moins d’un an :

  • La première est l’abstention. En effet, l’abstention globale a augmenté : la participation n’a été « que » de 77% contre 84% en 2019 (et 86% aux élections générales de 2023). Ces taux de participation peuvent laisser songeur en France mais pour un pays hyper politisé comme la Turquie, où les élections constituent un moment social très important et où toutes les collectivités locales sont renouvelées en même temps, 77% est assez faible. Cette évolution semble tenir principalement aux électorats de l’AKP et du MHP.
  • La deuxième est le YRP, devenue la valeur refuge de la contestation conservatrice sans prendre le risque d’un quelconque « progressisme » social du CHP.

Tandis qu’entre temps le vote d’opposition se concentrait en grande partie sur le CHP absorbant la majorité de l’énorme recul du Iyi et récupérant le vote des kurdes de l’Ouest (hors Kurdistan) comme le prouve le très faible score obtenu par le DEM à Istanbul (2%) bien en dessous de son potentiel (8,2% en 2023).

Plusieurs pistes peuvent être abordées pour expliquer la désaffection des électeurs de l’AKP et le renforcement des oppositions. La première est, bien entendu, une crise économique qui n’en finit pas et entraîne un appauvrissement de la population. Toutefois, les effets de cette crise ne vont pas en s’accumulant de manière linéaire depuis les élections générales de 2023. Jusqu’aux élections de 2023, R.T.Erdogan avait tout indexé sur la victoire politique et avait dévéloppé les « erdoganomics » qui n’étaient  qu’une accumulation de mesures sociales ponctuels contra cycliques, en somme des expédients, et une politique de taux d’intérêt artificiellement maintenus bas. Cette politique, dénoncée par tous les économistes libéraux, permettait de soulager la vie quotidienne mais ruinait les réserves en devises de la Banque centrale et n’était pas viable à long terme. La désignation de Mehmet Simsek, l’homme de confiance de la finance internationale, aux finances et de Hafize Gaye Erkan (une ex de GoldmanSachs et FirstRepublic) à la Banque Centrale  (jusqu’à sa démission en février 2024) signifiait un retour à un libéralisme orthodoxe.

Une concrétisation de cette nouvelle situation économique est l’évolution des pensions de retraites dans un contexte de très forte inflation (65% sur un an selon les chiffres officiels, 122% selon le collectif de chercheurs indépendants ENA). A trois semaines des élections locales, R.T.Erdogan a été ainsi obligé de déclarer que même si tous les investissements publics étaient stoppés, il serait impossible de financer une réévaluation des retraites au niveau de l’inflation et qu’il valait mieux attendre la baisse de l’inflation (espéré au second semestre) pour mener une politique de revalorisation… cela alors même que les retraités constituent une part très importante de son électorat et connaissent un appauvrissement significatif.

L’absence d’amélioration dans la vie quotidienne de la grande majorité de la population rend d’autant plus insupportable la corruption et le népotisme de l’Etat-AKP-MHP dont les exemples sont innombrables des ministres au plus petit responsable local : des contrats publics obtenus dans un système de corruption permanent, de l’obtention d’emploi public uniquement par proximité partisane, à des enfants de responsables esquivant les résultats de concours publics, l’hypocrisie de la mise en avant de vertus morales tout en étalant une richesse de parvenus etc… Cela rend également insupportable le refus même d’appliquer la loi quand cela arrange le régime et un arbitraire toujours présent.

Enfin, le régime ne parvient définitivement plus à porter un quelconque horizon souhaitable et tourne en boucle tel un disque rayé sur « les dangers des terroristes », les « valeurs familiales en danger », « l’unité de la nation ». R.T.Erdogan avait réussi à jouer des peurs sur ces thèmes tout en sauvant les meubles socialement à coup d’expédients, lors d’un scrutin plus difficilement dramatisable puisque locale et à mesure que la situation sociale ne s’améliore pas, cette recette n’a pas marché.

Pour autant, est-ce que les jours du régime erdoganiste sont-ils définitivement comptés ? L’échec des oppositions en 2023 invite évidemment à la prudence mais, plus que jamais, la principale force qui peut empêcher la chute d’Erdogan n’est pas Erdogan lui-même mais le potentiel élevé d’ineptie politique du CHP. Le soir du scrutin, la plupart des commentateurs ont évoqué le précédent des élections locales de 1989 lors desquelles le SHP (Parti Social-Démocrate Populaire, ancêtre de l’actuel CHP) avait connu un succès historique. Il était également rappelé que cette vague avait été suivi d’un important reflux avec des expériences municipales plus ou moins désastreuses marquées par des affaires de corruption (notamment à Istanbul) entraînant un échec lors des élections générales suivantes. Ce risque existe toujours bien entendu. Il suffit de songer au fait que le CHP a présenté malgré toutes les critiques une figure aussi contestée pour corruption que le maire sortant Lütfü Savas à Hatay, finalement battu par l’AKP malgré la vague CHP dans le reste du pays.  Mais il en existe un autre plus important et structurel : celui du racisme anti-kurde (et anti-syrien)inhérent à de larges pans du CHP.

Ainsi, la candidate du CHP à Afyon Karahisar (Anatolie occidentale) a déclaré avant son élection que si elle gagnait sa mairie serait à ouvert à tou-te-s sauf aux représentants du DEM créant une mini crise au sein du CHP… Or, à la surprise générale, cette candidate a remporté la victoire et est désormais une maire… hostile au DEM. Certes, le président du CHP, Ö.Özel a dénoncé les injustices subies par le DEM lors de ce scrutin. Certes, Ekrem Imamoglu a fait de même, évoque souvent la nécessité de considérer de manière fraternelle les kurdes de Turquie et a publiquement dit qu’il serait insensé de considérer le DEM et ses millions d’électeurs comme des « terroristes »… Mais tout cela reste des propos fragiles au regard d’un appareil lourd qui a une longue tradition de nier, si ce n’est repousser, les aspirations des kurdes de Turquie.

Au final, le contraste est saisissant avec le voisin russe et ses élections sans suspense, alors même que les profils politiques de V.Poutine et R.T.Erdogan font l’objet de rapprochements (souvent à juste titre). La société de Turquie a prouvé une nouvelle fois que, tout en étant structuré par les contradictions du colonialisme et du racisme envers les kurdes, elle est profondément marquée par une culture démocratique minimale mais solide. Minimale parce que centrée quasi uniquement autour des élections et pouvant supporter qu’une partie du pays soit privée de sa représentation locale (les tutelles au Kurdistan). Solide parce que le vote, et plus largement la politique, est, malgré tout, considéré comme un enjeu important déterminant le cours de la société. Il s’agit d’un terrain sur lequel bâtir pour la démocratisation et les droits sociaux dans une perspective de classe.

Emre Öngün