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Débattre pour construire ensemble, à propos d’un texte d’Éric Coquerel

Dans un long article posté sur sa page Facebook, De quelques enseignements en cours d’été et de l’écosocialisme en particulier1, Éric Coquerel revient sur l’échec de LFI aux européennes et donne quelques pistes pour rebondir. Ce texte, hélas peu diffusé, est bien argumenté et évite les invectives. Il permet donc d’avoir une discussion sérieuse.

Les raisons de l’échec de LFI

Éric évacue à juste titre des raisons liées à la campagne elle-même. On peut certes toujours critiquer tel ou tel aspect d’une campagne électorale, mais, sauf erreur politique majeure, un résultat électoral n’est pas simplement dû à la campagne elle-même. Ainsi, tous les commentateurs ont loué la campagne de Ian Brossat, et effectivement il l’a plutôt réussie, cela ne l’a pas empêché de finir à 2,5 %, résultat maintenant traditionnel du PCF à une élection nationale.

Quatre autres explications sont avancées, toutes exogènes à LFI, les erreurs de LFI étant simplement évoquées dans le texte au détour d’une phrase sans que l’on en sache plus. Regrettable « oubli »… La première explication renvoie au fait que le recul de LFI ne serait que l’épisode français d’un recul général. Ainsi, nous dit-il, « notre espace politique régresse, ou au mieux, se maintient quelle que soit sa stratégie ou sa tactique ». On pourrait discuter cette affirmation au cas par cas, pays par pays, mais prenons-en acte pour l’intérêt de la discussion.

Une première question est de savoir pourquoi LFI régresse très fortement et n’arrive pas à se maintenir comme d’autres, Éric lui-même reconnaissant que d’autres formations se sont maintenues. Pas de réponse à cette question. Mais surtout, LFI avait justement comme ambition de sortir de l’espace politique de la gauche radicale, voulant rompre avec l’idée même de gauche. Or, Éric donne comme explication à l’échec de LFI un recul général de la gauche radicale… dont LFI ne voulait plus faire partie. Éric, avec cette explication, sonne le glas du projet originel de LFI.

La deuxième explication renvoie à la nature de l’élection au Parlement européen, une « élection sans teint » caractérisée par une abstention massive. En résumé, l’électorat de LFI ne serait pas déplacé. Mais outre que la participation électorale a augmenté de façon significative, pourquoi alors l’abstention n’a pas pénalisé aussi le RN ? Réponse d’Éric, l’électorat RN « a été galvanisé par l’objectif de passer devant la liste supportant Emmanuel Macron ». Certes, mais pourquoi ce n’est pas LFI qui a profité de l’effet « référendum anti-Macron » alors même que LFI en avait fait son orientation pour cette élection et que, au sortir de l’élection présidentielle, LFI apparaissait comme la force d’opposition dominante à Emmanuel Macron. Que s’est-il passé entre l’élection présidentielle et cette élection et pourquoi LFI s’est retrouvé entre 7 et 9 % dans les sondages ?

La troisième explication tient pour Éric aux défaites subies par le mouvement social. Disons-le franchement, son explication est assez embrouillée. Il admet que des défaites sociales puissent aboutir à des victoires politiques. Il donne ainsi l’exemple de la défaite de Sarkozy à la présidentielle de 2012 suite à l’échec du mouvement social sur les retraites de 2010. Il aurait pu aussi prendre le cas de l’Espagne où le succès de Podemos se fait sur l’échec du 15M. La raison en est assez évidente : bloqué sur le plan social, le mouvement populaire essaye de trouver une issue politique sur le plan électoral. Pourquoi cela n’a pas été le cas après le mouvement des gilets jaunes et alors même que la politique d’Emmanuel Macron reste rejetée par une forte majorité ? Éric parle « d’enchainement de défaites » du mouvement social. Certes, mais la question est de savoir si cet « enchainement de défaites » a entrainé une adhésion au projet macroniste, ce qui serait alors l’explication. La réponse est non. Que ces défaites rendent de plus en plus difficiles les mobilisations sociales, c’est une évidence ; qu’elles soient à l’origine de l’échec de LFI, pour le moins la démonstration n’est pas faite.

Quatrième raison, les attaques subies par LFI : « Ces deux dernières années auront été marquées par des attaques répétitives contre nous […] ces attaques ont particulièrement atteint leur but chez une partie de l’opinion publique ». Sans entrer ici dans un débat sans fin sur un certain nombre d’épisodes qui ont effectivement marqué l’opinion, l’argument se retourne assez facilement. Comment s’étonner d’être attaqué par nos adversaires ? Comment penser que ces derniers allaient nous faire des cadeaux ? On ne leur en fait pas, ils ne nous en font pas. Il fallait donc être d’autant plus irréprochables, sachant justement que LFI allait subir des attaques.

Il se dégage de l’analyse d’Éric un parfum gênant de déterminisme. Le passage en deux ans de près de 20 % à l’élection présidentielle à moins de 7 % à celle du Parlement européen est ainsi analysé comme quasi inévitable, relevant de causes objectives sur lesquelles LFI n’auraient pas de prise. Cette analyse est d’autant plus problématique qu’elle ne permet pas de comprendre pourquoi, comme il le constate, une partie de l’électorat qui avait voté pour Jean-Luc Mélenchon en 2017 ne l’a pas soutenu en 2019.

Il parle à ce propos de « classes intermédiaires ». Le vocable est malheureux car il ne permet pas de caractériser politiquement cet électorat. Le résultat de 2017 venait de l’addition de deux électorats : celui du Front de gauche et d’une partie de l’électorat qui avait voté François Hollande en 2012 (environ 25 %). C’est donc un électorat de gauche qui a fait le succès de Jean-Luc Mélenchon. Ce succès a été permis par la très bonne campagne du candidat et par le fait que, la candidature de Benoit Hamon s’écroulant, Jean-Luc Mélenchon est apparu en situation d’être au second tour et donc de gagner. Il a été ainsi le vote utile à gauche. Or, les législatives du mois de juin 2017 ont montré la fragilité de ce résultat puisque LFI n’a fait que 11 % et s’est trouvée être la force politique de loin la plus désertée par rapport à l’élection présidentielle : elle a perdu, selon les enquêtes d’opinion, environ 60 % de son électorat. Cela aurait dû alerter sur la fragilité du vote pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle.

Lors de l’élection européenne, 20 % de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon de 2017 s’est porté sur EELV. L’explication proposée dédouane là aussi LFI de toute responsabilité. Ainsi est-il affirmé « Force est de constater que le temps long avantage encore EELV, parti historique de l’écologie, quand la question climatique domine bien normalement les débats ». Et d’ajouter « Sans doute ces classes intermédiaires, dans la période instable que nous vivons, vont au plus fort ». Or, EELV était à l’agonie à la sortie de l’élection présidentielle et c’est au contraire LFI qui avait le vent en poupe. Si, comme les dirigeants de LFI ont l’habitude de l’affirmer « la force va à la force », pourquoi alors LFI s’est montré incapable de garder cet électorat ? Le fait que la question climatique domine les débats ne suffit pas à comprendre le vote d’une partie de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon de 2017 pour EELV, car ce qui a fait une des forces de LFI a été justement sa capacité à mettre la question écologique au cœur de son projet. Éric avance que cet électorat n’a pas voté pour LFI parce que ce mouvement est trop radical. Mais alors pourquoi a-t-il voté pour Jean-Luc Mélenchon en 2017 ? Pourquoi n’a-t-il pas fait un « vote de confort », pour reprendre l’expression d’Éric, pour Benoit Hamont par exemple. Et pourquoi s’est-il dirigé vers EELV qui portait une radicalité certaine sur le terrain écologique et non vers le PS ? Autant de questions sans réponses.

Pour conclure sur cette partie, pour bien argumentée qu’elle soit, l’analyse présentée sur les raisons de l’échec de LFI laisse sur sa faim. A ne pas vouloir traiter, même a minima, les questions d’orientation politique, on se condamne à tenir un discours objectiviste. Or, outre qu’un tel discours, on l’a vu, n’explique pas grand-chose, il est en fait totalement désespérant car sans issue possible. Si rien dépend de LFI, à quoi peut servir cette dernière ?

Et maintenant ?

Il est toujours difficile de se mettre d’accord sur un bilan. Pas étonnant donc que celui d’Éric pose problème, ce d’autant plus qu’évoquant le Front de gauche, il réécrit l’histoire à propos des adhésions individuelles. Je me permets un témoignage personnel puisque j’étais à l’époque membre de la coordination nationale du Front de gauche. Lorsqu’avait été évoqué cette question, et elle l’a été à plusieurs reprises, le PCF avait systématiquement botté en touche et le PG s’y était également fortement opposé. Lors du meeting qui clôturait l’université d’été, « les Estivales », du Front de gauche en 2012, Jean-Luc Mélenchon s’en était même pris vertement à Evelyne Sire-Marin, qui, dans son intervention, avait fait cette proposition. Ceci étant rappelé, l’essentiel est de se mettre d’accord sur ce qu’il faut faire.

Éric reprend la perspective de Fédération populaire avancée par Jean-Luc Mélenchon et part d’un constat : « à 6,5 %, LFI ne peut prétendre incarner seule cet espace fédérateur comme elle aurait pu le faire à 19 % ». Ce constat est décisif, car il signifie que la Fédération populaire ne peut être un simple élargissement de LFI. Nous sommes passés d’une situation où LFI se voyait hégémonique et pensait pouvoir être capable d’agréger autour d’elle la mobilisation citoyenne et des courants politiques, à une situation où LFI ne sera qu’une composante, certes importante, dans un regroupement plus vaste qui, s’il veut exister, ne pourra être que pluraliste et démocratique. Il s’agit donc d’envisager un véritable « big bang » pour reprendre le titre d’un appel qu’Éric critique tout en admettant que son objectif est similaire à celui de la Fédération populaire.

La question qui se pose est de savoir comment y arriver. Des campagnes communes, comme ADP par exemple, peuvent y aider, mais cela ne sera pas suffisant. La construction d’un simple cartel d’organisations ne peut suffire et peut même être contreproductive s’il ne s’accompagne pas d’une irruption citoyenne et de la participation, sinon des mouvements sociaux en tant que tels, mais au moins de leurs animateurs. De plus, aucune organisation, y compris LFI, n’a la légitimité politique pour lancer un tel processus. C’est ici que l’appel « Big bang » peut trouver sa fonctionnalité par le fait qu’il rassemble des responsables d’organisations politiques, de mouvements sociaux, des syndicalistes, des intellectuels, etc. La tactique du « un pied dedans, un pieds dehors », qu’Éric reproche à Clémentine Autain par rapport à LFI, devrait être celle de toutes et tous si l’on prend au sérieux la perspective d’une Fédération populaire. Car, sinon comment éviter que celle-ci ne se réduise à un simple cartel qui reproduira les impasses du Front de gauche. Intégrer et dépasser les organisations politiques existantes par une irruption citoyenne suppose que les militant.es de ces organisations soient capables aussi de dépasser, sans la nier, leur appartenance politique. Peu réaliste diront certains, mais pourtant indispensable.

Quoi qu’il en soit, les municipales seront un test grandeur nature de la volonté, ou pas, d’avancer vers l’idée de Fédération populaire, quelle que soit l’appellation que l’on donne à ce processus. Nous verrons rapidement si, au-delà des déclarations d’intention toujours vertueuses, les sectarismes traditionnels seront, ou pas, encore de mise.

Gauche, populisme et écosocialisme

Le débat « gauche ou populisme » est récurrent depuis quelque temps et a connu un nouveau développement avec l’échec de LFI aux européennes, certain.es attribuant cet échec au fait que LFI n’a pas été assez populiste. Éric se démarque nettement de ce type de problématique qui vise à réduire le débat stratégique à la question « s’adresse-t-on en priorité au peuple de gauche ou au peuple dans son ensemble ? ». Comme il le dit, débat biaisé. Encore faut-il en préciser les raisons. Il n’a jamais historiquement suffi de rassembler « le peuple de gauche » pour l’emporter à une élection de nature nationale. Cela l’est d’autant moins aujourd’hui que le mot « gauche » a été dévalorisé pour une partie de l’électorat après le quinquennat Hollande et auparavant la politique calamiteuse suivie par tous les gouvernements socialistes depuis « le tournant de la rigueur » de 1983. Il faut donc convaincre évidemment celles et ceux qui spontanément ne se reconnaissent pas dans la gauche. Il faut donc s’adresser à eux.

Mais la question qui se pose est de savoir comment. Un exemple historique célèbre s’impose. En 1981, François Mitterrand, qui n’est pas ma tasse de thé contrairement à certains dirigeants de LFI, a pris au moment de l’élection présidentielle une position courageuse contre la peine de mort alors même que toutes les enquêtes d’opinion indiquaient qu’une très large majorité était en sa faveur. Il a tranquillement expliqué que, si les Français l’élisaient, il abolirait la peine de mort. Que tirer de cet exemple ? François Mitterrand s’est adressé à tout le monde, mais il l’a fait à partir d’une position de gauche et sans concession aux préjugés réactionnaires. La question n’est donc pas de s’adresser à la gauche ou au « peuple », mais de savoir à partir de quelles valeurs on parle. Ce qui s’est passé autour du « Manifeste pour l’accueil des migrants », condamné violemment par les principaux dirigeants de LFI, en est un contre-exemple.

Car la notion de gauche et celle de populisme ne se situent pas au même niveau. La gauche renvoie à une histoire, certes confuse, mais néanmoins porteuse de valeurs : la lutte contre toutes les oppressions et dominations et l’idée d’égaliberté pour reprendre le vocable créé par Balibar. Se dire de gauche, ne dit rien sur la stratégie à mener et n’implique par exemple aucunement une stratégie d’union de la gauche. Historiquement d’ailleurs la gauche a été souvent beaucoup plus divisée qu’unie. À l’inverse, le populisme ne porte en lui aucune valeur. C’est simplement une stratégie réduisant la politique au fait de délimiter « un eux et un nous ». D’où la nécessité de préciser de quel populisme il s’agit. Éric a raison de pointer qu’avec le populisme « À bien des égards c’est encore pire qu’avec le mot gauche, puisqu’il s’agissait dans un cas d’éviter une assimilation avec le PS, et que dans celui-ci, il s’agit de l’éviter avec le fascisme ».

La politique ne peut se réduire simplement à désigner un ennemi. L’espace politique est aussi un espace où se construit du commun à travers notamment l’élaboration de projets politiques. L’opposition « nous/eux » ne peut être féconde que surdéterminée par un projet émancipateur porteur d’un imaginaire social de transformation. Quel peut-il être ? Éric récuse, à juste titre de mon point de vue, le fait que « la République par l’irruption citoyenne qu’est la constituante […] suffirait pour autant à définir le projet alternatif que nous mettons face au capitalisme ». Il dénonce aussi très justement l’idée de remplacer la gauche par l’écologie. Car il y a plusieurs écologies et « l’écologisme ne porte pas naturellement cette dimension anticapitaliste ».

Il propose comme « concept unificateur » l’écosocialisme. Un projet émancipateur n’est pas simplement un programme de mesures concrètes réalisables, totalement indispensable, mais une perspective d’avenir qui suscite l’enthousiasme, permet à l’espérance de naître et de résister aux vents contraires. La formation d’un tel imaginaire ne se décrète évidemment pas. Elle ne peut être qu’une création inédite, le produit de luttes sociales, de victoires, même partielles, d’espoirs qui petit à petit prennent le dessus sur la résignation dessinant ainsi l’horizon d’une société à advenir. Les idées de socialisme et de communisme ne sont pas simplement nées dans la tête de penseurs géniaux, elles ont été aussi les produits des luttes sociales.

L’écosocialisme peut-il remplir cette fonction ? L’avenir le dira. Mais un projet émancipateur ne peut se réduire à l’anticapitalisme. Il doit intégrer la lutte contre toutes les formes de dominations et d’oppressions dont certaines ne sont pas créées par le capitalisme même si ce dernier peut les utiliser. De plus, il faut prendre en compte que l’idée même de socialisme sort très abimée du XXe siècle, non seulement par la conversion de la social-démocratie au néolibéralisme, mais aussi par l’échec du « socialisme réellement existant » qui a transformé le rêve d’une société égalitaire en cauchemar totalitaire.

Pour conclure (provisoirement)

On le voit, les débats ne manquent pas. Ils ne doivent cependant pas empêcher non seulement l’action commune, mais aussi la construction de projets politiques communs. La condition en est clairement exposée par Éric ne plus « importer dans notre espace la conflictualité du “eux et du nous” ». On ne peut que le suivre sur ce terrain.

Pierre Khalfa – juillet 2019.