Le Parti québécois a tenu son congrès de refondation les 9 et 10 novembre dernier. Mais rien n’a été refondé. Ce congrès s’est contenté d’adopter une vague déclaration de principe sur les valeurs du parti. C’est ainsi que la déclaration écarte les considérations stratégiques qui permettraient de tracer la voie de la réalisation de l’indépendance du Québec. Au contraire, à son dernier congrès, Québec solidaire a continué de préciser son orientation indépendantiste et la stratégie qu’il veut mettre de l’avant afin de ne laisser aucun doute sur sa détermination à travailler à faire du Québec un pays et sur sa volonté d’agir rapidement et concrètement pour ce faire.
Aucune réaction sérieuse du Parti québécois à l’électrochoc d’une défaite désastreuse…
La relance du Parti québécois comme parti de l’indépendance du Québec n’aura pas lieu. S’il est devenu un champ de ruines, comme le disait Jacques Parizeau, c’est que ses élites dirigeantes l’ont détruit par des décennies de tergiversations, de dilution de la perspective indépendantiste dans des options qui avaient comme principale caractéristique d’éviter un affrontement assumé avec l’État fédéral canadien. Le Parti québécois passa de la souveraineté-association à la souveraineté partenariat puis à la gouvernance souverainiste. Ces glissements dans l’option se sont accompagnés de reports constants, depuis 1995, de la tenue d’un référendum sur la souveraineté et du refus constant de faire de l’indépendance un enjeu des élections. Voilà la cause principale de la fragmentation du mouvement souverainiste. Définir cette fragmentation comme la cause de l’affaiblissement de l’option indépendantiste dans la population c’est prendre l’effet pour la cause. C’est cette priorité donnée à la conquête du gouvernement provincial par l’élite au pouvoir au sein du PQ qui explique les défections diverses des indépendantistes de ce parti (Jean-Martin Aussant, Martine Ouellet, Catherine Fournier) pour ne parler que des militant-e-s les plus connues.
Le premier octobre 2018 fut pour le PQ une défaite désastreuse. Il a vu sa députation réduite à 9 élu-e-s et son statut passer à celui de troisième opposition derrière Québec solidaire. Certain-e-s militant-e-s ont pu croire que cet électrochoc pousserait le parti à corriger le tir et à faire réellement de l’indépendance l’objectif stratégique de son action. Mais, le Parti québécois a démontré sa totale incapacité à faire un bilan sérieux qui lui aurait permis d’identifier les raisons de son recul historique.
À son congrès de refondation, le PQ s’est contenté d’adopter une déclaration de principe où il affirme la volonté du parti de « tout mettre en oeuvre pour mener le Québec à une indépendance nationale. » La déclaration de principe adoptée par ce congrès se contente de ressasser quelques généralités sur des valeurs partagées par les membres du PQ : liberté, justice et équité, nationalisme et protection de l’environnement. Fort de ces valeurs, le PQ se dit convaincu « que l’indépendance de la nation québécoise est à la fois une nécessité, une destinée et un incontournable rencontre entre notre pragmatisme et nos plus profondes aspirations ». Comme discours creux, on ne peut guère faire mieux.
En fait, ce congrès a démontré la totale incapacité de ce parti d’esquisser, ne fût-ce que sommairement, les axes d’une stratégie de lutte effective pour l’indépendance du Québec au-delà de l’éternelle rengaine du « sortir, parler et convaincre » propre à ce parti. Rien que des principes et des intentions, aucun développement stratégique. La direction péquiste a soutenu qu’il fallait définir le contenu de l’indépendance (le quoi ?) avant de choisir le prochain chef du PQ (le qui ?), mais les voies de la réalisation de ce projet ont été superbement ignorées. L’indépendance du Québec devrait-il être l’enjeu des prochaines élections ou se contentera-t-on de l’orientation de Jean-François Lisée de faire de l’élection le choix « d’un ostie de bon gouvernement » ? Un référendum sur l’indépendance du Québec serait-il tenu dans un premier mandat ? L’appel à une constituante pour permettre au peuple du Québec de s’exprimer sur les institutions d’un Québec indépendant serait-il envisagé ? Quels gestes de rupture seraient appelés à acter un éventuel gouvernement péquiste ? En guise de réponse à toutes ces questions essentielles : un silence total, un vide sidéral.
Pas étonnant que l’exercice ait reçu un si faible écho. Il n’y avait vraiment rien de significatif pour la relance du mouvement indépendantiste à ce congrès. Et c’est bien pourquoi les indépendantistes résolus vont continuer à quitter ce navire en perdition. Ce congrès a fourni une nouvelle démonstration que le PQ ne pouvait être rénové et refondé comme un parti indépendantiste agissant et qu’il était incapable de construire une alternative indépendantiste véritable.
Québec solidaire se définit un profil clairement indépendantiste et place sa détermination à mener la lutte au centre de son action
La proposition adoptée au congrès de Québec solidaire visait à préciser les tâches d’un gouvernement solidaire « dans la période de transition allant de son élection à la réalisation pleine et entière de l’indépendance ». Ces tâches peuvent se résumer comme suit : a) adopter une loi-cadre transitoire de l’État du Québec pour faciliter la mise sur pied d’une assemblée constituante et prévoir les modalités de négociation avec les peuples autochtones pour garantir leur droit à l’autodétermination dans le cadre du processus d’accession à l’indépendance ; b) réaffirmer la légitimité démocratique de notre seul Parlement national ; c) faire en sorte que tous les impôts, taxes et contributions fédéraux payés sur le territoire québécois soient dorénavant perçus par le gouvernement du Québec ; d) respecter le principe de présomption de succession pour les traités existants et se réserver le droit de les renégocier ou de s’en retirer au besoin ; e) promouvoir le projet d’indépendance auprès de nos principaux partenaires internationaux et chercher à garantir la reconnaissance internationale des résultats du processus d’Assemblée constituante ; f) abolir le poste de lieutenant-gouverneur du Québec et le serment d’allégeance au monarque du Canada ; g) sous réserve des négociations avec les Premières Nations et le peuple inuit, revendiquer la continuité de ses frontières terrestres actuelles et les compétences territoriales dans les zones maritimes ; h) faire de la ville de Québec la capitale du nouveau pays ; i) planifier l’intégration des fonctionnaires fédéraux québécois qui le souhaitent à la fonction publique québécoise ; j) offrir le maintien du statut des personnes immigrantes selon les modalités prévues ; k) assurer la continuité des programmes d’assistance aux vétérans des forces canadiennes résidant au Québec ainsi que la continuité des programmes sociaux et des pensions de retraite. [1]
Toutes ces mesures visent à imposer la légitimité du gouvernement du Québec en passant outre à la constitution canadienne qui a été imposée au peuple québécois sans véritable processus démocratique. Comme l’écrit Gabriel Nadeau-Dubois : « Dès notre prise du pouvoir, nous poserons des gestes de rupture avec le fédéral : nous rejetterons les oléoducs, nous mettrons fin à l’immobilisme gouvernemental sur la question des paradis fiscaux et des télécoms. » [2]
L’adoption de ces mesures transitoires est la démonstration de la détermination d’un gouvernement de Québec solidaire de s’engager sur la voie de la réalisation de l’indépendance dès son premier mandat. Continuer d’affirmer que Québec solidaire tergiverse face à l’indépendance s’est faire fi de propositions discutées et largement adoptées par le congrès du ce parti. L’action d’un gouvernement solidaire pour l’indépendance est clairement définie et c’est une élection qui aura donné le mandat pour enclencher le processus.
Pour un approfondissement de la nature de la transition
Au-delà de la définition de la transition comme une période entre la prise du pouvoir du Québec et la réalisation effective de l’indépendance, la transition pourrait se définir comme une situation où le Québec n’est déjà plus sous la totale domination de l’État fédéral et pas encore réellement indépendant.
Le gouvernement du Québec peut bien agir dans le cadre d’une légitimité obtenue par un vote populaire, cette situation sera une protection toute relative, L’État canadien, l’histoire le démontre, ne va pas accepter une indépendance à froid. Les membres de la classe dirigeante canadienne ne vont pas se comporter comme de grands démocrates respectueux de l’expression de la volonté politique du peuple québécois et ils vont tout faire pour tenter de miner le droit à l’autodétermination du Québec, droit qu’ils n’ont jamais reconnu. La seule réponse à cette situation, c’est la force de la mobilisation et de la détermination de la majorité de la population québécoise, qui seule rendra possible l’accession à l’indépendance. Quelles formes d’actions et d’organisations vont pouvoir exprimer cette détermination au-delà d’un simple vote. Ce sont ces questions essentielles qu’on ne peut esquiver.
Des élaborations à développer, des débats à mener.
Donnons quelques exemples :
a. La proposition parle de « promouvoir le projet d’indépendance auprès de nos principaux partenaires internationaux et chercher à garantir la reconnaissance internationale des résultats du processus d’Assemblée constituante ». Fort bien. Mais le problème essentiel à ce niveau est le poids des impérialismes canadien et américain dans la défense de l’équilibre géostratégique existant en Amérique du Nord. Il est en effet illusoire, et l’expérience des rapports du PQ avec les administrations américaines le démontre, de penser la réalisation de l’indépendance sous le parapluie bienveillant de l’empire. Cela ouvre la question des alliances avec les nations opprimées et les couches ouvrières et populaires du Canada et des États-Unis qu’il faudra construire pour casser un possible isolement.
b. Dans ce contexte, poser la question de la défense du projet indépendantiste qu’une fois que cette dernière sera réalisée sous la forme d’une armée, c’est négliger de se questionner sur l’autodéfense du processus transitoire pour l’indépendance dans lequel le peuple québécois sera impliqué.
c. L’exemple grec, nous a démontré comment l’Union européenne a utilisé l’euro pour étrangler le processus de cheminement vers une société plus égalitaire. Comment répondre aux dangers de chantage possible de la Banque du Canada dans une situation de transition ?
d. La présence d’une députation au parlement fédéral en provenance du Québec peut constituer un contre-feu important en termes de légitimité à celle de l’Assemblée nationale. Comment combattre la légitimité des élites fédéralistes qui traverse encore la société québécoise… ?
e. La résistance fédéraliste ne s’exprimera pas seulement dans les institutions politiques, mais également dans les élites économiques, les banques, les grandes entreprises et les sommets technocratiques de l’appareil d’État. La façon de contrer le chantage de ces élites économiques au désinvestissement doit aussi être pensée et organisée…
Ce sont là certaines questions qu’on ne pourra pas esquiver, si on comprend l’ampleur de l’enjeu, à savoir que l’indépendance du Québec est une remise en question de l’intégrité de l’État canadien, et que la lutte pour l’indépendance participe de la remise en question de cet État lui-même. On ne peut si on comprend la réalité subversive que porte cette perspective éviter de comprendre les alliances qu’il faudra nouer et classes ou fractions de classes qu’il faudra mobiliser pour arriver à nos fins.
De nombreux et essentiels débats restent donc encore devant nous.
Bernard Rioux. Publié sur le site de Presse-toi à gauche du Québec.