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14ème congrès de Québec Solidaire : ne pas lâcher la proie pour l’ombre ?

Au sortir du 14ième congrès de QS, beaucoup seront sans doute repartis grandement satisfaits de l’exercice. Tout n’a-t-il pas été rondement mené et les 3 grands thèmes à l’ordre du jour (l’éco-fiscalité, la transition à l’indépendance et la question de l’armée) n’ont-ils pas été réglés avec de larges consensus à la clef ? Donnant même l’impression… d’un Québec solidaire en plein contrôle de lui-même, qui pourrait honnêtement rêver d’un onzième député lors de la partielle dans Jean Talon, et pourquoi pas marcher vers le pouvoir à la prochaine échéance électorale de 2022.

Il n’y a donc pas eu apparemment de grain sable dans la grosse machine du congrès ; seulement un indice révélateur : le nombre de congressistes qui aurait été moindre que celui attendu. Et puis bien sûr la fameuse affaire du choix du candidat dans Jean Talon qui a refait surface — quel rôle peuvent avoir ou non les députés de QS dans le choix d’un candidat lors d’une élection ?— mais qui loin de toute décision draconnienne ou vengeresse a été renvoyée fort prudemment à un comité sur la démocratie chargée d’explorer des solutions sur le long terme.

Il n’en est resté pas moins, bien des irritants et au-delà bien des insatisfactions, bien des questions sans réponses et qui se sont traduits d’abord chez ceux et celles qui ne partageaient pas l’optimisme de facade de la direction par une sorte « de vive « inquiétude démocratique », une inquiétude qui s’est fixée sur les mécanismes démocratiques existant actuellement au sein du parti, et partant sur le cours pris à l’heure qu’il est par QS.

Des débats frustrants

Et à ce niveau, peut-être vaut-il la peine de commencer par une simple question de « forme » : celle du type de débats désormais pratiqués au sein de QS pendant ses congrès ; des débats organisés essentiellement —comme le veut la tradition syndicale qui lui a servi de modèle— autour d’une kyrielle d’amendements et de sous-amendements proposés par les différentes associations, mais qui finissent par rendre les débats extrêmement lourds, complexes et frustrants pour tous les délégués (et j’en étais). Au point pour beaucoup de ne plus vraiment saisir le sens de ce sur quoi l’on doit ultimement voter, et surtout de ne plus pouvoir débattre sur l’essentiel (les grandes orientations en jeu) et par la suite trancher en conséquence. Ce qui tend à rendre cet exercice, aux volontés pourtant explicitement démocratiques, particulièrement stérile, puisqu’il ne nous aide pas à aller sur le fond, à approfondir notre propre vision politique, à nous politiser collectivement et à renforcer cette culture de gauche commune qui devrait être la nôtre.

Une armée, mais quelle armée ?

Par exemple, peut-on dire vraiment que nous avons dans ce 14ième congrès discuté en profondeur, et tranché en toute connaissance de cause à propos de questions aussi difficiles que celle de disposer ou non d’une armée quand on est —comme QS l’est— hanté autant par la volonté de l’indépendance que par celle de l’émancipation sociale et culturelle du Québec ? Les questions posées par exemple par Normand Beaudet (dont soit dit en passant je ne partage pourtant pas le point de vue) ont été balayées d’un revers de main, alors qu’elles auraient dû être pendant ce congrès soupesées, discutées et débattues beaucoup plus en profondeur, moyen pour le moins d’approfondir notre réflexion commune sur ce qu’est la défense d’un pays animée de principes de gauche. Surtout ne pas simplement en rester à une défense québécoise pensée comme la copie presque conforme de la défense canadienne ! Mais justement en a t-on pris toute la mesure ?

Les promesses d’une constituante ?

Et on pourrait faire le même genre de remarques pour la question de la transition à l’indépendance. C’est une chose de bâtir à la hâte, comme on l’a fait sous la houlette d’un de nos porte-parole, de vagues compromis permettant de satisfaire tout un chacun —et les ex membres de ON, et les partisans de la constituante ancienne formule de QS— et ainsi de gagner une majorité conjoncturelle sur ce point au congrès. C’en est une toute autre de réfléchir collectivement à la question de la transition à l’indépendance pensée à travers la dynamique d’une constituante imaginée comme facteur de mobilisation sociale, populaire et démocratique. On a là raté une magnifique occasion de faire un travail en profondeur, et de le faire collectivement avec les ex-membres d’ON ; facilitant ainsi au passage une vraie fusion et réactualisant ensemble les paramètres de la question nationale québécoise pour le 21ième siècle.

Même chose aussi dans un sens pour l’écofiscalité : la façon dont s’est orientée la discussion n’a pas permis de faire voir aux délégués tout ce qui était en jeu, notammant les limitations déterminantes des mécanismes marchands (écofiscalité, bourse du carbone, etc.) quand il s’agit de lutter contre les prédations environnementales actuelles . Ni non plus d’imaginer une position qui permettrait de mieux articuler –au sein d’une stratégie de transition concrète— ce qui a été présenté comme absolument antagonique.

Vouloir aller trop vite

À chaque fois, on a été amené à trancher dans le vif mais sans avoir, non seulement fait le tour du problème, mais encore mesurer l’ampleur des changements à effectuer, ni non plus penser au type de stratégies politiques à mettre en oeuvre pour y arriver.

En fait –c’est l’impression que ça donne— c’est un peu comme si on voulait aller trop vite, qu’on mettait la charrue avant les boeufs et qu’on pensait qu’on pourrait arriver à tous ces changements structuraux qu’appelle le programme de QS, simplement sur la base d’une stratégie électorale des plus classiques : une stratégie dont certains verraient déjà l’aboutissement aux prochaines élections de 2022.

Mais en agissant ainsi, c’est comme si –de facto— on risquait de lâcher la proie pour l’ombre : la proie ce sont les changements politiques de fond dont QS se voudrait le moteur (avec un virage écologique radical, la marche vers une indépendance promouvant la justice sociale, etc.) ; l’ombre, c’est l’influence électorale et politique déjà gagnée au sein du parlement, mais encore si ténue… et qui ne pourra déployer ses possibles promesses sans parallèlement une remise en marche, une remise en mouvement de la société civile toute entière, sans de vastes mobilisations sociales portées par les organisations sociales existantes, sans aussi des politiques favorisant l’unité le rassemblement des forces. Toutes choses dont on est encore bien loin aujourd’hui et sur lesquelles il faudrait aussi pouvoir dès maintenant travailler.

Évidemment cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas saisir les occasions qui passent, profiter des erreurs des adversaires, des possibles qu’offre la conjoncture. Tout au contraire. Mais cela veut dire en même temps ne rien oublier de toute ce travail de liaison avec la société civile d’en bas, avec ceux et celles qui au quotidien luttent contre tous les effets injustes et délétères du système global.

C’est aussi à cela qu’il faut penser et prendre en compte dans toutes nos stratégies et réflexions sur la façon même dont nous voulons construire QS.
Autrement ce ne sera que lâcher la proie pour l’ombre !

Pierre Mouterde. Publié sur le site de Presse-toi à gauche du Québec.