Democratic Socialist of America (DSA), le courant de gauche au sein du Parti Démocrate américain, a tenu son congrès biennal du 1er au 4 août dernier à Atlanta. 1056 personnes y étaient déléguées, représentant 80 associations provenant de tous les États américains. J’ai eu le privilège de représenter Québec solidaire qui comptait parmi les invitéEs internationaux.
Il est difficile d’analyser avec justesse les débats d’un congrès auquel on assiste pour la première fois, à plus forte raison lorsque cette organisation est en pleine croissance, devant de nouveaux défis et de nouveaux débats politiques. Depuis deux ans DSA a doublé son nombre de membres passant de 25 000 à 40 000, ce qui s’est reflété par un congrès près de deux fois plus important passant de 700 à 1000 personnes déléguées. Une grande partie d’entre elles étaient de nouvelles adhésions et participaient à leur premier congrès. Le congrès était composé majoritairement de jeunes, entre 25 et 35 ans. Les femmes ont joué un rôle important dans les débats et la communauté LGBT était également très présente. La majorité était blanche même si les personnes de couleur étaient en grand nombre.
L’élection d’Alexandria Ocasio-Cortez en 2018 de même que Rashida Tlaib représentant le parti DSA à la Chambre des représentants des États-Unis , a certainement permis de donner une l’impulsion publique qui explique cette croissance. Lors des élections de 2018, le parti a fait également passer son nombre d’éluEs dans les Chambres basses des États de 4 à 11, dont 8 au niveau national.
Une partie des débats a porté sur les conditions d’appui à Bernie Sanders qui se revendique de cette gauche politique au sein du Parti Démocrate sans pour autant en être membre officiellement. Ce qui explique probablement son absence au congrès. Madame Ocasio-Cortez était également absente. Les membres ont donc discuté des prochaines élections mais, fait étonnant, sans rapport politique ni bilan des dernières élections, qui représentent pourtant un grand succès pour DSA.
Ils ont ainsi décidé que leur appui aux élections présidentielles irait à Bernie Sanders et à personne d’autre en cas d’échec de ce dernier aux primaires démocrates. En même temps le congrès a encadré le mandat que Sanders devrait respecter et défini que celui de toute personne candidate à des élections devrait respecter le programme socialiste de DSA.
Des courants de pensée différents étaient sous-jacents dans l’ensemble des débats et étaient représentés par des tendances affichées telles que Build, Bread and Roses, Socialist Majority, Collective Power Network, the Libertarian Socialist Caucus, Reform and Revolution.
Selon Tatiana Cozzarelli de la revue Left Voice, beaucoup de militants et militantes derrière Build et LSC sont inconfortables avec l’orientation électorale de DSA basée sur les membres à carte qui apporte un afflux soudain de membres sans connaissance des politiques et mécanismes internes, ce qui ouvre la porte à une centralisation des pouvoirs dans les mains d’un groupe qui possède une politique stratégique claire qu’ils appliquent avec discipline : dans ce cas Bread and Roses / Jacobin. Par contre selon Dan La Botz de New Politics, le caucus Bread and Roses a été le principal défenseur de la résolution « Rank and File strategy ».
Il est évident que la majorité des débats a été traversé par ces courants de pensée. La centralisation du parti au niveau organisationnel mais surtout financier versus une décentralisation et un meilleur soutien financier pour aider les associations locales a été au cœur de chauds débats et la centralisation l’a finalement emportée.
La stratégie syndicale (Rank and file strategy) a quant à elle été adoptée même si c’était par une mince majorité. Il s’agissait d’une des questions importantes du congrès dont on pourrait s’inspirer à Québec solidaire. Les membres ont en effet décidé d’investir leur énergie à travailler dans le mouvement ouvrier, organisé ou non afin d’aider à alimenter une conscience plus large qu’uniquement syndicale. À cette fin la direction nationale modifiera sa liste de membres afin d’indiquer le type d’emploi et l’appartenance syndicale. Cette modification ayant pour but de permettre la création de comités de discussions basés sur les milieux de travail ou les syndicats dans le but d’entreprendre des actions communes dans le futur.
En ce qui concerne la formation, la direction nationale se coordonnera avec Labor Notes afin de pouvoir profiter de leurs forums de formation. Plus précisément elle aidera les comités ouvriers des associations à trouver le financement pour envoyer des membres à la conférence Labour Notes de 2020 et à leur école de formation. Il faut rappeler que lors de son dernier congrès DSA avait déjà créé une Commission afin de coordonner nationalement le travail au sein du mouvement ouvrier.
Le congrès s’est également prononcé unanimement en faveur du Green New deal. DSA s’est prononcé en faveur de décarboniser tous les secteurs de l’économie américaine d’ici 2030 ; démocratiser le contrôle des principaux systèmes et ressources énergétiques grâce à la propriété publique ; et centrer la classe ouvrière sur une transition juste vers une économie équitable avec une garantie d’emploi en développant le secteur public.
Les membres ont décidé de renforcir la lutte de DSA pour le droit des immigrants en appuyant notamment la démilitarisation de la frontière avec le Mexique, l’abolition de ICE l’Agence de renforcement de l’immigration des douanes et des frontières, (Immigration and Customs Enforcement and Customs and Border Protection) , la décriminalisation de l’immigration et la mise en place d’une procédure d’accès à la citoyenneté pour toutes les citoyens non-résidents.
Le droit au logement , la promotion du droit à l’avortement, la dépénalisation du travail du sexe, le renouvellement de l’ assurance-maladie ont également fait l’objet de témoignages émouvants.
Événement marquant, Sara Nelson présidente de l’Association des agents de bord (CWA, AFL-CIO) a rendu un témoignage percutant. Lors de la fermeture par le gouvernement en janvier dernier, elle a diffusé une vidéo appelant les agents de bord à cesser de travailler et à soutenir les contrôleurs aériens qui devaient travailler gratuitement afin d’assurer la sécurité aérienne. Quelques heures plus tard, Trump avait conclu un accord pour mettre fin à l’arrêt. Elle se bat maintenant contre le changement climatique, soutient le Green New Deal et appelle les compagnies aériennes à cesser les expulsions.
Solidarité internationale
Quelques résolutions concernant la Palestine et Cuba ont été adoptées mais cela ne répondait pas selon plusieurs au besoin de perspectives dans le contexte international où l’impérialisme américain joue un rôle prépondérant.
La présence d’une importante délégation internationale est cependant à souligner. Plusieurs ateliers ont permis aux invités internationaux de s’exprimer sur l’importance de la solidarité internationale. Ils et elles représentaient entre autres le Soudan, les Philippines, le Pérou, le Japon, le Brésil, le Venezuela, l’Allemagne, la Belgique ainsi que le Québec.
La place que j’occupais en tant que délégué de Québec solidaire me plaçait dans une situation particulière. Pour la plupart des gens j’étais du Québec mais avant tout du Canada. Les questions qui m’étaient adressées portaient souvent sur la façon de développer des liens avec la gauche canadienne (comprenant le Québec). Les réponses demandaient beaucoup d’élaboration afin d’expliquer toute la question de l’indépendance et de l’oppression nationale, mais au final cela nous place devant un défi incontournable ; la construction de liens avec les éléments de gauche dans le Reste du Canada et l’élaboration d’une stratégie progressiste face à l’État canadien basée sur l’indépendance, dans une perspective internationaliste.
André Frappier, publié sur le site Presse toi à gauche du Québec.