Certain.e.s se dépensent dans les médias pour assurer que le projet de rapport qui a fuité du GIEC est catastrophiste et que le rapport final sera plus nuancé (voir notre article « Pour le climat, pour la vie, pour nos enfants, c’est maintenant »)(1). On semble vouloir nous apaiser et nous convaincre que les gouvernements ont compris la gravité de la crise climatique, qu’ils sont en train de prendre les bonnes décisions. Pourtant, la terrible vague de chaleur dans le Nord-Ouest de l’Amérique du Nord donne plutôt raison a celles et ceux qu’on traite de catastrophistes. La Terre brûle : Australie, Amazonie, Sibérie, Grèce, Groenland, Suède, Californie hier, Colombie Britannique aujourd’hui (pour ne pas parler de l’incendie sous la mer, dans le Golfe du Mexique où une conduite sous-marine de pétrole a fuité et prix feu !). La situation continuera d’empirer si les peuples ne se révoltent pas contre les responsables : le capital fossile, la finance, l’agrobusiness et les pouvoirs a leur service ! Richard Poulin, sociologue québecois, fait le point pour nous sur la terrible canicule qui a fait plusieurs centaines de morts au Canada.
Une vague de chaleur extrême traverse l’ouest du Canada, causant des centaines de morts. La température a atteint 49,6 °C dans le village Lytton, en Colombie-Britannique – ce village vient d’être détruit par un feu de forêt – battant des records de tous les temps au Canada.
Ciel enfumé, air pollué, chaleur létale
Au cours de trois des cinq derniers étés, les Britanno-Colombien·nes ont souffert d’événements météorologiques extrêmes. La vague de chaleur historique, qui a déclenché des températures dignes du désert de la Mort – il a fait plus chaud dans la province que dans le désert du Nevada –, s’est déplacée vers l’est en Alberta, a mis les réalités du changement climatique en évidence.
Les climatologues sont prudents lorsqu’ils citent le changement climatique comme la cause d’un événement météorologique particulier. Mais pour elleux, les preuves montrent que les événements extrêmes s’intensifient et deviennent plus fréquents en raison du réchauffement climatique.
« En tant que climatologue, explique Simon Donner, professeur de climatologie à l’Université de la Colombie-Britannique, nous nous attendons à voir davantage de vagues de chaleur extrêmes dans le futur parce que nous ajoutons des gaz à effet de serre à l’atmosphère. Mais cela dépasse même mes prévisions. Avoir une vague de chaleur aussi longue et aussi chaude au Canada est complètement sans précédent dans l’histoire. »
La vague de chaleur s’explique par un phénomène appelé « dôme de chaleur », soit une masse d’air très chaude qui s’installe sur une région et qui ne bouge pas. Ce dôme thermique de haute pression crée un effet comparable à celui d’un couvercle posé sur un chaudron d’eau bouillante.
Le dôme de chaleur empêche la formation de nuages, laissant la voie libre aux radiations du soleil.
« Le courant atmosphérique, censé chasser cette masse d’air, fait plutôt le tour du dôme de chaleur, créant un blocage », explique Simon Legault, météorologue chez Environnement Canada. « Les températures s’accumulent sur celles de la veille. Vous vous levez le matin et il fait plus chaud que le jour d’avant », précise Armel Castellan d’Environnement Canada L’intensité du dôme est également accentuée par le phénomène climatique La Niña. Cette masse d’air chaud se déplace très lentement vers l’est, ce qui explique la longue durée de la canicule. Bien que l’intensité de cette vague de chaleur soit exceptionnelle, de tels phénomènes pourraient se reproduire de plus en plus fréquemment avec les changements climatiques.
Les expert·es sont unanimes : sans le changement climatique anthropique, un dôme de chaleur d’une puissance aussi extrême n’aurait presque sûrement pas pu se mettre en place. Le réchauffement climatique rend les vagues de chaleur plus fréquentes, plus longues et plus intenses.
La canicule a fait près de 700 mort·es contre 1 756 de la COVID-19 depuis le début de la pandémie dans la province la plus à l’ouest du pays. Quelque 143 incendies font rage en Colombie-Britannique. Le feu a détruit le village de Lytton, municipalité qui a connu le triste record de la température la plus élevée. « Entre les premiers signes de fumée et l’embrasement général, il n’a fallu que 15 minutes », raconte Jan Polderman, le maire de Lytton.
Augmentation des inondations et de la pollution
On espère la pluie pour contenir les feux de forêt qui font rage. Mais la pluie risque de créer de graves problèmes d’inondation. Le dôme de chaleur favorise la sécheresse déjà en cours, d’où la multiplication des feux de forêt. Or, autre effet de la canicule, la fonte des glaciers et du manteau neigeux de la chaîne côtière des Rocheuses s’accélère et l’eau est haute dans les rivières. Aussi, des habitant·es de la vallée de Pemberton, au nord de Vancouver, ont reçu l’ordre d’évacuer leurs logis, car les cours d’eau sortent de leur lit.
La canicule élève aussi la pollution au niveau du sol. Vancouver, la métropole de la Colombie-Britannique, alerte sur un haut niveau d’ozone troposphérique, lié à des réactions entre l’oxyde d’azote, un produit de la combustion des énergies fossiles, et des composés organiques volatils qui augmentent quand l’air chaud stagne. Bref, le dôme de chaleur entraîne une dégradation importante de la qualité de l’air et, par conséquent, de la santé de la population.
Dans l’Est du pays
Pendant l’été, la moitié nord de la planète est inclinée vers le soleil, ce qui augmente les heures de clarté et réchauffe l’hémisphère. L’impact de cette exposition supplémentaire au rayonnement solaire est cumulatif, c’est pourquoi les températures culminent généralement des semaines après le jour le plus long de l’année. Mais ce n’est pas le cas cette année : le Québec a connu sa première canicule à la fin du mois de mai.
Les vagues de chaleur commencent par un système à haute pression (également connu sous le nom d’anticyclone), où la pression atmosphérique au-dessus d’une zone s’accumule. Cela crée une colonne d’air descendante qui se comprime, se réchauffe et souvent se dessèche. L’air descendant agit comme une calotte ou un dôme thermique, emprisonnant la chaleur latente déjà absorbée. Le système à haute pression expulse également les courants d’air plus frais et rapides et éloigne les nuages, les rayons du soleil frappent plus facilement le sol.
Le sol – terre, sable, béton et asphalte — cuit ensuite au soleil, et pendant les longues journées et les courtes nuits d’été, l’énergie thermique s’accumule rapidement et les températures augmentent.
Les vagues de chaleur sont particulièrement fréquentes dans les zones déjà arides, comme les déserts, et à haute altitude où se forment facilement des systèmes anticycloniques. L’humidité dans le sol peut atténuer les effets de la chaleur, tout comme l’évaporation de la sueur peut refroidir le corps. Mais, en Colombie-Britannique, il n’y a pas beaucoup d’eau dans les sols et la végétation pour absorber la chaleur.
Cependant, une chaleur extrême peut également s’accumuler dans des endroits très humides. En fait, pour chaque degré Celsius de réchauffement de l’air, un endroit peut absorber environ 7 % d’eau en plus, ce qui peut créer une combinaison dangereuse de chaleur et d’humidité. C’est ce qui se passe dans l’est du pays, notamment au Québec. Les températures sont montées au-dessus des 30 °C et, avec le facteur humidex, cela dépasse les 40°. La chaleur est alors tropicale. À peine au tournant du mois de juillet, le Québec en est à sa troisième vague de chaleur. Un fait assez exceptionnel dans son histoire. Pas moins de 51 records de chaleur, certains datant de près de 90 ans, ont été fracassés un peu partout au Québec en 2020, et 2021 s’annonce encore pire.
Le Québec vit sous un climat continental et non un climat maritime. Une vague de chaleur s’accompagne toujours d’une humidité poisseuse qui rend la respiration difficile. Contrairement à l’ouest du pays, puisque les chaînes de montagnes ne sont pas recouvertes de glaciers, l’eau des rivières et des lacs ainsi que celle de la nappe phréatique sont basses. Se mettre sous le couvert d’un arbre pour bénéficier de son ombre et souffrir moins de chaleur ne sert à rien dans un climat continental où la chaleur est très humide. Pas de refuge possible, sauf à la maison, si elle est climatisée, et quand elle ne l’est pas, les gens, surtout les personnes âgées, traînent dans les centres commerciaux pour ne pas suffoquer.
La catastrophe climatique en marche
Températures estivales records, feux meurtriers, hivers exceptionnellement doux et sans neige dans de nombreuses régions, comme ce fut le cas cette année au Québec, avec à la clé déjà huit tornades, phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus violents : la catastrophe climatique progresse plus vite que les projections, du fait principalement de la sous-estimation des rétroactions du réchauffement.
Les régions polaires se réchauffent jusqu’à trois fois plus vite que la moyenne planétaire, alimentant les vagues de chaleur dans l’Arctique. En fait, les régions les plus froides de la planète se réchauffent plus rapidement que les régions plus proches de l’équateur, de sorte que les personnes vivant dans des climats tempérés peuvent connaître certaines des augmentations les plus importantes des épisodes de chaleur extrême. Des régions du monde déjà chaudes deviennent également plus chaudes, les poussant au-delà du domaine de l’habitabilité dans certaines périodes de l’année.
Et alors que les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine continuent d’inonder l’atmosphère – les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone ont récemment culminé à 420 parties par million –, les vagues de chaleur devraient devenir plus fréquentes et extrêmes.
Les vagues de chaleur exacerbent les inégalités sociales structurelles : alors que les villes se réchauffent plus rapidement que leurs environs, les quartiers les plus pauvres – qui abritent de manière disproportionnée des personnes de couleur, les immigrant·es et les Autochtones – et les quartiers ouvriers ont tendance à devenir plus chauds. Ces quartiers ont moins de couvert arboré et d’espaces verts et plus de surfaces pavées qui absorbent la chaleur. Dans le même temps, les résident·es à faible revenu ont plus de mal à s’offrir les produits permettant le refroidissement de leur logement. Ce modèle d’inégalité face à la chaleur se joue également à l’échelle mondiale.
Nous manquons de temps pour agir : les vagues de chaleur sont devenues une réalité de la vie avec de plus en plus d’incidences – des impacts directs sur la santé des populations aux contraintes sur les infrastructures. L’humanité doit urgemment réduire sa production de gaz piégeant la chaleur pour limiter la hausse de température de la planète. Et cela, de façon radicale !
Richard Poulin. Publié sur le site de la Gauche anticapitaliste de Belgique.