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Anticapitalistas quitte Podemos. Entretien avec Raúl Camargo

Le 14 mai dernier Anticapitalistas, composante fondatrice de Podemos et courant historique de la gauche radicale de l’Etat espagnol lié à la IVe Internationale,  a rendu public son départ de Podemos[1]. En réalité cette décision était actée depuis le 28 mars lorsque, dans un processus de consultation interne, dans lequel 79 % des militantes et militants ont participé, 89 % d’entre elles se sont prononcées en faveur d’une sortie de Podemos (3 % contre et 7,5 % d’abstentions). La survenue de la pandémie Covid-19, qui a durement frappé l’Etat espagnol et en particulier les secteurs les plus vulnérables des classes populaires, ont conduit à différer l’annonce publique de cette décision.

Dans cet entretien, Raúl Camargo, membre de la direction d’Anticapitalistas et ancien député à l’Assemblée régionale de Madrid, répond à eldiario.es depuis son appartement où il est confiné avec sa famille. La crise sanitaire provoquée par le coronavirus conduira, selon lui, à une aggravation des politiques néolibérales. La participation de Podemos au gouvernement de coalition ne permettra pas, selon lui, de bloquer cette nouvelle vague de mesures restrictives dans la mesure où c’est le PSOE (le parti socialiste du premier ministre Pedro Sanchez) qui en assume la direction et que le parti qu’ils ont contribué à créer il y a six ans lui est maintenant « subordonné ». C’est précisément ce qu’ils avaient dit qu’ils ne feraient pas, et ce n’est pas original », relève-t-il.

C’est pourquoi Anticapitalistas a décidé de rompre avec Podemos. Comme le souligne Raúl Camargo, le moment est venu « de s’engager et de contribuer en commun avec d’autres collectifs, mouvements sociaux et diverses plate-formes à la création d’une vague de mobilisations pour s’opposer aux restrictions et à l’offensive néolibérale qui se dessine à courte échéance ». Cette rupture marque incontestablement la fin d’un cycle pour la gauche radicale de l’Etat espagnol et plus largement pour ce qui a été désigné comme le « populisme de gauche » dont Podemos a été, en Europe et dans le monde occidental, la référence centrale.  

El Diario : Six ans après la fondation de Podemos, vous quittez ce parti. Pourquoi ?

Raul Camargo : Notre décision fait suite au débat que nous avons connu pendant de nombreux mois, pratiquement depuis octobre dernier, où nous avons pris en compte tout ce qui s’est produit ces dernières années, marquées par des divergences toujours plus importantes avec la direction de Podemos. Finalement nous pensons que le plus honnête est de choisir de rompre sous une forme fraternelle. Nous nous sommes efforcés que cela soit fait ouvertement, en faisant part de notre décision à la direction de Podemos. Nous la rendons publique aujourd’hui parce que l’Assemblée citoyenne de Podemos va se tenir.

Nous avons beaucoup appris de notre expérience au sein de Podemos. Nous avons contribué à sa formation et c’était quelque chose de très important dans l’histoire de notre courant. Cela ne s’est finalement pas passé comme nous étions nombreux à le penser et nous pensons qu’il est préférable d’en sortir, sous une forme fraternelle et sans rien dissimuler des motivations politiques et organisationnelles qui nous ont conduit à ce choix. La porte reste ouverte à une collaboration dans le domaine social, politique et en toute occasion, avec Podemos comme avec l’ensemble de la gauche. Nous ne partons pas par désir de réaffirmer notre identité, et nous savons qu’il y a beaucoup à partager dans bien des domaines. Mais pas dans tous, parce que nous défendons une autre stratégie vis-à-vis de la gauche social-libérale.

On retiendra de l’histoire de Podemos cette réunion, rencontre ou conversation entre amis qui s’est tenue chez vous avec Miguel Urbán y Pablo Iglesias. C’est l’un des actes fondateurs du parti. Quel souvenir gardez-vous de cet épisode à l’automne 2013 ?

J’en ai un souvenir agréable, avec l’enthousiasme du grand projet qui nous animait, même si d’autres moments très durs ont suivi du fait des tensions internes qui se sont produites pratiquement dès le début. Nous n’avons aucun regret d’avoir fait ce choix et nous pensons que c’était ce qu’il fallait faire à ce moment-là.

A l’automne 2013, pour nous, et nous considérions que c’était vrai également pour Pablo Iglesias, il était fondamental de ne pas répéter les erreurs d’Izquierda Unida[2] qui venait d’entrer dans le gouvernement d’Andalousie. Dans la première période de Podemos, une question essentielle était l’affirmation que pour ce parti il n’était pas question de se soumettre ni au PP ni au PSOE, et qu’il se définissait donc comme un espace nouveau, innovant, propre à regrouper différentes forces sociales et politiques de gauche qui aspiraient à une transformation profonde de la société.

Dans la première conférence de presse qu’a tenue Podemos à sa fondation, au théâtre du Barrio, je crois que c’était parfaitement clair. Ensuite, les choses ont évolué. Nous n’étions pas d’accord et nous en avons débattu. Mais dans la première phase de Podemos, l’idée de ne pas se soumettre au PP ou au PSOE et que nous allions construire quelque chose de radicalement nouveau était très forte. C’est ce qui explique en grande partie notre éloignement progressif des orientations de la direction.

Podemos s’est également défini comme une force de gouvernement disposée, pour paraphraser Pablo Iglesias, à se salir les mains et à gouverner, à surfer sur ses contradictions, à participer aux institutions, non pas pour y être le Jiminy Cricket, mais bien pour gouverner.

Mais l’objectif initial était de dépasser les partis traditionnels et de ne pas nous convertir, pour ainsi dire, en la béquille de l’un ou de l’autre. On a toujours dit qu’on n’était pas satisfaits de nos scores, notamment lors de notre première participation aux élections européennes, parce qu’on espérait des résultats qui permettraient de devenir la force de gouvernement de ce pays. On espérait que cela se produirait plus rapidement. Mais ce ne fut pas le cas. Il fallait adopter une stratégie plus lente pour se construire, avec une implantation sociale, la construction de comités territoriaux et sectoriels, réellement enracinés, et une culture politique fraternelle qui, à notre avis, ne s’est pas développée dans Podemos. L’orientation initiale a prévalu tant que Podemos améliorait ses résultats électoraux. Le tournant s’est produit ensuite.

Il est légitime de croire que c’est la façon d’aller de l’avant. Mais ce n’est pas notre position et de nombreux exemples historiques témoignent de la trajectoire qu’ont connue des partis qui ont fait ce pari. Nous ne prétendons pas détenir la vérité absolue, nous pouvons nous tromper, mais nous sommes fermement convaincus que ce n’est pas le bon choix.

Vous pensez que Pablo Iglesias et la direction de Podemos ont trahi les fondements originaux de Podemos ?

Je n’utiliserais pas ces mots. Nous pensons que le Podemos d’aujourd’hui n’est plus celui des origines. Le Podemos au gouvernement n’est pas le Podemos du manifeste Mover Ficha[3]. Il a évolué vers des positions modérées qui ne nous convainquent pas, pas plus que nous convainquaient celles adoptées par Izquierda Unida et c’est pourquoi nous avons impulsé la création de Podemos. Il y avait une demande sociale et politique de forces qui seraient différentes de celles existantes, avec leur fonctionnement ankylosé, ou de celles qui gouvernaient en alliance avec les partis du régime. C’était un des slogans du 15M, « PSOE ou PP, c’est la même merde ».

Cette évolution est classique. Les partis eurocommunistes des années 1970 et 1980 l’ont suivie et on en connaît les résultats. On met en valeur aujourd’hui le fait qu’ils ont participé à la rédaction de la Constitution et qu’ils y ont introduit des articles à contenu social. Mais ces partis ont payé un prix très élevé pour ces politiques de collaboration avec d’autres forces. Certains pensent que c’était un bon choix et qu’on doit s’en revendiquer. Je pense au contraire que ce ne doit pas être notre référence. Nous ne partageons pas cette trajectoire.

En matière d’autocritique, qu’aurait pu faire Anticapitalistas au sein de Podemos ? Dans les sondages internes, la division au sein de Podemos apparaît toujours comme un des éléments qui a conduit à une distanciation croissante entre le parti et son électorat…

Il y a peut-être là une erreur originelle. À la création de Podemos, Anticapitalistas était l’organisation pilier sur laquelle on s’appuyait, aussi bien par sa présence territoriale que par l’apport de ses militants. Nous nous y sommes fondus et nous n’avons pas dit que nous en étions une composante et l’une des forces qui l’avaient impulsé.

Face à la personnalité de Pablo Iglesias, et face à ce que Pablo Iglesias a défendu ensuite, notre organisation a semblé jouer les sous-marins. Ce n’était pas le cas. Anticapitalistas était une force fondatrice, tout à fait décisive, tout comme l’était Pablo Iglesias. Au même niveau. Notre erreur a été de ne pas l’affirmer dès le premier jour, de ne pas faire savoir que sans Anticapitalistas, Podemos n’aurait pas vu le jour. Nous sommes apparus comme une entité étrange, une formation qui aurait rejoint Podemos en voyant son succès, alors que ce n’était absolument pas le cas. Nous étions là dès le premier jour, bien avant nombre de ceux qui nous font ce procès.

Nous sommes apparu·e·s dans les débats préalables à Vistalegre 1 et au-delà comme une chose bizarre. Cette clandestinité obligée, nous l’avons payée. La structure adoptée par Podemos à Vistalegre 1 et par la suite a placé une organisation comme la nôtre dans une situation assez excentrique. Les courants étaient à peine autorisés, même s’il existait autre chose que des courants, comme nous avons pu le constater ensuite. Il en arésulté une situation très difficile pour une organisation comme la nôtre. Nous nous sommes transformés en association, et nous n’avions aucune intention de nous dissoudre.

Il y a d’autres choses que nous avons mal faites. Nous avons conclu un accord, par exemple, pour l’Assemblée citoyenne de la communauté de Madrid, avec Ramón Espinar qui appartenait à l’époque au groupe de Pablo Iglesias. L’accord n’a même pas duré le temps d’un bonbon à la porte d’une école. Au bout de cinq mois, Pablo Iglesias a décidé d’investir Íñigo Errejón en passant outre les décisions de cette Assemblée citoyenne au cours de laquelle, au prix de grands efforts de la part d’Anticapitalistas, les thèses défendues par Errejón avaient été désavouées à Madrid. Nous aurions dû mieux évaluer la qualité des alliances que nous avons conclues parce qu’elles n’ont pas tenu. Là aussi, nous l’avons payé.

Avant la création de Podemos, Anticapitalistas n’avait pas la même présence institutionnelle et médiatique que celle qu’elle a alors acquise. Au-delà des problèmes que vous évoquez, vous n’en craignez pas la perte dans cette nouvelle situation ?

C’est une possibilité. Mais si nous avons créé Podemos, ce n’était pas pour avoir des postes, mais parce qu’il fallait une force politique pour faire face aux agressions les plus sanglantes de ce système. A l’origine nous disions que ce serait bien si on obtenait un eurodéputé, qui serait Pablo Iglesias. Cela aurait suffi à notre bonheur. Malgré toutes les difficultés dans Podemos, comme l’interdiction de la double appartenance et les multiples manœuvres pour nous empêcher d’avoir le moindre poste, interne ou public, nous avons pu en gagner quelques-uns. C’est vrai que cela nous a donné une certaine importance, mais nous sommes une organisation qui se situe au-delà de la question d’avoir ou non des représentants dans les institutions. En avoir est utile et nous allons essayer d’en avoir encore. Mais nous ne pensons pas que cela soit fondamental aujourd’hui.

Ce qui est fondamental pour nous, c’est la formation d’un bloc social très large face à ce qui s’annonce, aux défis qui nous font face. Dans les textes préparatoires à notre conférence, que nous n’avons pas pu organiser, mais qui se tiendra dès que possible, nous parlions de la possibilité que se produise une forme d’explosion dans la situation économique que nous subissons. Mais nous ne pouvions pas prévoir qu’elle se produirait maintenant et sous la forme où elle se produit, avec les conséquences qui vont en résulter. Ça va être sanglant. Dans cette situation, le plus important est l’articulation d’un bloc social pluriel pour répondre aux agressions qui ne vont pas manquer de se produire.

Nous envisagerons dans ce cadre comment aborder la question électorale dans les années à venir. À court terme, nous n’avons pas prévu d’initiative à ce niveau et nous avons décidé de nous consacrer à la construction de cette instance sociale face aux agressions qui, nous en sommes convaincus, vont se produire très prochainement.

Face à ces agressions que vous prévoyez, en ayant quitté Podemos vous pensez que vous pourrez peser pour changer les conditions de vie des gens ?

Oui. Pourquoi pas ? Évidemment cela ne dépendra pas que de nous, . c’est très clair de notre point de vue. Ce n’est pas avec la seule volonté, les choix et les décisions que prendra Anticapitalistas qu’on pourra y arriver. Mais si Anticapitalistas s’engage et contribue avec d’autres collectifs, mouvements sociaux et plate-formes diverses à ce que se produise une vague de mobilisations face aux coupes claires et à l’offensive néolibérale qui déferlera très prochainement, nous pensons que cela peut avoir une influence qui ira bien au-delà de ce que décidera Podemos, un Podemos qui fait partie d’un gouvernement dirigé par le PSOE et qui n’a donc pas les mains libres pour faire ce qu’il souhaiterait. Ils doivent se soumettre, pour ainsi dire, aux orientations que fixe un gouvernement dans lequel ils ne sont qu’une composante minoritaire.

Au-delà de ce que pourra faire Podemos dans les circonstances présentes, nous pensons qu’avec la marge de manœuvre dont nous bénéficions et nos rapports avec divers collectifs, nous avons également un potentiel d’action important, tout en restant modestes. Nous sommes une petite organisation, nous ne visons à aucune hégémonie dans le champ de la gauche à court terme et nous pensons qu’il faut tendre la main et collaborer avec de nombreuses organisations, collectifs et partis de gauche.

Vous avez parlé d’un Podemos subordonné au PSOE et qu’une des questions était de ne pas répéter les erreurs d’Izquierda Unida qui a participé au gouvernement régional andalou avec le PSOE, et de ne pas se soumettre au bipartisme. Vous pensez que la gestion de cette crise sanitaire, économique et sociale serait la même avec un gouvernement PSOE-Ciudadanos, par exemple, ou un gouvernement auquel participerait le PP ?

Avec un gouvernement PSOE-Ciudadanos ce serait pire. Ils auraient adopté sans aucun doute des mesures plus libérales. Un gouvernement minoritaire du seul PSOE, avec une force comme Podemos faisant pression de l’extérieur sans avoir à avaler des couleuvres, cela aurait peut-être pu mieux se passer. Parce que le PSOE aurait eu besoin des votes au parlement, au cas par cas, sous peine d’être battu. Les votes ne sont pas garantis par la participation au Conseil des ministres, et il faut négocier vote après vote, mesure après mesure. C’est avant sa participation au gouvernement que Podemos a obtenu une augmentation significative du salaire minimum. Je ne vois pas pourquoi ce ne pourrait pas être le cas dans la situation actuelle.

Vous avez expliqué la ligne que va suivre Anticapitalistas dans cette nouvelle situation. Mais un endroit où sa présence est particulièrement remarquable, c’est en Andalousie où Teresa Rodríguez et José María González sont des figures de premier plan. Que pensez-vous faire en Andalousie? Miser sur Adelante Andalucia comme projet propre ? S’engager dans une compétition avec Podemos aux élections autonomiques et municipales ?

Anticapitalistas Andalucia a fait connaître publiquement son adhésion comme cinquième organisation à Adelante Andalucia, à égalité de droits avec les quatre autres qui en faisaient déjà partie[4]. La voie choisie par nos camarades en Adalousie a pour objectif de construire Adelante Andalucia comme sujet pluriel et, c’est important, d’identité andalouse. Les décisions qui relèvent de l’Andalousie doivent être prises en Andalousie.

Adelante Andalucia a déjà présenté des candidats dans la majorité des villes et aux élections régionales. Anticapitalistas Andalucia va se consacrer à la construction et au développement d’Adelante en tant que sujet pluriel et ouvert. Lors de sa création, les accords qui ont été signés établissaient qu’Adelante ne participerait pas à des gouvernements avec le PSOE, ni au niveau de la région autonome d’Andalousie, ni au niveau municipal. Ces accords ont alors été signés par Izquierda Unida et Podemos.

Outre l’Andalousie, c’est à Madrid que votre présence dans Podemos a été le plus marquante et c’est là que, pour l’essentiel, votre activité s’est développée. Que va faire Anticapitalistas ? Allez-vous poursuivre le projet Madrid en Pie[5] ? Allez-vous maintenir les mêmes alliances ?

Quand on voit la situation de la gauche madrilène il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. . Elle exige critiques et autocritiques. Voir Isabel Díaz Ayuso à la présidence de la Communauté autonome[6], les énormités qu’elle profère et qu’elle accomplit quotidiennement, cela nous renvoie constamment à notre incapacité à l’en chasser, malgré la gravité des cas de corruption qui ont marqué la précédente législature. C’est une question persistante pour l’ensemble des composantes de la gauche madrilène. Cette situation est absolument lamentable. Au sein d’Anticapitalistas à Madrid le débat est ouvert pour définir la voie que nous allons suivre. Nous voulons impulser des fronts sociaux très larges pour répondre dès à présent aux politiques les plus sauvages d’Ayuso et Almeida.

Nous pensons qu’il faut se situer dans l’opposition à Almeida. Le considérer comme une sorte de bienfaiteur ne nous paraît pas recevable dans la situation présente. Les services sociaux de la mairie sont fermés et il y a des files d’attente énormes dans les restaurants que mettent en place des collectifs sociaux. Cela seul justifie qu’on s’oppose à lui dès la première seconde. Quand la pauvreté accable de nouveau les quartiers populaires de Madrid on ne peut pas dire que le maire est à la hauteur. Et au niveau de la Communauté autonome, il faut là aussi impulser des alliances sociales larges pour battre les politiques qui vont signifier un nouveau tour de vis pour les classes travailleuses.

Pour ce qui est de Madrid en Pie, tout est en stand-by. Il n’y a pas eu de nouvelles réunions ni de relance de l’activité. Nous ferons le point quand nous retrouverons une certaine normalité, je ne sais pas si on peut parler d’une nouvelle normalité ou comment parler de la situation qui va s’ouvrir. Nous pensons qu’il faut construire quelque chose qui sera différent. Le bruit court qu’Ayuso pourrait avancer les élections. Si c’est le cas il faudra discuter pour savoir comment la gauche madrilène doit répondre à ce défi.

Il y a beaucoup d’inconnues et il faut prendre le temps de s’asseoir pour en discuter calmement et reconstruire en quelque sorte un bloc social qui s’oppose à cette droite néolibérale sans complexes qui dirige la Communauté de Madrid. C’est honteux qu’un parti comme le PP corrompu jusqu’à la moelle ait pu se maintenir au pouvoir aussi longtemps sans qu’aucun des scandales qui l’ont frappé ne l’en ait chassé. Cela tient à l’incapacité de la gauche à proposer des alternatives solides au modèle barbare de la droite.

Lors de la précédente législature vous étiez député régional de Podemos à l’Assemblée de Madrid et vous y avez dénoncé un problème qui aujourd’hui, malheureusement, fait la une des journaux et constitue une des préoccupations majeures face à la pandémie : la situation des résidences pour personnes âgées dans la région. Vous avez pu faire valoir les revendications des employées et améliorer les conditions de certaines résidences. Tout ce travail va-t-il se perdre maintenant ? Ou pourrez-vous le poursuivre ?

C’est faisable, et c’est en cours. Il y a Marea Residencias qui fait beaucoup de choses. Elle avait déjà organisé une grande manifestation à Madrid le 26 novembre 2019 et elle vient de porter plainte contre Díaz Ayuso. Elle regroupe beaucoup de familles et d’employées de ce secteur. Cet exemple témoigne qu’on peut faire de la politique en étant à l’extérieur des institutions. L’important est de le vouloir, de continuer d’agir loyalement avec toutes les personnes avec qui j’ai travaillé en étant député, et de continuer à le faire même si je ne bénéficie plus d’un titre honorifique.

C’est vrai que le travail dans les institutions a aussi son importance. J’ai présenté un projet de loi que le PP et Ciudadanos ont rejeté, avec l’abstention du PSOE. Dans cette loi figuraient des dispositions qui, à mon avis, auraient été très bénéfiques dans la situation actuelle car il y aurait eu un personnel beaucoup plus nombreux pour faire face au drame qui allait se produire. Les locaux auraient été mieux adaptés, et les familles mieux informées dès le premier jour parce qu’elles auraient eu des représentants dans les conseils d’usagers.

La droite l’a rejeté parce que cela coûtait très cher. Le secteur patronal des résidences pour personnes âgées a fait pression sur les différents groupes parlementaires pour qu’ils ne soutiennent pas cette loi qui, à les en croire, signifierait la ruine pour leurs affaires. Leurs affaires, oui. C’est bien le problème. Ce travail peut être poursuivi. La loi est prête. D’autres groupes peuvent la reprendre à leur compte et l’améliorer en la rendant même plus dure et restrictive au vu de tout ce qui s’est passé.

Tout ce que nous disions alors s’est vérifié. Les mêmes qui se moquaient et m’insultaient disent aujourd’hui qu’ils vont être aux petits soins avec les personnes âgées. Ils auraient été bien avisés de l’avoir fait il y a trois ou quatre ans quand nous avons dénoncé cette situation, parce que cela aurait sans doute pu sauver des vies.

Publié sur le site de Contretemps. Traduit par Robert March.

Notes

[1] Cf. npa2009.org/actualite/international/dans-letat-espagnol-anticapitalistas-sort-de-podemos

[2] Coalition formée en 1986 et dont la principale composante est le Parti communiste espagnol. Izquierda Anticapitalista (devenu Anticapitalistas en 2014) en fit partie entre 1995 et 2008 en y animant le courant Espacio Alternativo. Izquierda Unida est alliée à Podemos depuis 2016, dans le cadre de la coalition électorale Unidos Podemos, et son dirigeant, Alberto Garzón, est actuellement ministre de la Consommation dans le gouvernement dirigée par le socialiste Pedro Sanchez.  

[3] Ce texte, intitulé « Mover ficha : convertir la indignación en cambio político » (« Faire bouger le curseur : convertir l’indignation en changement politique ») a été rendu public le 14 janvier 2014. Parmi ses signataires des personnalités de la gauche radicale et des mouvements sociaux, dont plusieurs futurs membres de la direction de Podemos (comme Juan Carlos Monedero) et de Izquierda Anticapitalista, qui deviendra Anticapitalistas (comme Jaime Pastor ou Teresa Rodriguez).

Le texte complet de ce manifeste est disponible sur drive.google.com/file/d/0B7FJvjogUel3d2FjTl95dnZFZFE/edit.

[4] Adelante Andalucia est une coalition formée en 2018 entre Podemos Andalucia, Izquierda Unida et deux composantes issues de la gauche radicale « andalousiste » en vue de créer une alternative au gouvernement régional dirigé le PSOE, dont l’Andalousie est le bastion électoral. Lors des élections régionales de 2018, la liste d’Adelante Andalucia fut emmenée par Tereza Rodriguez, figure d’Anticapitalistas, et le score obtenu (16,2%, 17 élus) considéré comme un succès important.

[5] Madrid En Pie est une coalition électorale formée par Izquierda Unida, Anticapitalistas Madrid et Bancada Municipalista en vue des élections municipales de 2019 à Madrid.

[6] Membre du Parti Populaire (PP – droite) et présidente de la Communauté autonome de Madrid depuis août 2019 grâce à une coalition qui inclut, outre le PP, Ciudadanos, le parti d’extrême-droite Vox, qui fit ainsi pour la première fois son entrée dans un exécutif régional.