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« Sortons des accords de libre-échange, assumons le protectionnisme écologique »

MacFlory

Ces derniers jours, Emmanuel Macron et son gouvernement ont multiplié les effets d’annonce en réponse à la colère du monde agricole. Mise sur pause de la trajectoire de réduction de l’usage des pesticides, dérogations en tout genre, arrêt de la « surtransposition » : les propositions pleuvent mais passent à côté de l’ampleur de la transformation nécessaire. Pire, elles continuent de creuser le dangereux sillon dans lequel les libéraux, la droite et l’extrême droite se sont engagés à bride abattue : fustiger une prétendue « écologie punitive » pour éviter de s’attaquer aux causes réelles du malaise agricole. Car le problème ne vient pas des normes en elles-mêmes, mais du fait qu’elles ne sont pas les mêmes pour tout le monde.

En effet, les agriculteurs sont soumis à une concurrence déloyale généralisée, alimentée par la multiplication des accords de libre-échange signés à la pelle par l’Union européenne. La Commission européenne a ainsi mis en place plus de 40 accords de libre-échange qui ajoutent à la compétition déjà féroce que se livrent les pays européens entre eux la concurrence supplémentaire de pays dont les conditions de production sont bien moins exigeantes.

Depuis 2017, des accords sont entrés en vigueur avec le Canada, le Japon, Singapour, le Vietnam et la Nouvelle-Zélande, tous avec le soutien d’Emmanuel Macron. Et pas plus tard que la semaine dernière, alors que la colère du monde agricole faisait rage, le groupe de la Gauche au Parlement européen, que je préside et dans lequel siègent les Insoumis, a été le seul à s’opposer à deux nouveaux accords avec le Chili et le Kenya.

Et comme si cela ne suffisait pas, des négociations sont ouvertes avec le Mexique, l’Australie, l’Inde et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Sur ce dernier, le président de la République a eu beau jeu d’annoncer jeudi dernier à la tribune du Conseil européen qu’il refusait de conclure l’accord« en l’état ». Car ce report (opportunément après les élections européennes ?) fait suite à une opposition de façade qui ne dupe personne.

Il ne suffit pas de reprendre à son compte l’objectif de « souveraineté alimentaire ». Encore faut-il la faire advenir en actes. Et en la matière, les faits sont têtus : au chevet des agriculteurs le lundi, les députés européens Renaissance se font le chantre des accords de libre-échange le mardi. Qui peut pourtant raisonnablement penser qu’il est souhaitable d’importer de la Nouvelle-Zélande, à 20 000 kilomètres, de la viande, du beurre, du lait, du miel, des fruits et légumes, que nous produisons déjà localement ? Le libre-échange prétendument durable n’est qu’une chimère entretenue par les plus fervents partisans d’un système économique à bout de souffle, qui exploite les paysans et malmène terres, animaux, végétaux et rivières.

Mais cela ne s’arrête pas là. À cette concurrence mondialisée s’ajoute une concurrence aux frontières mêmes de l’Union européenne, qui a également largement ouvert son marché aux importations agricoles ukrainiennes. Résultat : les importations de poulets et d’œufs ont doublé au dernier semestre. Depuis un pays où le salaire minimum est à moins de 200 € par mois.

Il est temps de repenser globalement notre modèle : mettons un terme aux accords de libre-échange, assumons le protectionnisme écologique, et planifions la relocalisation de la production alimentaire.

Le système actuel n’est pas seulement injuste et inefficace, il est aussi intenable. Alors que les ménages subissaient une hausse de plus de 10 % des prix alimentaires en un an, les agriculteurs ont connu, eux, une baisse de 10 % de leur revenu. Aux deux extrémités de la chaîne, la précarité fait rage : en France, 1 agriculteur sur 5 vit sous le seuil de pauvreté et 1 personne sur 3 ne mange pas à sa faim.

Entre les deux, les industries agroalimentaires, les distributeurs et leurs actionnaires font bombance. Depuis 2021, les marges des entreprises agroalimentaires se sont envolées, au point d’atteindre le niveau historique de 48 %. Des grands groupes comme Danone, Lactalis ou Unilever mais aussi les enseignes de la grande distribution ont enregistré des profits considérables, alors même que leurs ventes ont parfois baissé en volumes.

Paysans et consommateurs ne peuvent continuer plus longtemps à être les vaches à lait des multinationales de l’agroalimentaire. Il est impératif d’établir des prix planchers sur les produits agricoles afin de garantir une rémunération juste et suffisante pour les paysans. Autre levier indispensable : contrôler les marges de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution, et bloquer les prix des biens essentiels.

Enfin, la sortie de l’ornière passe par une refonte complète de la politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne, afin de sortir de la logique du financement à l’hectare et de rediriger les aides vers les plus petites exploitations. Ce combat pour l’agriculture est un des plus importants qui soient. Nous n’abandonnerons jamais les paysans aux griffes du marché. C’est le seul chemin à suivre. Faute de quoi, les paysans resteront encore longtemps sur la paille.

Manon Aubry, tribune aux Echos le 13 février 2024.