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Le service national universel ou la fabrique des start-up citizens

Qu’on se le dise : la jeunesse de France est perdue. Oublié, l’amour de la patrie. Oubliée, la valeur du travail. Nos jeunes pousses n’ont plus comme horizon que l’oisiveté, le communautarisme et pire encore, la révolte. La jeunesse se vautre dans les allocations, ne travaille que pour un salaire, fume du cannabis et dégrade les murs de nos villes avec des slogans anti police.

Perdue, cette jeunesse ? Peut-être pas. Car les libéraux ont des grands projets pour elle. Par le Service national universel (SNU), elle lui rendra, coûte que coûte, l’amour de la Nation et du Travail (avec des majuscules, s’il vous plaît). M. Weber le mettait déjà en évidence en 1905, le capitalisme ne peut s’ériger au rang de système que lorsqu’il est appuyé par un système de valeurs adéquat. Si E. Macron connaît mieux son Weber que M. Schiappa son Marx, il ne peut arriver qu’à une seule conclusion : il n’est pas de start-up nation sans start-up citizens. Le rapport d’information sur le service national universel de février 2018 ne cache d’ailleurs pas que le SNU n’aura qu’« un seul objectif : contribuer à former des citoyens ».C’est à dire leur inculquer le système de valeurs adapté au projet de société du gouvernement.

Une épreuve de Marseillaise au bac ?

Pour faire aimer la France, tous les chefs d’État le savent : il faut passer par l’école. Apprenant des échecs de ses prédécesseurs en la matière, E. Macron ne veut pas se contenter d’un module d’éducation morale et civique, calé entre deux heures d’histoire. Ses rapporteures déplorent notamment que « On n’est pas « bon en enseignement de défense » comme on pourrait être « fort en mathématiques ou en français » ». Rendez-vous compte ! Le patriotisme ne permet même-pas d’avoir son bac !

Mais voilà qui devrait changer, avec la mise en place d’un « parcours de citoyenneté » (qui bénéficie d’une communication séparée, mais est bien intégrée au SNU dans les rapports). Le fameux rapport de février dernier préconise de faire de « l’enseignement de défense » (que ses auteures utilisent comme un synonyme de l’actuelle éducation morale et civique) une matière à part entière, enseignée tout au long du collège et du lycée, et sanctionnée au moment du brevet et du bac. Et pas uniquement de manière théorique, puisque la participation à des cérémonies fait partie du package.

En parallèle, le rapport préconise l’instauration d’une « semaine annuelle de la défense et de la citoyenneté », également obligatoire pour tou.te.s les élèves de collège et lycée. Elle serait articulée autour de cinq modules. Les deux premiers sont présentés de manière presque explicite comme de la propagande en faveur de l’armée et de la police. Le troisième est un très classique « droits et devoirs ». Le quatrième est un « bilan individuel » visant à «  repérer les jeunes en difficulté », mais également à aider les jeunes à s’orienter à partir de la classe de quatrième (histoire que les pauvres comprennent dès 13 ans qu’ils ne sont pas fait pour la voie générale). Le dernier module, curieusement nommé « résilience », est consacré aux premiers secours.

Ainsi, dès le collège, l’échelle de valeurs change. Non seulement la morale s’apprend à l’école, mais elle permet de décrocher un examen. Et l’apogée de l’année scolaire n’est plus la salve de contrôles d’histoire, mais la petite semaine de propagande. La petite Julie ne sait pas ce qui s’est passé durant la guerre d’Algérie, mais regardez comme elle tient bien son drapeau tricolore !

L’intérêt d’une telle réforme pour les libéraux ? Premièrement, donner aux jeunes un sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Cela permet d’abord d’éviter que les plus précaires d’entre eux remettent en question l’organisation sociale de ladite communauté. Ensuite, il s’agit de créer une proximité entre les forces de répression et la population. À l’école, les policiers sont si gentils ! On ne peut pas croire qu’ils aient tabassé Mohammed sans une bonne raison. Enfin, une certaine partie de l’électorat avoue volontiers que « avant, on avait des valeurs ». Le thème est cher aux partis réactionnaires traditionnels, mais qui votera pour eux si LREM est plus efficace qu’eux dans ce domaine ? Quand à l’opposition de gauche, la voilà bien dans l’embarras. Sommes nous anti-France au point de refuser un dispositif qui forme les jeunes aux premiers secours ?

Sacraliser le travail

Mais quid de la « valeur travail », dont on nous rebat les oreilles à longueur de journaux télévisés ? C’est l’objet du second volet du Service national universel. Lui-même se déroule en deux étapes. La première phase intervient entre 15 et 18 ans, durant l’été (et tant pis pour celles et ceux qui travaillent). Il s’agit d’une formation d’un mois, dont deux semaines en internat pour une sorte de JDC étendue, et deux semaines de « travail collectif », sur des « projets ». Si le flou artistique est savamment entretenu sur son contenu, son unique but est d’inciter les jeunes à participer à la dernière étape du processus. Et c’est justement cette dernière étape de la formation du start-up citizen qui devrait nous inquiéter le plus. D’une durée de 3 à 6 mois, elle consiste tout simplement en un service civique.

Rappelons donc ce qu’est le service civique sous sa forme actuelle, et pourquoi nous devons le combattre. Ce dispositif, créé sous François Hollande, est censé permettre aux jeunes sans expérience et sans diplômes, d’effectuer une mission d’intérêt général en échange d’une indemnité et d’un accompagnement vers l’emploi. L’hypocrisie est dévoilée dès lors qu’on sait que le recrutement se fait exactement de la même manière que l’embauche d’un.e salarié.e. Comment croire que l’expérience et les diplômes ne comptent pas, quand un CV non-anonyme est obligatoire ? Concernant tout le reste, pas le moindre contrôle n’est prévu. Les cas où la structure d’accueil assume sa partie du contrat pourrait bien être tout à fait marginale.

Ainsi, le fameux service civique n’est rien de moins qu’un dispositif de salariat déguisé. Le ou la « volontaire » (rappelons qu’un.e jeune sans diplômes, sans expérience et n’ayant pas droit au RSA est « volontaire ») travaille de 25 à 35 heures par semaine pour une indemnité dérisoire : un peu plus de 500 euros. Mais ce n’est pas un.e salarié.e ! Ce qui veut dire pas de droit du travail, pas d’assurance chômage, pas de prud’hommes en cas d’abus… La « mission d’intérêt général » trouve bien vite ses limites quand 10 organismes accueillent 40 % de la totalité des volontaires chaque année. En dehors des grosses fédérations associatives (telles que la FAGE et d’autres regroupement pro-gouvernements), les « volontaires » remplacent des salarié.e.s dans la quasi-totalité des pôle-emploi, des collèges, des collectivités territoriales…

Au bout du compte, les « volontaires » sortent complètement formaté.e.s au discours start-up de leur « mission ». Ils et elles ont appris que la rémunération est moins importante que le travail lui-même. Qu’être en bout de chaîne dans la hiérarchie signifie n’avoir aucun droit. Qu’un poste avec un intitulé alléchant justifie le sacrifice de son salaire. Que le droit du travail a de grandes chances de ne pas s’appliquer à leur situation. Que les cotisations sociales ne sont pas si nécessaires que ça. N’importe-quel mi-temps précaire, pour peu qu’il soit rémunéré au SMIC horaire, représente une telle amélioration de leurs conditions d’existence que le refuser serait stupide. On ne réclame pas le paiement de ses heures supplémentaires quand on se réjouit déjà d’être payé.e à l’heure ! Un.e travailleur.euse docile, formé.e à la précarité et heureux.se de sa situation misérable, voilà ce qu’est un.e start-up citizen.

Formuler des contre-propositions

Mais s’il s’agit de critiquer et de combattre la politique du pouvoir en place, ne perdons pas de vue que l’objectif est son renversement. Nous portons également un projet de société clair, et n’avons jamais été aussi proche de pouvoir le mettre en application. Lorsque le moment viendra de fonder une sixième république, toute entière consacrée à la démocratie réelle et la justice sociale et environnementale, nous devrons nous assurer que la jeunesse sera en mesure de poursuivre cette œuvre. Nous savons déjà quel.le.s citoyen.ne.s nous voulons former : des individu.e.s conscient.e.s de leurs droits, capables de les exercer individuellement et collectivement, de les défendre et d’en conquérir de nouveaux, de s’intégrer pleinement et à tous les niveaux dans l’exercice de la démocratie. Il y a, dès lors, plusieurs pistes qui se dégagent pour mettre en œuvre ce projet.

Concernant l’école, des enseignements pratiques du débat démocratique, dès le plus jeune âge, sont à étudier. Avec un enjeu : apprendre à tou.te.s à s’exprimer en public, à construire une argumentation, à rechercher les informations fiables, à comprendre la pluralité des avis sur un sujet donné. Au lycée, une réforme des CVL pour en faire de véritables organes démocratiques, impliquant l’ensemble des lycéen.ne.s, est une nécessité. Cela permettrait aux jeunes de se former, avant l’acquisition du droit de vote, à la désignation consciente de représentant.e.s élu.e.s. Quand aux jeunes adultes, c’est le droit du travail qui doit leur être enseigné à tou.te.s. Moins d’intervenant.e.s militaires, plus d’inspecteurs et inspectrices du travail, de juges prud’hommaux, de représentant.e.s syndicaux.ales. La question de la sensibilisation de masse à la lutte contre les discriminations se pose également.

Les pistes à explorer sont encore nombreuses. Un travail qui ne doit pas être négligé, si nous voulons rester l’alternative la plus crédible à Macron et son monde.

G.Adrar