Malgré l’importante victoire que représente l’élection de Lula, il ne faut pas perdre de vue que le bolsonarisme a réussi à rassembler derrière sa candidature près de la moitié de la population brésilienne, en plus d’avoir gagné un plus grand nombre de parlementaires au Congrès et une présence importante parmi les gouverneurs et les députés des Etats (ce qui s’ajoute à l’influence déjà acquise parmi les maires). Des représentants importants du fascisme, comme Nikolas Ferreira [député pour le Minas Gerais, conseiller municipal de Belo Horizonte, membre de la nouvelle génération de l’extrême droite] et Hamilton Mourão [vice-président et élu sénateur de Rio Grande do Sul], ont déjà indiqué quelle serait leur position au cours des quatre prochaines années du gouvernement Lula: une opposition intransigeante, « ne laissant rien passer », selon leurs propres termes. Cela signifie que le gouvernement Lula, pour disposer d’une quelconque efficacité politique, doit élargir sa base sociale, en retirant au fascisme le soutien qu’il a aujourd’hui parmi les classes moyennes et une partie importante des travailleurs et travailleuses. Il est impératif de changer le rapport de forces dans la société afin qu’il ne soit pas possible pour l’opposition fasciste de faire échouer le gouvernement, et encore moins de le renverser (ce qui sera son objectif stratégique dès le premier jour). Dans ce contexte, la discussion sur Proposition d’amendement à la Constitution pour la transition (PEC da Transição) [1] et les premières mesures du futur gouvernement entrent en jeu.
La « main invisible du marché » a déjà commencé à réagir face à la PEC da Transição critiquant le trou dans le plafond des dépenses et l’introduction de nouveaux investissements sociaux dans le budget 2023 via la Constitution. Pour le « marché », notamment les marchés financiers, la PEC est mauvaise car l’une des solutions avancées pour financer les nouvelles dépenses serait l’imposition des bénéfices et des dividendes, ce qui terrifie même l’âme de Faria Lima [du nom de la plus importante avenue de São Paulo où résident les grandes banques].
Pour le nouveau gouvernement Lula, cependant, l’adoption de mesures progressistes et à vocation sociale, dès le premier jour de gouvernement, est une question de vie ou de mort. Dès le début, il est nécessaire de tenir les promesses les plus importantes faites lors du second tour du scrutin, promesses qui ont permis la victoire de Lula.
Le maintien d’Auxilio Brasil (ou de la Bolsa Família) à hauteur de 600 reais, avec une augmentation de 150 reais par enfant jusqu’à six ans si vacciné et scolarisé, contribuerait à accroître fortement la base de soutien du gouvernement. Cela démontrerait aux plus pauvres que Lula est sérieux dans son intention de mettre fin à la barbarie sociale que connaît le pays. En outre, il s’agit d’une mesure qui est effectivement essentielle pour la vie de plus de 33 millions de personnes qui souffrent de la faim aujourd’hui au Brésil.
L’exemption de l’impôt sur le revenu pour les salaires allant jusqu’à 5000 reais [966 euros] permettrait au nouveau gouvernement de gagner un appui dans une partie significative de la classe moyenne qui a majoritairement soutenu le candidat fasciste lors des dernières élections. Font également partie de ce secteur social les travailleurs les plus qualifiés des branches les plus représentatives et les plus importantes de l’industrie et des services, secteurs souvent considérés comme influents dans « la configuration de l’opinion ». Gagner ce secteur à une nouvelle orientation pour le pays serait une étape importante dans la stabilisation du nouveau gouvernement. En outre, il est un fait que la classe moyenne a été pénalisée au cours des dernières décennies. Elle a dû largement participer, au plan fiscal, à une redistribution des revenus, même sous les anciens gouvernements du PT ; tandis que les couches les plus privilégiées de la population n’ont pas vu leurs gains être réduits.
Une nouvelle politique environnementale ayant pour stratégie la déforestation zéro et la récupération des zones touchées par la déforestation donnerait au Brésil, sur la scène internationale, une image nouvelle, radicalement différente de celle de paria international que le pays a eue ces quatre dernières années. Mais ce n’est pas tout. La défense de l’environnement coïncide également avec la défense des personnes, en particulier des populations indigènes dont le mode de vie a été affecté par la dévastation environnementale encouragée par les forces fascisantes. L’urgence climatique exige que ce soit l’une des premières mesures du nouveau gouvernement.
Reprendre la politique d’augmentation réelle du salaire minimum aboutirait à présenter de façon crédible l’objectif de défense du gouvernement parmi les secteurs les plus exploités de la classe laborieuse, qui constitue la base fondamentale ayant permis la victoire de Lula. Le retour de la politique d’augmentations réelles serait également un moteur important du développement économique, ce qui permettrait au gouvernement d’investir et d’agir dans d’autres domaines décisifs tels que la santé, l’éducation, le logement, les transports et la sécurité.
Outre la réalisation des promesses sociales, des mesures politiques doivent également être prises. Celles-ci viseraient à amorcer la dé-boslonarisation de l’Etat brésilien. Dès le premier jour du gouvernement de Lula, la concrétisation de la demande d’annulation du délai de 100 ans pour l’ouverture des archives ayant trait à la pratique et aux décisions du gouvernement de Bolsonaro, comme promis pendant la campagne, ne serait que la première étape d’une série de mesures nécessaires visant à démocratiser l’Etat. Il est nécessaire de montrer au peuple brésilien et au monde entier les atrocités commises par le gouvernement actuel. Et si la publication de ces documents révèle des crimes des bolsonaristes, ces crimes doivent faire l’objet d’une enquête et les responsables doivent être punis.
Sous tous les angles, il est clair que l’alliance fondamentale de Lula doit se faire avec les pauvres et les populations périphériques qui l’ont élu. Il représente aussi la seule force sociale capable de vaincre définitivement le fascisme, pour autant qu’il sache conquérir l’hégémonie sur l’ensemble de la société. Mais pour cela, le gouvernement Lula doit démontrer ce qu’il entend faire, qui il représente et où il veut aller. Tout cela commence avec les premières mesures du gouvernement.
L’alliance de la gauche et des mouvements sociaux, décisive pour la victoire de Lula, doit s’adresser à la classe laborieuse et aux secteurs populaires afin de maintenir un état d’alerte permanent contre les actions golpistes, de garantir l’investiture de Lula le 1er janvier et les conditions pour réaliser les premières mesures annoncées et toutes les propositions auxquelles il s’est engagé. Notre tâche centrale est de nous mobiliser dans les rues, les usines, les universités et les régions, en défendant le futur gouvernement des attaques fascistes et en luttant pour la réalisation des programmes des majorités populaires.
Editorial publié par Esquerda Online, site du courant Resistencia du PSOL, le 7 novembre 2022. Traduction rédaction A l’Encontre.
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[1] Pour comprendre le sens des consultations pour la transition – menées pour l’équipe Lula par Geraldo Alckmin, vice-président, Aloizio Mercadante (économiste du PT) et Gleisi Hoffmann (présidente du PT) – avec Ciro Nogueira de la Casa Civil (cabinet de Bolsonaro), il faut avoir à l’esprit que Lula doit obtenir un accord budgétaire pour assurer le paiement, en 2023, de l’Auxilio Brasil de 600 reais instauré par Bolsonaro, ainsi qu’une augmentation du salaire minimum supérieure à l’inflation. Or, le plafond des dépenses budgétaires tel qu’établi fait obstacle à la concrétisation de ces mesures annoncées durant la campagne. (Réd. A l’Encontre)