Cet ouvrage suit « La nouvelle école capitaliste », publié il y a 10 ans, qui montrait comment l’institution scolaire s’était adaptée et moulée dans le néolibéralisme. Toujours en démontrant comment les logiques marchandes pénètrent une institution pourtant supposée y échapper (concurrence, élitisme, évaluation permanente, indicateurs de performance, massification réelle mais avec maintien des inégalités scolaires, mépris et autoritarisme vis à vis des personnels), le livre ouvre des pistes d’un changement systémique depuis l’élémentaire jusqu’au supérieur dans le cadre d’un processus de transformation radicale de la société.
Cinq principes sont dégagés qui font chacun l’objet d’un chapitre :
1/ La liberté de penser et les « libertés académiques ». Liberté, connaissance et éducation démocratique étant indissociables, il est nécessaire que l’enseignement et la recherche soient indépendants non seulement des religions, des puissances économique mais aussi des gouvernements : pour les auteurs, il s’agit en effet de lever la confusion entre « public et étatique » ; l’Université démocratique étant le lieu d’élaboration des « communs des savoirs », sans être propriété exclusive des enseignant-e-s ou spécialistes de l’Éducation ou de la Recherche, mais lieu de mutualisation avec les syndicats, associations et s’adressant à tous les publics (scolaires bien sûr, mais aussi salarié-e-s, retraité-e-s). Une nouvelle place doit être faite aux sciences sociales et à la philosophie pour permettre la participation de toutes et tous à la vie démocratique de la société. De même, cette Université devrait décliner ces communs des savoirs en relation avec les questions écologiques et de façon internationaliste dans la perspective d’une connaissance conçue comme un bien commun mondial..
2/ La recherche de l’égalité dans l’accès à la connaissance et la culture
La lutte contre les difficultés et inégalités scolaires est indissociable de celle contre les inégalités sociales et économiques. En attendant, il est nécessaire de rompre avec la conception d’individualisation qui prévaut aujourd’hui. Un débat compliqué, « le dilemme de l’Éducation démocratique est abordé : quelle distance mettre avec l’expérience, le vécu, le sensible des élèves pour permettre l’accès à la connaissance de celles et ceux qui ont peu les codes ? Sur ce point, les pensées de John Dewey, Jean Jaurès et Paulo Freire sont convoquées pour ouvrir la discussion.
3/ Une culture commune : qu’entendre par cette notion quand on se fixe comme perspective une autre société ? Cette culture commune démocratique et écologique est indispensable à l’exercice de la démocratie dans une société autogestionnaire. Ce chapitre comporte de nombreuses références aux expériences de Freinet, aux écrits de Dewey et de Gramsci pour articuler transmission des connaissances et apprentissage de l’exercice de « l’auto gouvernement populaire ». La question des contenus scolaires est aussi abordée, l’objectif étant de dé hiérarchiser les savoirs en faisant en sorte que « les deux sexes partagent une culture commune scientifique, littéraire et technique ».
4/ Pour une pédagogie instituante. Sortir de l’opposition entre les tenants de l’épanouissement de l’enfant et ceux de la transmission des Savoirs, aller vers une « révolution pédagogique » à savoir une pédagogie liant démocratie dans la formation et préparation au fonctionnement démocratique de la société, le terme de pédagogie instituante est lié à cet objectif. D’une certaine manière, ce chapitre ouvre des ponts entre « pédagogistes » et militant-e-s de la transformation sociale qui ne se retrouvent pas souvent.
5/ L’auto-gouvernement des institutions de savoir elles-même : les auteurs proposent que « chaque Établissement soit transformé en un commun éducatif, c’est à dire un espace permettant l’accès universel aux savoirs » doté d’un gouvernement démocratique d’établissement. C’est probablement cette idée qui fera le plus discuter tant dans le contexte actuel où autonomie des établissements rime avec austérité renforcée et où en France tout du moins, école publique signifie école étatique (« idéologie souverainiste de l’État en matière éducative ») avec tout ce que cela implique comme représentation de ce que pourrait être un autre futur. La question est donc posée d’articuler l’indépendance des savoirs (paradigme républicain), l’auto-éducation du prolétariat (paradigme socialiste) et l’autonomie des élèves. Les difficultés d’une telle articulation sont relevées avec le « semi échec de l’autogestion dans l’école » en 68 et les limites des expériences consécutives.
Dans une période où l’instrumentalisation des neurosciences pour imposer des procédures d’apprentissage qui seraient efficaces (quitte à effacer des années de recherche en pédagogie ou en didactique) – où de fait les enseignant-e-s ne s’adresseraient plus à des individus avec une histoire, un parcours, appartenant à un groupe mais à leur cerveau, ce livre ouvre le champ de nombreuses discussions, réflexions (bien d’autres questions sont abordées que celles évoquées dans cet article) sur ce que pourrait être une autre conception de l’Éducation, une révolution scolaire mais aussi sur comment dés maintenant on peut agir dans cette perspective.
Bernard Galin
« Éducation démocratique, la révolution scolaire à venir » de Christian Laval et Francis Vergne, La Découverte l’horizon des possibles 20€