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Nucléaire militaire, désarmement, conscription…

Dans une interview au Point, Jean Luc Mélenchon vient de réaffirmer son attachement à la dissuasion nucléaire et à la conscription. Sur sa proposition de remettre en place un service militaire, il engage le débat en indiquant : « sur ce point, tous les insoumis ne seront pas d’accord avec moi ». Cette contribution entend entrer dans ce débat et donner un point de vue un peu différent.

La France est aujourd’hui la 5ème puissance militaire mondiale, 2ème puissance européenne derrière la Russie.

En 2020, le budget des armées a été de 37,5 milliards € (en hausse de 1,7 milliards par rapport à 2019) : il représente 1,86 du PIB – l’objectif de 2 % a été fixé par la dernière loi de programmation militaire (2017). L’Allemagne, elle ne dépense que 1,3 % de son PIB pour sa défense.

Par comparaison, celui de l’Éducation Nationale se monte à 52,7 milliards € (72,5 milliards si on compte la contribution aux pensions des retraités-ées de l’EN) ; celui-ci n’a augmenté que de 1 milliard entre 2019 et 2020. C’est donc un effort budgétaire considérable pour le pays, les contribuables pour pouvoir équiper et entretenir une armée qui déploie des milliers de soldats au Sahel, au Liban, en Afghanistan, qui est dotée d’armements nucléaires aériens, terrestres ou maritimes et d’une armée conventionnelle largement dotée. Notons aussi que cette politique axée sur l’équipement en moyens très coûteux se fait au détriment des conditions de vie et de travail des militaires dont notamment le service de santé est sinistré. La France tient d’ailleurs le 3ème rang mondial comme exportateur d’armes derrière les États Unis et la Russie. De puissance coloniale, la France s’est reconvertie en puissance post coloniale, impérialiste de seconde zone, certes, mais qui défend son pré carré en Afrique notamment, la FI a justement dénoncé systématiquement les « OPEX ».

L’argument des défenseurs de cette politique sur l’effort budgétaire important à consentir pour mener une politique indépendante ne tient pas puisque l’essentiel des opérations militaires se fait avec ou en accord avec l’OTAN, les USA.

L’argument selon lequel, ces opérations auraient un rôle pacificateur tient encore moins car le bilan des opérations au Sahel notamment, outre les catastrophe humaines, n’a absolument pas permis de régler quelque conflit que ce soit.

Le seul véritable bilan est que les 6 groupes français Thalès, Naval Group, Safran, Dassault Aviation, le CEA et Nexter, vendent leurs matériels en France et partout dans le monde et se portent plutôt bien : plus de 9 milliards d’euros d’armes ont été vendus par la France en 2018 à l’Inde, l’Arabie Saoudite, le Qatar, autant de pays aux régimes peu recommandables et aux politiques agressives.

Ajoutons à ce sombre tableau que 22 % des dépenses d’équipement en matériel militaire sont dédiés au nucléaire et ceci en forte hausse ces dernières années (ceci ne prend pas en compte les matériels conventionnels indispensables pour leur protection). Ces dotations sont fort peu transparentes. D’ailleurs Emmanuel Macron déclarait en 2017 «  tous les débats sont légitimes, mais ils sont tranchés : la dissuasion nucléaire fait partie de notre histoire, de notre stratégie de défense et elle le restera ».

Et bien non ! Souvenons nous qu’il y a quelques années, on nous disait impossible de revenir sur le nucléaire civil pour des raisons stratégiques industrielles, d’indépendance nationale. Aujourd’hui, ce n’est plus tabou et un (trop) timide plan de réduction du nombre de centrales nucléaires est mis en route. Cette question doit donc être à nouveau débattue : il est faux de considérer que la dissuasion est un gage d’indépendance vis à vis des États Unis, il est intolérable de considérer qu’une politique visant à menacer d’exterminer une partie de la population d’un pays est progressiste, il n’est pas cohérent de vouloir en finir avec le nucléaire civil et conserver le nucléaire militaire (certaines filières étant connectées).

Dans le cadre d’un processus de révolution citoyenne, devrait être prise une initiative de réduction de l’arsenal nucléaire qui pourrait être dans un premier temps l’arrêt de la mise en route de nouveaux programmes – ce serait un encouragement aux peuples des autres pays à s’engager dans des processus équivalents. Remarquons d’ailleurs que l’on ne ferait que faire nous même ce qui est exigé pour l’Iran par exemple. Bien entendu, cela devrait aussi être accompagné d’un retrait des troupes stationnées hors du territoire. Évidemment, un tel désarmement poserait des problèmes compliqués de reconversion du complexe militaro industriel français – sachant que le coût de fabrication d’un porte avion nucléaire est évalué à 225 millions d’euaos pendant 20 ans, sachant que la France vient de lancer la fabrication de 6 sous marin nucléaires dits Barracuda (9 milliards d’euros pièce !), on peut considérer que les sommes ainsi dégagées permettraient de subventionner cette reconversion, voir abonder nombre de budgets sociaux !

Il y a donc une cohérence entre une présence militaire tous azimuts, un budget militaire pharaonique, une doctrine militaire très axée sur le nucléaire : celle-ci n’a en rien permis une indépendance de la politique de la France. En effet, à part l’épisode de la 2ème guerre d’Irak, notre pays s’est à quelles nuances près engagé aux côtés de l’OTAN et des USA.

Bien sûr, la France doit sortir de l’OTAN, mais elle doit aussi rompre avec sa politique militariste et s’engager dans la voie du désarmement nucléaire et conventionnel. S’en remettre à une hypothétique initiative de l’ONU (laquelle devrait bien sûr être soutenue dans le cas où elle interviendrait) qui imposerait aux puissances nucléaires le désarmement est attentiste. D’ailleurs les traités de désescalade signés entre les USA et l’URSS (Salt1 et Salt2 en 1972 et 1979) n’ont pas été d’une grande efficacité. Depuis l’effondrement de l’URSS et des « pays frères », la prolifération n’a pas ralenti. Entre temps, cela impliquerait de continuer à entretenir l’arsenal militaire et donc un effort budgétaire important et laisserait un espace considérable au complexe militaro industriel

La question de la conscription ne peut être isolée de la politique militaire globale et d’une armée au service de cette politique.

La proposition de Jean Luc Mélenchon dans son interview, qui va plus loin que la proposition incluse dans le programme « Nous sommes pour », d’une composante optionnelle dans le cadre d’un service citoyen obligatoire en est manifestement à l’état d’ébauche : les 700000 jeunes concernés-ées chaque année ne seraient pas tous affectés à des tâches militaires mais à des travaux pour faire face à l’urgence climatique, voir à des missions au sein de la police. La notion « d’impôt de temps au service de la patrie » évoquée est dangereuse car cela suppose implicitement que ces jeunes ne seraient pas salariés, juste indemnisés et dans un cadre militaire : la jeunesse qui se mobilise massivement sur les questions de réchauffement climatique, qui paye actuellement un lourd tribut à la crise de la Covid, qui est largement précarisée, qui est très défiante vis à vis des institutions aspire t-elle à ce type de proposition et à ce qui lui apparaîtrait comme un retour vers le passé ? Comment des jeunes immigrés-ées de 2ème ou 3ème génération victimes de contrôles au faciès incessants peuvent ils adhérer à l’idée de seconder la police ?

Discuter d’une proposition de service civique dans des associations, des services publics avec une rémunération au moins égale au SMIC dans le cadre d’un processus avancé de révolution citoyenne où les questions sociales, écologiques et démocratiques seraient au centre peut être une perspective mais, telle que proposée par Jean Luc Mélenchon, il ne semble pas qu’il s’agisse d’une perspective à moyen ou long terme.

Après avoir été installée en 1798 et refusée en 1789 puis 1793, ce débat sur la conscription avait déjà traversé les socialistes à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. En 1913, alors que la menace de guerre avec l’Allemagne était vive, sous l’impulsion de Jaurès, les socialistes refuseront le passage du service national de 2 à 3 ans. Sous Mitterrand, la réduction du service militaire à 6 mois ne sera pas accordée malgré la mobilisation des jeunes et la promesse du candidat. On ne peut pas oublier que l’arrêt de la conscription en 1997 a été vécue par la jeunesse comme un progrès, un soulagement.

Relancer ce débat aujourd’hui dans un contexte de chômage massif des moins de 25 ans, où l’État est et paraît de plus en plus autoritaire au plus grand nombre risque de brouiller le discours politique de l’Insoumission d’une 6ème République sociale écologique et démocratique.

Bernard Galin (44)