On se réveille un matin et on ouvre la radio. On entend encore une fois une nouvelle glaçante. Un camion a fauché volontairement plusieurs dizaines de personnes, attablées aux terrasses, à l’heure du déjeuner, dans l’une des principales rues de Toronto. On pense à Nice, à Berlin, à Londres. On éprouve tour à tour de l’effroi, de la compassion, de la colère. Doit-on encore supporter toutes ces morts et toutes ces souffrances ?
Et on va devoir subir, une fois de plus, les « experts », les amalgames, les prises de position racistes et les délires sécuritaires. Les heures passent, le « terroriste » a été arrêté après avoir tué 10 personnes et gravement blessé 16. On nous dit que ses motifs ne sont pas clairs, mais qu’il ne s’agit sans doute pas de « terrorisme islamique ». Les heures passent encore. Le Premier Ministre canadien déclare enfin que cet attentat était un acte isolé qui « ne menace pas la sécurité intérieure de notre pays ». Fin de l’histoire. Le passage à l’acte d’un cinglé n’intéresse plus personne. Et pourtant…
Pourtant Alek Minassian, le terroriste, n’est pas seul. Il appartient à une communauté active sur les réseaux sociaux, les Incels, (célibataires involontaires), propageant la haine des femmes et des propos appelant ouvertement au viol. Cette communauté virtuelle a commencé comme un « groupe de soutien pour des gens qui n’avaient pas de relation romantique ou sexuelle ». Mais, comme le déclare la psychologue Margaux Bennardi dans le journal La Presse de Montréal, « avec le temps ça s’est développé et il y a eu un discours misogyne et pro-viol qui a découlé de ce groupe-là. On y relie des comportements qui légitiment la violence. On parle de propos haineux à l’égard des femmes, mais aussi, lorsqu’on parle de viol, de crimes haineux à l’égard des femmes… Chez les Incels, ce qui ressort, c’est toute l’idée de la construction identitaire. Ça rejoint la perception du rôle masculin, qui est décrite comme s’il faut absolument être fort, avoir des gènes avantageux qu’eux n’ont pas et que c’est pour ça qu’ils ne peuvent pas entrer en relation ».
L’acte d’Alek Minassian n’est pas un fait isolé. Ce n’est pas l’acte délirant, soudain, d’un déséquilibré. Sur les posts laissés sur les sites Incels et les réseaux sociaux, Minassian fait référence à Elliot Rodgers. Suprématiste masculin, lié lui aussi aux Incels, Rodger âgé de 22 ans était l’auteur d’une tuerie en Californie. Il assassine d’abord deux étudiantes de l’université de Santa Barbara à coups de couteau, puis poursuit sa route en tirant et renversant les passant avant de se suicider à l’arrivée de la police. 6 morts et 14 blessés !
Elliot Rodger fait d’autres émules. En janvier 2017, un attentat a lieu contre la Grande Mosquée de Québec. 6 morts et 8 blessés. L’auteur ? Alexandre Bissonnette, 27 ans, qui déclare à la police avoir été « impressionné » par la vie d’Eliott Rodger et s’être identifié à lui : « je n’en revenais pas qu’il ait fait quelque chose comme ça. C’est comme si j’avais une sorte de connexion avec lui, une sorte d’empathie que je n’avais jamais eue avant ».
Au Canada, plus particulièrement au Québec, ces actions violentes, ces actes de terrorisme, se déroulent dans un climat de montée de groupes d’extrême-droite, comme Pegida, les Soldats d’Odin et, plus particulièrement, La Meute. Ce groupe s’est illustré par des campagnes haineuses contre l’immigration, contre les activités culturelles, sociales et religieuses des associations musulmanes. La Meute, en relation avec les Identitaires français et CasaPound en Italie, refuse farouchement d’être classée à l’extrême droite… au point d’attaquer et de tenter d’empêcher un colloque sur la montée de la violence extrémiste qui se tenait dans un lycée.
Bien entendu, pour le Premier Ministre canadien, « la sécurité intérieure n’est pas menacée ». L’attentat de Toronto n’étant pas le fait de Daesh ne saurait être qualifié d’acte terroriste, mais d’acte isolé d’un déséquilibré. Au Québec, c’est la presse qui a mené l’enquête et révélé les liens d’Alek Minassian avec cette nébuleuse misogyne et raciste. Au sein de la gauche québécoise, une prise de conscience des dangers de la violence d’extrême-droite commence à se faire jour.
Le 23 avril, parmi les 10 victimes assassinées par Alek Minassian, il y avait 8 femmes, âgées de 22 à 90 ans. There is a killer on the road.
Mathieu Dargel