L’expansion mondiale du Covid-19 est le plus puissant révélateur de l’absurdité et de l’injustice du système capitaliste. La pandémie a catalysé les contradictions et mis en évidence l’absence de résilience de nos modes de fonctionnement, aussi bien d’un point de vue économique, que social et écologique. Le parallèle avec le traitement du dérèglement climatique est frappant, cette fois-ci en accéléré.
L’aveu de Macron vaut son pesant d’or : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond à d’autres, est une folie »1. Pour quelqu’un qui a érigé la concurrence au stade de valeur suprême, cela a de quoi surprendre. Les prochaines semaines nous dirons s’il s’agit d’un artifice de communication ou d’un changement de cap – peu probable. Toutefois, il faut reconnaitre qu’il pointe là un problème central : les entreprises privées, par nature, fond de la recherche du profit, leur principale boussole, indépendamment d’autres considérations ou d’encadrements règlementaires.
Or, pour endiguer la pandémie, la santé et la recherche, doivent être soustraites aux lois du marché. La logique comptable est incompatible avec la protection de la santé. Pour pousser le raisonnement plus loin, tout en restant sur le cas du Covid-19, ce sont des pans entiers de nos sociétés qui doivent être modifiés en profondeur.
Les secteurs clés
Premièrement, l’origine de la pandémie réside, comme pour Ebola ou le Zika dans la transmission par des animaux sauvages (le pangolin dans le cas du Covid-19) de microbes pathogènes à l’homme. Les espèces sauvages n’y sont pour rien, en revanche, la responsabilité des humains est importante. La déforestation, l’artificialisation des terres et le développement de l’agriculture intensive réduit sévèrement les milieux naturels poussant les animaux sauvages à se rapprocher des lieux de vie des humains, facilitant, ainsi, la transmission d’agents pathogènes à l’homme2. Sans rentrer dans le détail, éviter l’origine d’épidémie implique de modifier profondément les modèles agricole et de développement urbain, tout en assurant la protection des milieux naturels.
Deuxièmement, la propagation de l’épidémie est renforcée par les déplacements de personnes toujours plus nombreux, sur des distances toujours plus longues. Le développement effréné du tourisme à l’échelle mondiale accentue cette tendance. Eviter les facteurs de propagation de l’épidémie nécessite de réduire rapidement et drastiquement ces déplacements superflus et non-nécessaires. Bien évidemment, les mesures de quarantaine sont d’une autre nature et s’appliquent à des déplacements non superflus.
Troisièmement, le traitement de l’épidémie exige d’avoir des systèmes de santé robuste et résilient. Pour cela, des investissements publics conséquents et sur le long terme doivent être entrepris – de même pour la recherche fondamentale3. Or la logique court-termiste néolibérale et les injonctions des institutions financières internationales empêchent les Etats d’avoir les moyens financiers suffisant pour maintenir la qualité des soins. Même lorsqu’une crise économique majeur est à notre porte, la Banque centrale européenne refuse d’annuler les obligations d’État qu’elle a achetées ces dernières années4. Sortir du cadre économique et monétaire néolibérale est indispensable pour avoir les moyens humains et financiers de traiter la pandémie.
Enfin, pour ne pas rajouter de la désorganisation au désordre, les chaines de production, en particulier des biens essentiels pour traiter l’épidémie (médicaments, matériel médical, etc.) doivent être réorganisées. Aujourd’hui, 80% des principes actif des médicaments utilisés en Europe sont produits en dehors du continent. C’est-à-dire que l’Europe n’a pas la maitrise de la production de médicaments, ce qui pose de sérieux problème en termes de sécurité d’approvisionnement et plus généralement de souveraineté. Par extension, ce sont toutes les chaines de production en flux tendus réparties sur plusieurs pays et plusieurs continents qui se retrouve impactées. Relocaliser les économies et la production permettrait de mieux absorber les crises sanitaires, mais aussi différents types de chocs, tels les événements météorologiques extrêmes.
Le parallèle est frappant entre les moyens qui permettraient d’éviter et de freiner les pandémies avec les mesures qui empêcheraient un emballement incontrôlé du climat. Ce sont les mêmes raisons de fond qui s’applique5. Il est d’ailleurs révélateur que la baisse prononcée de la production en Chine se soit traduite par une amélioration sensible de la qualité de l’air. Selon la NASA, les émissions de dioxyde d’azote (NO2) ont diminué de 10 % à 30 % depuis le début de la pandémie. De plus, selon le Centre de recherche sur l’énergie et la qualité de l’air, la pandémie aurait également entraîné en Chine une réduction de 200 millions de tonnes des rejets de CO26.
Centralité de la science, temporalité et planification
Comme pour le climat, l’apport de la science dans la gestion de la crise sanitaire est fondamental. C’est la science qui dicte le type de mesures de précaution et de traitement, leur ampleur et leur durée. Bien souvent, les autorités publiques sont en-deçà des recommandations formulées par les scientifiques. C’est le cas pour le Covid-19, ça l’est encore plus le climat. Les logiques électoralistes qui prévalent et les intérêts des transnationales prennent souvent le dessus.
Il est d’ailleurs frappant de voir que les mesures de distanciation sociale concernent principalement les secteurs publics et les petites et moyennes entreprises mais pas les grands groupes. Même en cas de danger imminant, les dirigeants politiques font tout pour préserver le processus d’accumulation du capital. Toutefois, il faut faire attention à ne pas idéaliser la science. Le secteur scientifique, comme tous les autres, n’est pas exempté d’influences politiques. La solidité et l’encrage des mesures prises repose en grande partie sur le degré d’élaboration collective et de débat démocratique.
La question de la temporalité est surdéterminante. Dans les deux cas – mais avec des échelles de temps bien évidemment différentes – le temps joue en notre défaveur. Plus les mesures sont prises tôt, plus elles permettront d’éviter par la suite des conséquences désastreuses. La pandémie a avancé plus vite que les pays ont pris des mesures de quarantaine. Dans la lutte contre le dérèglement climatique, nous avons un train de retard, si ce n’est pas plus. Le Covid-19 nous enseigne, à nos dépens et en accéléré, qu’il est capital de reprendre la maitrise du temps.
Enfin, le Covid-19 remet au gout du jour la planification et la coordination. Planifier, c’est pouvoir anticiper, prendre les devants et être préparer quand une situation de crise se présente. Pour cela, la puissance publique doit reprendre le contrôle des secteurs stratégiques. Seule la sphère publique est garante de l’intérêt général et a les capacités de pouvoir intervenir dans tous les domaines de la société sur le long terme. Concernant la pandémie actuelle, cela passe par la socialisation des hôpitaux privés et des entreprises pharmaceutiques. Pour ce qui concerne le climat, les entreprises énergétiques doivent être sociabilisées. Les actions doivent aussi être coordonnées à l’échelle mondiale. Le repli sur soi et la concurrence entre les peuples et les Etats ne peuvent qu’aggraver les facteurs de crise.
Accélérateur du changement de paradigme
La déflagration et la profondeur de la crise sanitaire font chanceler les piliers déjà branlants du capitalisme. La crise peut amener le meilleur comme le pire. Le pire avec la relance effrénée de la croissance et l’approfondissement de la dérive autoritaire sous l’argument du besoin de l’Etat fort pour faire face à l’instabilité et aux menaces toujours plus grandes. On l’a vu en Chine où une situation d’urgence à entrainer le contrôle accru des populations. Ce qui peut déboucher ensuite sur des formes de « fascisme vert », où l’autoritarisme est justifié par la nécessité de prendre des mesures impopulaires et radicales.
A l’opposé, la pandémie peut faire partie de ces éléments imprévus et imprévisibles qui accélèrent l’histoire et la font basculer7. En servant de catalyseur, la pandémie agit comme un formidable révélateur de l’absurdité du système. Comme un parfait exemple de ce qui faut faire et ne pas faire : oui des mesures radicales sont possibles et non il ne faut pas laisser le marché décider de nos vies. Cela permet de faire sauter les dogmes, évoluer les mentalités et d’entrevoir des possibles. Les révoltes populaires qui ont vu jour ces derniers mois au Chili, au Liban ou en Algérie montraient déjà le rejet de plus en plus puissant du modèle néolibéral.
Une fois la pandémie passée, il ne faudra pas relancer la machine productiviste mais au contraire profiter de l’accalmie sur le front de l’exploitation de la nature pour opérer une bifurcation. Une bifurcation rendue potentiellement possible par l’effondrement idéologique du système actuel et par la possibilité de mesures radicales.
Pierre Marion
1 Extrait du discours d’Emmanuel Macron du 12 mars 2020 : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/13/emmanuel-macron-vante-une-france-unie-contre-le-coronavirus_6032860_3244.html
2 Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde Diplomatique, Mars 2020
3 « Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments », Le Monde, 29 février 2020 : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/02/29/bruno-canard-face-aux-coronavirus-enormement-de-temps-a-ete-perdu-pour-trouver-des-medicaments_6031368_1650684.html
4 Coronavirus: les mauvaises priorités de la BCE et de l’Europe, Mediapart, 12 mars 2020 : https://www.mediapart.fr/journal/international/120320/coronavirus-les-mauvaises-priorites-de-la-bce-et-de-l-europe?page_article=1
5 Daniel Tanuro, « Huit thèses sur le coronavirus », Gauche anticapitaliste, 10 mars 2020 : https://www.gaucheanticapitaliste.org/huit-theses-sur-le-coronavirus/
6 Le coronavirus, un répit pour la planète, Le Monde, 13 mars 2020 : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/13/le-coronavirus-un-repit-pour-la-planete_6032848_3244.html
7 Christophe Aguiton, « Un monde instable et imprévisible à l’heure du coronavirus », Attac, 11 mars 2020 : https://france.attac.org/nos-idees/placer-l-altermondialisme-et-la-solidarite-au-coeur-des-relations/article/un-monde-instable-et-imprevisible-a-l-heure-du-coronavirus