Tout le monde a compris qu’il y avait dans le discours de Macron au Collège des Bernardins une portée politicienne, visant à parachever le marquage « à droite » du macronismse, en tentant de tirer le tapis sous les pas des identitaires à la Wauquiez. Mais les arguments avancés vont manifestement au-delà.
Les soutiens de Macron s’indignent qu’on ait extrait une seule phrase de son discours devant la Conférence des Évêques de France. Celle où il affirme, en notre nom à tous en tant que Président : « …nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer ». Certes cette phrase est d’une gravité exceptionnelle, et on va y revenir.
Mais la lecture du reste du discours aggrave le cas au lieu de l’atténuer. « …ne renoncez pas à la République que vous avez si fortement contribué à forger », dit-il aux évêques au mépris de toute vérité historique. Parce que le « vous », c’est bien l’Eglise catholique en tant que telle, et non la part des catholiques qui s’est trouvée du bon côté dans des occasions fondamentales. Quand Macron les cite, ces occasions, « (les) résistants de 40, des Justes aux refondateurs de la République », c’est non seulement pour les mélanger à d’autres, inverses, « l’Union Sacrée de 1914 », mais pour les attribuer à l’Institution en tant que telle. Il fallut pourtant attendre l’encyclique de Léon XIII, Au milieu des sollicitudes (Inter Sollicitudines), en 1892, pour voir enfin, un siècle après la naissance de la République, un timide ralliement à ses principes. Quant à l’attitude de l’Eglise sous Pétain, il faut vraiment détailler ?
Sacrée myopie encore quand Macron énonce « les mêmes associations catholiques et les prêtres accompagnent des familles monoparentales, des familles divorcées, des familles homosexuelles, des familles recourant à l’avortement, à la fécondation in vitro, à la PMA ». Qu’il y en ait, tant mieux, c’est heureux. Que ce soit la parole de l’Institution qui peut y croire une seule seconde ? Oubliées les imprécations contre la contraception et le préservatif en pleine épidémie de Sida ? Macron va de plus jusqu’à utiliser la formule scandaleuse, « familles homosexuelles » (au lieu de « homoparentales »), comme si on pouvait définir une famille (donc les enfants) par un choix sexuel des parents ! Sans faire de psychanalyse de bas étage, on devine les ravages idéologiques de « la Manif pour tous »…
Et voilà, c’est là, dans l’Eglise catholique que serait « le réel » : « Nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d’une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme ». Clarté, c’est beaucoup dire. Pour qui se souvient que Macron fut l’élève de Ricoeur, et des trésors d’herméneutique dont le philosophe chrétien (protestant) dut faire preuve pour tenter de réconcilier un semblant de pensée rationnelle avec la glose biblique ! Mais c’est un autre débat, il est vrai.
L’idée de base ne fait pas de doute : asséner l’idée, encore et encore, quant aux « racines chrétiennes de la France », avec des formules ciselées, comme la suivante « …la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation ». Racines qui s’étendent évidemment à l’Europe, avec cette autre formule : « …ne renoncez pas à cette Europe dont vous avez nourri le sens »
Et maintenant retour à la phrase qui a marqué les esprits, à très juste titre. Le lien entre l’Eglise et l’Etat aurait été abimé. Quand ? Par qui ? Comment ? Et « lien » ? Entre l’Eglise et l’Etat ? Enfin quand même, la Loi de 1905 ne vise t-elle pas explicitement à briser de tels types de « liens » ? En son article 2, ne dit-elle pas « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » ? Et de plus, entre ces cultes, Macron fait une hiérarchie en affirmant, de manière stupéfiante pour un Président de la République astreint à la discrétion en la matière : « Pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles, je me fais une plus haute idée des catholiques. ». Pas des Musulmans ou des Juifs donc ? Et pas des non croyants, incapables d’avoir leur propre « vision transcendante de l’Homme » ? N’est-ce pas Sarkozy qui, déjà, en 2007 affirmait « L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » ? Pas de morale sans Dieu, c’est ça ? Comme la vieille rengaine réactionnaire ? On voit le risque, mortel. Retisser « le lien » entre l’Eglise catholique et l’Etat et c’est toute la vieille gadoue qui remonte à la surface.
Macron prétend qu’il s’agit là d’un débat sur la nature de la laïcité. Il affirme : « Je considère que la laïcité n’a certainement pas pour fonction de nier le spirituel au nom du temporel, ni de déraciner de nos sociétés la part sacrée qui nourrit tant de nos concitoyens ». Non, effectivement. Et d’ailleurs la Loi de 1905 assure dans son article premier « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ». On ne peut prétendre « garantir la liberté » et transformer l’Etat en arme contre cette liberté. Et il s’en déduit que cette liberté n’est pas limitée à la sphère privée. Le débat public, politique, idéologique se fait avec toutes les familles de pensée, y compris les pires réactionnaires de l’Eglise catholique (et donc il faudrait alors parler de combat plus que de débat). Et y compris de l’autre côté en alliance avec ses secteurs progressistes qui ont toujours existé, heureusement. Comme dans les autres religions. « Nous avons reçu la charge de l’héritage de l’homme et du monde » dit Macron. Mille pardons, « nous » n’avons aucun héritage commun, sauf des rivières de sang, avec les massacreurs de la Commune. Et nous en avons avec les Chrétiens « porteurs de valise » du FLN. C’est si difficile à comprendre ?
Mais la garantie de cette liberté de conscience est justement la séparation entre les Eglises et l’Etat. Que l’on la remette en cause aussi gravement et c’est un danger mortel pour la paix civile entre citoyen-ne-s d’options différentes. C’est un siècle de retour en arrière. On voit bien, au-delà des tropismes propres à Macron et à son passage chez les Jésuites, une autre logique profonde de la chose. Le capitalisme, voilà un système vraiment « sans morale ». Et il en est de même avec le néo-libéralisme, avec l’option de la concurrence de tous contre tous. Equilibrer un tel amoralisme par le goupillon, c’est ce sur quoi peuvent compter par exemple les secteurs réactionnaires états-uniens. Et qui leur manque terriblement en France du fait de notre histoire. Mais justement : remettre en cause les bases de la Loi de 1905 pour y parvenir, ce serait allumer un incendie dont nul ne peut prévoir l’ampleur.
Samy Johsua. Publié sur le Club Médiapart.