Le fort recul électoral de la France insoumise aux élections européennes par rapport aux dernières élections présidentielle et législatives a de multiples causes que nous ne prétendons pas analyser ici. Force est de constater que nous n’avons pas, après la séquence présidentielle de 2017, su maintenir la dynamique et nous ancrer fortement et durablement dans la société. Des signes avant-coureurs nous laissaient craindre un recul, même si nous ne nous attendions pas à ce qu’il soit aussi marqué, notamment l’affaiblissement du réseau militant et les départs de plusieurs responsables. Si les causes de l’échec sont multiples, notre conviction est qu’il est en grande partie lié au mode de fonctionnement de notre mouvement depuis sa création. Sur cette question comme sur d’autres, une sérieuse analyse interne est indispensable.
Cette note est donc une contribution interne et positive pour nourrir la réflexion et nous aider à faire face à l’avenir dans l’inquiétant panorama politique actuel. Elle témoigne également que ce mouvement est notre bien commun et que nous souhaitons le promouvoir. Faute d’instances de débat et de délibération communes, nous n’avons pas d’autres solutions que de l’adresser aux principaux responsables et élu.e.s du mouvement.
La France insoumise, née autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, a voulu se constituer comme un mouvement large, ancré dans la société, souple dans son fonctionnement et qui ne répète pas certains travers des partis politiques traditionnels (luttes entre fractions et personnes, etc.). De cette conception est notamment née une organisation en groupes locaux (d’abord « groupes d’appui » puis « groupes d’actions ») disposant chacun d’une grande autonomie et permettant de regrouper des personnes ne souhaitant pas s’ « encarter » dans un parti politique.
Mais, en parallèle, aucune véritable instance de décision collective ayant une base démocratique n’a été mise en place. Ceci ne signifie pas que les membres de la France insoumise ne soient pas consultés, ne puissent pas donner leur avis (consultations en ligne sur les programmes ou sur les campagnes, conventions) ou ne puissent pas s’impliquer dans le travail national au travers notamment les équipes thématiques. Mais les décisions stratégiques fondamentales sont finalement prises par un petit groupe de personnes, dont on ne connaît même pas précisément la démarcation – prérogatives, champ d’action, identité, statut sans qu’ils aient pour autant reçu de véritable délégation de la part du mouvement pour le faire.
Les positions politiques publiques proviennent essentiellement du groupe parlementaire, qui a bien entendu toute légitimité pour prendre des positions, mais qui n’a pas reçu de mandat de la part du mouvement pour le faire en son nom. Ne pas reproduire les travers des partis traditionnels est évidemment une problématique cruciale ; mais si nous n’y prenons garde, notre mouvement finira par tomber dans les excès de ceux qu’on a appelés des « partis d’élus ». Les équipes thématiques peuvent également prendre des positions, mais généralement sans qu’elles ne soient assumées par le mouvement en tant que tel et sans possibilité d’utiliser les outils de la FI (site internet) pour les faire connaître, ce qui constitue d’ailleurs bien souvent un facteur de découragement des militant.e.s impliqué.e.s dans les équipes thématiques. La campagne des élections européennes a été particulièrement impactée par ces incertitudes (tiraillements programmatiques autour de la stratégie plan A/plan B, mot d’ordre de « référendum anti Macron », relativisation du rôle des députés européens, procédures d’arbitrage autour des questions animales/agricoles ou bien des droits d’auteur en lien avec le programme et les livrets, manque de liaisons entre les équipes thématiques, les candidat.e.s et les réponses de l’équipe de campagne aux courriers extérieurs, annonce d’une « fédération populaire » à venir…). Une certaine logique descendante a été ressentie à la base par les insoumis.es dans les groupes d’actions et les excandidats signataires en ont souvent été témoins durant la campagne sur le terrain.
Les Conventions nationales remplissent certes une fonction de communication, les méthodes issues de l’éducation populaire avec des participant.e.s tiré.e.s au sort peuvent permettre de « prendre le pouls » des participants sur différentes questions, mais elles ne peuvent en aucun cas structurer un débat démocratique impliquant les membres, les groupes locaux et des instances représentatives et n’aboutit pas à des décisions. Quant au travail d’élaboration programmatique, les décisions finales relatives aux amendements des insoumis.es sont prises hors de toute délégation explicite et sans transparence sur les circuits de décision et motivations des choix réalisés en notre nom. Les textes sont bien sûr finalement approuvés par voie de consultation internet, mais sans aucune exigence particulière quant au niveau de participation et sans que les insoumis.es ne soient invité.e.s à trancher les éventuels points faisant débat, et qui au demeurant ne sont pas identifiés.
Ce type de fonctionnement n’a pas posé de réel problème tant que nous étions dans la campagne électorale pour les élections présidentielle et législatives. Nous avions alors en effet besoin d’un mouvement pleinement engagé dans la campagne tel une « armée en marche ». Mais, un tel fonctionnement n’a plus de justification et n’a pas d’avenir une fois cette phase passée. Et il est dangereux pour l’avenir du mouvement. Or, les évolutions attendues par beaucoup en termes de fonctionnement démocratique ne sont pas arrivées. Nous sommes nombreux à avoir été consternés, et sans instance pour en parler, de voir que, le temps passant, aucun processus de structuration démocratique n’était engagé. Les annonces faites quant à la mise en place d’une instance permettant une « meilleure coordination » entre les différents « espaces » du mouvement ne résolvent en aucun cas ces problèmes de fond. Il est d’ailleurs à noter que les outils annoncés lors de la convention de décembre ne sont toujours pas institués, et que la synthèse des réflexions sur la structuration du mouvement n’est toujours pas publiée à notre connaissance. Elle était pourtant brandie comme devant répondre aux inquiétudes que certains d’entre nous exprimaient dans un courrier interne daté du 9 janvier. Et à nouveau, il est prévu d’y réfléchir lors de l’assemblée représentative du 23 juin… Mais que deviennent les contributions ?
De même, le fonctionnement pouvait ne pas poser de problème majeur tant qu’il n’y avait de pas débats de fond à arbitrer (question européenne, relations avec le reste de la gauche…), tant que l’attitude et la stratégie des dirigeants semblaient incontestables et tant que la question de la nomination de candidats à une élection nationale ne se posait pas. Mais, dès que ces conditions n’ont plus été réunies, suite notamment aux perquisitions et dans le cadre de la préparation des élections européennes, nous avons pu constater que les problèmes pouvaient surgir très rapidement. Et bien entendu, nos ennemis ont su exploiter la situation, contribuant à notre affaiblissement.
Les réponses faites à ce type de critiques sont connues : « Nous ne voulons pas fonctionner comme un parti politique classique, nous sommes un mouvement ». Mais d’où vient cette idée qu’un mouvement perdrait son identité de mouvement dès lors qu’il se doterait de véritables instances collectives et démocratiques de débat et de délibération ? Bref, dès lors qu’il installerait, en l’améliorant, ce qu’il y a finalement de plus positif dans le fonctionnement de certains partis politiques ou tout simplement d’autres organisations du mouvement social que nous côtoyons ?
Cette prétention de construction d’un mouvement suffisamment « gazeux » pour être à l’abri des tensions entre « courants » ou « fractions », et à l’abri des enjeux de pouvoir, est un leurre.
D’une part, il existera toujours des sujets de débat. Refuser d’organiser démocratiquement ces débats, c’est se condamner à ce que, peu à peu, tous ceux et toutes celles dont le point de vue n’aura pas été retenu par la « direction » s’écartent du mouvement, que ce soit ou non de manière silencieuse : non pas parce que leur position n’aura pas été reconnue comme majoritaire, mais parce qu’ils n’auront pas eu la possibilité de la défendre et de la voir tranchée démocratiquement. Ou alors il faudrait que le petit groupe décisionnel ait la capacité suffisante de construire des consensus entre les différents points de vue, ce qui est beaucoup lui demander. De plus, un consensus est accepté par les uns et les autres quand il est ressenti comme un consensus où les uns et les autres ont renoncé à leur position initiale (sur le modèle des ateliers des lois). Une même position a priori consensuelle, mais élaborée et tranchée par un petit groupe sans légitimité démocratique, risque fort d’être rejetée alors même qu’elle aurait été acceptée dans le cadre d’un processus participatif et partagé de construction de ce même consensus. D’autre part, les ambitions individuelles et enjeux de pouvoirs semblent ne pas pouvoir être supprimés. La question est alors de savoir comment les réguler, c’est-à-dire de déterminer les modalités d’un accès démocratique à des responsabilités (dans les instances internes ou en matière de candidature aux élections) à l’issue d’un débat éclairé. Dans le cas contraire, le mouvement ne fera que nourrir les frustrations et accélérer le départ de celles et ceux qui sont écarté.e.s.
Enfin, comme en témoignent plusieurs épisodes de la campagne des européennes, l’absence de statuts – définissant notamment la qualité de « membre » du mouvement et les modalités de son « exclusion » ou encore édictant des règles de cumul de fonctions au sein du mouvement – est particulièrement préjudiciable, puisque ces faits sont systématiquement exploités par nos adversaires et minent par ailleurs la confiance des militants dans le mouvement.
Finalement, l’ambition que nous avions pour certains au sein du Parti de gauche de constituer un « parti creuset » et la prolongation, voire le renforcement de cette logique dans le cadre du mouvement de la France insoumise, apparaît contradictoire avec le fonctionnement actuel de la FI qui combine une certaine horizontalité en termes de fonctionnement, mais une grande verticalité en termes de décisions collectives. Les événements des derniers mois en témoignent. Mais, au-delà du départ de personnalités connues, le plus inquiétant est l’affaiblissement global du mouvement et les départs silencieux de celles et ceux qui ne reviennent plus car tout simplement ils.elles ne se sentent plus « à l’aise » ou « utiles » dans le mouvement. En d’autres termes, l’identification au mouvement s’estompe, sans que les causes profondes ne soient nécessairement exprimées, voire analysées de leur part.
Il est indispensable de comprendre qu’en France et au XXIe siècle, il n’y a pas de viabilité à moyen et long terme d’un mouvement fortement ancré dans la société sans une pleine identification de ses membres au mouvement. Ceci implique, audelà de l’engouement lors d’une campagne pour un homme/une femme et un programme, qu’ils se sentent pleinement partie prenante des décisions et souverains sur la composition des instances et la nomination des responsables du mouvement et des candidats aux élections. La perte d’un nombre considérable de militants, mettant même en péril la possibilité de présenter des listes aux municipales, devrait à elle seule retenir l’attention des dirigeants.
Sans trancher ici sur les alternatives possibles, nous considérons qu’il y a urgence à nous doter d’une véritable structuration démocratique qui soit notamment en mesure d’organiser l’indispensable débat interne sur notre stratégie pour les mois et les années à venir.
En tout état de cause, pour l’Assemblée représentative du 23 juin, il est indispensable que :
1- de véritables débats contradictoires puissent avoir lieu, ce qui implique que le temps nécessaire y soit consacré. De ce point de vue, l’organisation en ruches paraît parfaitement insuffisante si elle ne débouche pas sur des prises de parole en pour et contre qui laissent se déployer les arguments ;
2- les insoumis aient la possibilité de proposer des textes au vote de l’Assemblée, textes qui trancheront la ligne politique à suivre et surtout les contre-pouvoirs internes permettant de la valider tout au long des prochaines séquences, électorales ou non ;
3- le principe d’une assemblée constituante du mouvement soit acté pour la rentrée prochaine, en charge notamment de définir la structuration et le mode de fonctionnement démocratiques de notre mouvement.
Nous demandons en conséquence que le processus d’organisation en amont soit transparent, la plate-forme numérique soit d’ores et déjà ouverte pour accueillir les propositions ; que l’ordre du jour de l’Assemblée soit voté par celle-ci ; que cette Assemblée ne soit pas clôturée par un grand discours mais par une synthèse des travaux.
Sonia ANTON, militante FI Le Havre.
Krimau BELKACEMI, militant et ancien candidat FI aux élections législatives.
Brigitte BLANG, militante FI Moselle, co-animatrice du Livret « Forêt ».
Pascale BRACHET, militante FI Le Havre.
Jean-Marie BROHM, militant FI Strasbourg, ancien candidat aux élections européennes.
Thomas CHAMPIGNY, ancien candidat aux élections européennes, rapporteur de l’équipe « Numérique ».
Christiane CHOMBEAU, journaliste, Rédactrice en Chef de L’Heure du Peuple, membre du Comité électoral.
Philippe COLLIN, paysan, militant FI à Blacy (Yonne), membre de l’équipe « Agriculture ».
Hendrik DAVI, militant FI Marseille, co-animateur Livret « Enseignement Supérieur et Recherche ».
Martine DORRONSORO, militante FI à Eysines et Blanquefort, co-animatrice du GA « Portes du Médoc ».
Romain DUREAU, militant FI Clermont-Ferrand, ancien candidat aux élections européennes, membre de l’équipe « Agriculture et alimentation », co-rapporteur du chapitre « Planification écologique » de l’AEC.
Pascal ETIENNE, coordinateur et représentant de GA.
Matthieu FAURE, militant FI Nîmes, co-animateur de l’équipe « Numérique ».
Jean-Philippe FLEURY, militant FI Bordeaux.
Clément FRADIN, militant FI Paris 5e.
Hélène FRANCO, militante FI Paris, co-animatrice du livret « Justice ».
Charlotte GIRARD, ex-responsable du programme « L’Avenir en Commun ».
Alain GRAUX, FI Ouche et montagne, Côte d’Or.
Nicolas GUILLET, co-animateur du GA Le Havre centre-ville, ancien candidat aux élections européennes.
Lauriane JOURDAIN-CASAURANG, militante FI Bordeaux, co-animatrice du GA fonctionnel « Programme » de Bordeaux.
Catherine LENGELLE, militante FI, Sainte Geneviève des bois (Essonne).
Murielle KOSMAN, militante FI Caen, ancienne candidate aux élections européennes.
Manon LE BRETTON, responsable de l’Ecole de Formation Insoumise, ancienne candidate aux élections européennes, co-animatrice du GA Castelnaudary Insoumise.
Jeannick LEGADEC, maire-adjointe LFI de Champigny-sur-Marne (94).
Laurent LEVARD, militant FI Paris 17e, co-coordinateur des équipes thématique s de la FI, coanimateur de l’équipe « Agriculture et alimentation ».
Jean-Charles LALLEMAND, militant FI Paris 11e, ancien co-animateur du livret « Droits nouveaux – LGBTI ».
Laurence LYONNAIS, militante FI Haut Doubs, ancienne candidate aux élections européennes, membre de l’équipe agriculture et alimentation et du livret « Planification écologique ».
Denise MARSETTI, militante FI Alès.
Alain MIH, militant FI Moselle, ancien candidat LFI 1re circonscription des Pyrénées Orientales.
Pierre-Yves MODICOM, militant FI Bordeaux, co-rapporteur de l’équipe thémati que « Enseignement Supérieur et Recherche ».
Jean NADAL, militant PG/FI Groupe de Sartrouville.
Jonathan OUTOMURO, militant FI Moselle, candidat à Forbach aux élections législatives de 2017.
François PAPIAU, militant FI Cadaujac, co-animateur de GA, ancien candidat aux législatives.
Louise ROUAN, co-animatrice de l’équipe Numérique
Lucie ROUSSELOU, animatrice GA Alès, ancienne candidate aux élections législatives pour la France insoumise.
Victor SAILLARD, militant LFI Caen
Alexandre SCHON, militant FI Paris, membre de l’équipe « Numérique ».
Geneviève TEYSSIER, militante FI Parempuyre.
Frédéric VIALE, ancien candidat aux élections européennes, membre de l’équipe thématique « Produire en France » et du groupe « Questions internationales ».
Karine VOINCHET, animatrice GA « LAMI Nîmes », ancienne candidate aux élections législatives pour la France insoumise.