Instagram RSS

Le projet de loi Dussopt vise à porter le coup de grâce à la Fonction Publique

La Fonction Publique a déjà été bien affaiblie par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux de l’ère Sarkozy. La Fonction Publique d’État a ainsi perdu 10% de ses effectifs depuis 2005 et on recense aujourd’hui 185 000 contractuels en plus sur les trois fonctions publiques.  Entre janvier 2000 et aujourd’hui, le gel du point d’indice a induit une baisse de 16 % du pouvoir d’achat des fonctionnaires. Conséquences de ces politiques : moins de service public pour les administrés, précarité, souffrance au travail et « burn out » pour les salariés.

Mais le gouvernement veut aller plus loin et plus vite, il a déposé le 27 mars sur le bureau de l’Assemblée Nationale le projet de loi de transformation de la fonction publique qui sera examiné en procédure accélérée. Au vu de la réaction unanime des syndicats pour critiquer ce projet, on comprend la volonté du gouvernement d’abréger les débats. Ce projet prépare le terrain pour atteindre trois objectifs : (1) diminuer le nombre de fonctionnaires, (2) en finir avec le statut de la Fonction Publique (FP), (3) et enfin soustraire du périmètre du service public des secteurs entiers pour les transférer au privé.

Gérald Darmanin a confirmé la volonté de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires », comprenant 70 000 postes territoriaux et 50 000 étatiques. Quels seront les sacrifiés ? Nous ne le savons pas aujourd’hui. Mais rien n’indique que l’Education, l’Enseignement Supérieur et la Recherche, la Santé ou la Justice ne feront pas partie des services abandonnés à des délégations de services publics de droit privé.

La loi Dussopt prépare juridiquement la Fonction Publique à ces restructurations d’ampleur, car il faudra bien « accompagner » tous les agents dont les services seront supprimés et elle organise en parallèle la casse du statut.

Le premier axe de la loi est de diminuer les droits des salariés et leurs possibilités de recours. Comme dans le privé, depuis la loi Travail, les CHSCT et les comités techniques seront supprimés et remplacés par des comités sociaux d’administration (articles 1 et 2). Le deuxième axe est le recours facilité à des CDI non fonctionnaires et à de nouveaux contrats sur projets pouvant prendre fin n’importe quand, à l’appréciation de la hiérarchie, contrat d’une durée maximale de 6 ans et n’ouvrant aucun droit à titularisation (articles 6 et 7). Le troisième axe est de modifier le statut de la fonction publique (i) en favorisant une politique de mobilité pour faciliter la suppression de certains services (articles 9, 20 à 24), (ii) en développant les rémunérations au mérite (articles 10 et 11), les CAP[1] étant dessaisies de la politique d’avancement (articles 3 et 12) et (iii) en ouvrant la possibilité de rupture conventionnelle de contrat (article 24).

Si la loi passe, nous pouvons gager qu’à terme cela signifie la fin du statut de fonctionnaire. On ne recrutera plus que des contrats sur projets et des CDI non fonctionnaires. Par le biais de la mobilité lors de la fermeture des services, les fonctionnaires restants seront contraints à partir ou à changer de statut. France Telecom et la Poste sont déjà passés par ces processus.

Mais c’est aussi, « au passage », la fin des concours nationaux. En effet, lors d’une rencontre avec la Ministre dans un cadre syndical, celle-ci s’est vu demander pourquoi le recrutement en CDI semblait exclu dans l’ESR (article 7 du projet de loi):

« Les emplois des établissements publics de l’État, à l’exception des emplois pourvus par les personnels de la recherche. Les agents occupant ces emplois peuvent être recrutés par contrat à durée indéterminée »

Nous pouvons nous féliciter que les personnels de la recherche soient une exception. En réalité, le contrat sur projet est une solution « idéale » dans la recherche, ils n’ont même pas besoin de CDI pour y casser le statut de fonctionnaire. Mais la raison de cette exception en dit long sur le projet de loi. C’est selon la Ministre pour protéger le recrutement sur concours de ces personnels…Ce qui veut dire que pour tous les autres emplois de la Fonction Publique, il n’y aura plus de concours, mais des recrutements de CDI directement par les structures locales. Au passage, c’est donc la fin programmée de l’agrégation et du CAPES…Un fantasme ? Non cela a déjà commencé. Le 21 mars 2019, les députés ont approuvé la création, par voie d’ordonnance, d’un statut unique de Praticien Hospitalier (PH), associé à la suppression du concours de PH, dans le cadre du Projet de Loi « Ma Santé 2022 ».

Le concours et le statut de fonctionnaire permettaient d’assurer l’égalité d’accès de tous et de toutes à ces fonctions. Certes ce système a ses défauts et n’empêche pas les discriminations sociales, raciales et sexistes qui sont reproduites dans le système scolaire. Mais la casse de ce système n’arrangera en rien à ces travers. Pire, cela met à mal l’indépendance des acteurs du service public à la merci de petits chefs de services qui les emploieront et décideront directement de leurs avancements (article 10 et 11 de la loi).

Enfin, le risque d’externalisation massive de certains services n’est pas non plus un fantasme. Un rapport remis à Gérald Darmanin par Webhelp, leader européen de la relation client, préconise de transférer certaines fonctions support au privé, pour économiser 35 milliards d’euros. A chaque fois qu’un service public a été privatisé (Telecom, Poste, EDF, GDF), les prix ont augmenté. Le résultat sera donc surtout de juteux profits pour certaines entreprises.

Cette casse des statuts rend ensuite possible une véritable privatisation d’une grande partie des services publics. Si les citoyens pensent que de telles privatisations auront comme conséquence une baisse de leurs impôts, je leur conseille de regarder leurs factures d’électricité, le prix du timbre ou celui des billets de train. La gestion privée des services publics n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les contribuables et salariés. Aux USA où le système de santé et l’enseignement supérieur sont largement privatisés, la part des richesses investit dans ces secteurs est largement supérieure à la France (respectivement 17.2% contre 11%[2] et 2.6% contre 1.5%[3]) en dépit d’un service rendu de moins bonne qualité, notamment pour les plus pauvres.

Avec les changements globaux et de la crise sociale, nous n’avons jamais eu autant besoin de services publics avec des fonctionnaires indépendants pour répondre aux besoins sociaux et pour engager la transition écologique.

Hendrik Davi. 

Une version un peu différente de cet article est dans la l’actualité du livret Enseignement Supérieur et Recherche de la France Insoumise.

[1]  Commissions Administratives Paritaires

[2] https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/health_glance-2017-45-fr.pdf?expires=1554791388&id=id&accname=guest&checksum=4D074B04989E28983C5E0513C9D50F84

[3] https://data.oecd.org/fr/eduresource/depenses-d-education.htm