On en parle peu, mais en même temps que la réforme du bac général va s’appliquer celle du bac professionnel. Elle intéresse peu les médias, pas plus que ne les intéressent les conséquences que cette réforme induit sur un public élève issu des classes populaires et modestes.
Que réserve cette réforme, notamment en ce qui concerne la « rénovation des programmes » ?
En congés scolaires depuis le 22 février, quelle ne fut pas ma surprise quand, consultant une de mes boites aux lettres mail, je constatais qu’un message de nos inspecteurs (de nos disciplines français, Histoire, Géographie et Éducation Morale et Civique) nous invitait, mes collègues et moi-même, « à prendre connaissance des programmes et à participer à la consultation nationale à propos de ceux-ci ». Dans sa grande magnanimité, le ministère nous donnait largement entre le 18 février et le 3 mars, en pleine période de vacances scolaires pour le faire !
Mais jamais rebutée par le travail durant les congés, je suis allée consulter les programmes d’une part et j’ai généré un lien pour pouvoir participer à la consultation d’autre part.
Je reviendrai sur la dite « consultation » qui vaut le détour.
Programmes et objectifs
Penchons nous avant tout sur les programmes et leurs objectifs.
Ce que l’on sait déjà c’est que moins d’heures seront destinées, sur les trois années de bac pro comme pour les deux années de CAP, à l’étude disciplinaire du français et de l’histoire-géographie. Aussi difficile de croire aux termes exprimés par le ministre Blanquer dans sa lettre de saisine du conseil supérieur des programmes, qui affirme : « l’enjeu est à la fois de consolider les acquis du collège et de permettre aux élèves d’acquérir une culture générale solide, qui leur sera utile dans la vie professionnelle comme dans la vie civique ». Mais ce qu’il faut retenir de ce courrier de cadrage c’est surtout l’insistance en différents passages, sur les « partenaires économiques » à impliquer dans la voie pro (comme si cela n’existait déjà pas!), sur le rôle de l’apprentissage, sur « les contenus d’enseignement intégrant pleinement les mutations de l’économie et des métiers », « une spécialisation plus progressive avec l’instauration des familles de métiers en seconde professionnelle ». En un mot ce qui prime surtout c’est de faire de ces élèves de lycées pro de bons exécutant-e-s, employables avant tout.
Au sein de l’ensemble des documents lus, à aucun moment il est question des objectifs qui devraient être ceux d’une éducation pour tous et toutes, à savoir l’émancipation, l’appropriation de connaissances afin que puissent se construire les citoyens et citoyennes de demain.
Des programmes édulcorés et orientés
Si vous supprimez des postes d’enseignant-e-s , vous supprimez des heures d’enseignements, et par conséquent vous édulcorez les programmes.
Prenons l’exemple de l’enseignement du français en bac pro : sur 9 objets d’étude (pour les profanes, 9 « grands thèmes » étudiés) on en garde plus que 6, 3 en seconde pro, 2 en première, un seul en terminale ! Cela interroge tant sur l’enseignement du français en dernière année de formation que sur l’épreuve qui sera proposée.
Mais revenons à la seconde puisque seuls ces programmes sont révélés à l’heure actuelle.
Quand on condense on exclut des sujets : l’objet d’étude « des goûts et des couleurs » permettant une initiation à l’art sous toutes ses formes, disparaît. Est substitué à sa place un nouvel objet d’étude « Dire, écrire, lire le métier » ! Tout un programme ! Où l’apprentissage du français se réduit à une vision utilitariste, appliqué juste au champ professionnel. Comme si nos élèves n’avaient pas besoin, ni le droit de bénéficier d’un enseignement plus littéraire.
Difficile d’imaginer s’épanouir ou s’extasier, pour les élèves comme pour les professeurs, dans le cadre d’un cours de français, devant un CV ou une intervention à l’oral d’un rapport de stage.
Comment ose-t-on parler sans rire de « l’excellence » de la voie professionnelle.
L’orientation implicite de cette réforme est encore une fois celle de l’acquisition de compétences contre l’acquisition et l’appropriation par les élèves des connaissances. Elle est donc idéologiquement marquée par le libéralisme ambiant. Plus largement que la réforme de la voie pro, celle globale de la réforme de la formation professionnelle, s’inscrit dans cette logique de répondre aux besoins des entreprises et des activités économiques, non pas par le biais de la formation diplômante, mais par la validation de quelques compétences, en fonction d’un poste de travail occupé par exemple.
Il est donc logique pour le ministre d’imposer cette orientation au sein même de la formation professionnelle publique initiale, quitte à mettre en danger le devenir des LP publics.
Revenons donc à nos programmes, plus spécifiquement ceux de l’histoire, de la géographie et de l’éducation morale et civique.
Comme pour le français c’est la réduction des enseignements qui est à l’ordre du jour !
De 4 objets d’études en histoire et 4 objets d’étude en géographie on passe à 4 grands thèmes en tout dans les deux disciplines. On divise l’apprentissage par 2. On condense donc et on fait disparaître des leçons entières : l’Humanisme et la Renaissance en Europe, tout comme le premier empire colonial français étudié à l’aune des responsabilités de la France dans la mise en place de l’esclavage.
Les nouvelles leçons tournent autour de la circulation (des hommes, des marchandises et des informations) en histoire comme en géographie. Le terme circulation (je cite : « circulations, colonisations et révolutions », « production mondiale, circulation des biens, des personnes et des informations », « une circulation croissante et diverse des personnes à l’échelle mondiale ») est récurrent au sein de 3 thèmes sur 4. Dans le cadre de la mondialisation sont listées les différentes circulations et mobilités. On ne voit pas à travers cette énumération les enjeux majeurs auxquels est confronté l’humain, enjeux qui correspondaient aux leçons préalablement étudiés en géographie : « nourrir les hommes, les enjeux énergétiques, le développement inégal, les sociétés face aux risques ». Ces leçons qui vont disparaître permettaient d’interroger, de faire réfléchir nos élèves aux défis de demain. Exit ces questions assez incontournables et qui contribuaient aussi à la construction d’un esprit critique chez nos élèves, futurs citoyen-n-e-s.
A la place la mondialisation, ses « mobilités » et ses circulations de marchandises. C’est un appauvrissement et des connaissances et de l’appréhension de ces disciplines, sciences humaines qui doivent amener nos élèves à réfléchir, à raisonner et à problématiser afin d’élaborer une pensée critique et autonome.
Que dire de « l’ambition » des programmes pour les CAP. De nombreuses leçons disparaissent purement et simplement. Exit là aussi notamment la constitution du monde ouvrier en France qui a marqué notre pays depuis le début de l’industrialisation jusqu’à la deuxième moitié du XXème siècle, exit aussi les conflits qui ont marqué l’histoire contemporaine.
Le fil conducteur du nouveau programme d’histoire c’est « la France de 1789 à la Vème république, l’affirmation démocratique jusqu’à la construction européenne », une étude des institutions sans interactions comme précédemment avec la société française.
En géographie le programme (en partie identique à celui de seconde professionnelle avant la réforme) subit un sacré essorage : là encore reste la mondialisation qui est à l’honneur avec les sempiternels thèmes désormais communs au bac pro et aux CAP : « Espaces, transports mobilités », « aires urbaines ». Plus rien là aussi sur les enjeux et les défis auxquels est confrontée la planète.
Je passe sur l’épreuve qui sera celle que devront affronter les élèves de CAP. Tout le travail antérieur qui devait aboutir à un dossier présenté au professeur, dossier qui était la base d’un oral et d’une évaluation, a disparu. Cette évaluation est remplacée par un tirage aux sorts des sujets (choisis soit par l’examinateur, soit par l’élève) et une épreuve orale de 15 minutes ou de 30 minutes. Plus la peine en effet de proposer une épreuve impliquant l’élève et valorisant son travail au vu du nombre d’heures et de leçons dédiées aux disciplines !
Quant à l’Education Morale et Civique, il y a de quoi s’interroger soit sur les thèmes d’étude proposés ou soit sur la disparition d’autres en seconde. Peut être vont-ils réapparaître dans les programmes des classes de Première et de terminale Bac Pro ? Pour autant les choix effectués peuvent être jugés contestables.
Dans les deux thèmes proposés en seconde bac pro, ne figure plus celui intitulé « égalité et discriminations ». Figurera dans le programme de première « Egalité et fraternité ». On n’en sait pas plus pour le moment.
Mais pourquoi lors de l’entrée en seconde supprimer ce qui existait : le travail autour de la notion d’égalité, du constat des discriminations présentes dans la société française et la lutte contre celles-ci, fait sens dès l’entrée au lycée. Ce choix de suppression est surprenant et paraît peu pertinent dans le contexte actuel où la parole raciste, quelle qu’elle soit, sexiste et homophobe, s’impose dans l’espace public, alors qu’il faut apprendre le plus tôt possible à nos lycéen-n-es, à s’y opposer.
Surprenant également le choix du second thème en éducation morale et civique en CAP : la protection des libertés et son corollaire, la défense et la sécurité ! Pourquoi ce choix ? Pourquoi ne pas aborder la question des libertés comme en seconde pro ? A l’aune des droits et des devoirs, de la démocratie et de l’état de droit ou encore de la liberté d’expression ?
Eclairer l’idée de liberté par la sécurité intérieure est assez déconcertant. Cette idée ne se réduit pas à cela comme le confirme le programme de seconde pro.
Consulter les enseignant-te-s, vraiment ?
Mais si vous n’êtes pas d’accord ou si vous voulez faire part de vos critiques sur ces nouveaux programmes, on vous rétorquera qu’une consultation en ligne est à votre disposition. Plus exactement était vu les délais impartis ! Il s’agissait en fait d’un QCM par lequel vous répondiez à des questions très orientées qui ne permettaient nullement de s’exprimer sur le fond des programmes et sur les choix opérés. On vous demande même de présenter les points forts et les points faibles de ces nouveaux programmes, en quelques lignes !
Voilà les termes de la consultation nationale, qui restera dans les faits assez discrète.
LP en danger
Au final en diminuant les enseignement on a procédé également à un appauvrissement des programmes, médiocres tant dans les contenus qu’en ce qui concerne les objectifs.
Mais il ne s’agit pas d’un problème de choix malheureux et/ou maladroits. Il s’agit d’un choix assumé de proposer aux élèves de LP un enseignement minimaliste en sciences humaines et en français, (mais aussi dans les autres disciplines générales, Math et Langues) ceux-ci n’ayant pas besoin de plus, ni de réfléchir pour devenir la main d’œuvre d’exécutants de demain. Les économies engagées par le gouvernement se feront donc en partie sur le dos des élèves, très souvent d’ origine modeste, qui devraient bénéficier pourtant de davantage d’attentions. « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ». Cela ne semble pas poser de problème au ministre de l’éducation qui applique le vieil adage avec un mépris de classe lui aussi largement assumé.
Ne pas laisser faire, refuser une réforme mortifère pour les LP, c’est l’option que chaque enseignant-e devrait choisir. En deçà c’est l’avenir des LP qui est en jeu.
Myriam Martin, professeur de Lettres-Histoire en Lycée Professionnel. Conseillère régionale Ensemble ! France Insoumise, Occitanie.