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Venezuela : après la présidentielle…

Le résultat est tombé, Maduro est réélu Président de la République du Venezuela. Il y a quelques mois, j’aurais écrit, République Bolivarienne du Venezuela. Mais, depuis un an, l’assemblée nationale constituante, qui n’a pas encore rendu la moindre proposition constituante, a mis entre parenthèses le cadre juridique progressiste issu du référendum de 1999 : la Constitution Bolivarienne du Venezuela.

Le plus difficile, pour la gauche révolutionnaire, est de pouvoir comprendre le détail de la situation. D’ailleurs, nos camarades sur place sont, une fois de plus, divisés sur le meilleur vote pour les classes populaires du pays.

D’un côté, il y a ceux qui considèrent que Maduro a pris la tête d’un processus d’involution de la dynamique engagée en 1989 avec le soulèvement populaire anti-néolibéral. En somme, Maduro n’aurait pas eu d’autre choix que d’engager un vaste processus de conciliation de classe, d’abord avec la bolibourgeoisie (néologisme désignant les secteurs des catégories aisées qui ont rejoint le chavisme lorsqu’il était hégémonique, ou qui se sont enrichis grâce à lui), puis avec le capital transnational. L’exemple le plus marquant étant le vaste accord pour l’exploitation de l’Arc Minier de l’Orénoque avec les entreprises transnationales (ses défenseurs arguant a contrario qu’il faut vendre des ressources dans un cadre légal avantageux pour l’État vénézuélien). Ceux-là ont soit appelé à voter pour Quijada, un candidat nettement marqué à gauche, soit ont choisi de rester chez eux.

D’un autre côté, sont ceux qui estiment que le processus vénézuélien, même imparfait, attaqué de toutes part, demeure un bastion de résistance populaire et politique à l’échelle du sous-continent, et que la lutte de classe qui s’y déroule à l’intérieur n’est ni terminée ni tranchée. Les nombreuses défaillances, notamment dans la gestion de l’économie du pays et de sa principale ressource, le pétrole, ne doivent pas masquer que le retour aux affaires de l’opposition historique au « chavisme » serait une défaite d’une toute autre ampleur que la situation actuelle. C’est un vote pour Maduro en réclamant une politique complètement différente de celle suivie ces dernières années, avec un retour vers les formes d’auto-organisation populaire qui ont marqué le processus vénézuélien de 2003 à 2015.

Difficile, vu de France, de trancher ce débat, assaillis que nous sommes par une déferlante médiatique qui n’a jamais montré, à propos du Venezuela, la compréhension du phénomène. A chaque élection, c’est la même histoire : la presse dominante emboîte le pas de la bourgeoisie blanche historique du Venezuela pour dénoncer la partialité du scrutin et sa non-reconnaissance prévue par ceux qui vont la perdre. Pourtant, régulièrement, les représentants de l’opposition finissent par signer discrètement les « actes » du scrutin dirigé par une autorité indépendante, le CNE.

Ce qui est différent cette année, c’est le contexte économique. L’inflation atteint des records qui réduit à peau de chagrin les revenus du travail. Elle est à la fois la conséquence du néfaste contrôle des changes qui a été mis en place en 2003 permettant de faire la culbute entre taux officiel et taux « au noir », de l’accaparement des dollars par les grandes entreprises privées qui n’hésitent pas à jouer la spéculation plutôt que la distribution, mais aussi des dispositifs mis en place en Colombie qui permettent le pillage des ressources subventionnées du Venezuela en offrant un débouché légal à l’ensemble des trafics frontaliers. L’exemple le plus frappant est le cas du pétrole qui, acheté au prix de l’eau au Venezuela, est légalement revendu au prix de l’essence en Colombie, parfois même par la Compagnie nationale pétrolière de Colombie Ecopetrol. Ajoutons les multiples sanctions prises pour restreindre les capacités économiques de l’État vénézuélien aux Etats-Unis, les difficultés s’accumulent pour ceux qui tentent de trouver une issue économique dans un pays où la culture importatrice l’emporte depuis un siècle sur la culture productive.

La crise économique, donc, est un nouvel acteur du panorama politique vénézuélien. Comme ce fut le cas dès 1961 à Cuba, lorsque les Etats-Unis ont tout simplement fermé les débouchés aux exportations de sucre cubain. Comme ce fut le cas au Nicaragua pour déloger le FSLN du pouvoir dès le milieu des années 80.
Il n’est pas neutre de constater que cette crise économique a pris une ampleur nouvelle a partir du printemps-été dernier. A ce moment, la droite était aux portes du pouvoir, les secteurs les plus radicalisés usant de tous types de violences contre les personnes et les bien, suscitant une réaction parfois démesurée de la police nationale. Puis, pour mettre une terme à cette violence, Maduro convoqua l’Assemblée Constituante (ANC), contestée y compris à gauche, parce que rompant avec la constitution de 1999. Malgré l’opposition violente et son boycott par la droite, l’ANC a été élue et permis le retour de la paix dans les rues du pays. C’est à partir de juillet dernier que le thème économique a pris le dessus sur le thème politique et que l’inflation a explosé les records antérieurs. Il serait contre-productif de nier la responsabilité des adversaires résolus du « chavisme » dans cette situation comme d’en exonérer les responsabilités gouvernementales.

Le scrutin d’hier a eu lieu, malgré le boycott d’une partie de l’opposition de droite qui s’est réfugiée derrière une pseudo interdiction de se présenter. Revenons dessus. D’une part, il y a des personnalités politiques qui ont été arrêtées il y a plusieurs mois pour voies de fait, appels au meurtre, organisation de manifestations insurrectionnelles, etc. D’autre part, il y a des « partis », en fait des étiquettes politiques qui, du fait du système électorale vénézuélien, ont perdu leur capacité de se présenter aux élections de par les boycotts antérieurs et n’ont pu présenter suffisamment de signatures pour « légaliser » leur existence politique auprès du CNE.  Ce sont les règles en vigueur au Venezuela depuis avant Chavez. On peut les trouver peu opportunes, mais elles font partie du système vénézuélien. Et cette non légalisation a d’abord permis d’empêcher la gauche d’exister face au PSUV, le parti de Maduro.

En fait, la droite est, toujours, divisée. Il y a ceux qui espèrent pouvoir gagner électoralement ( comme ce fut le cas pour la dernière élection législative remportée par l’opposition), et ceux pour qui l’enjeu est d’abbattre le « régime », par des voies non électorales. Ce sont ces derniers qui boycottaient le scrutin en espérant une révolte populaire type « émeute de la faim » couplée à une intervention internationale.

Les résultats sont tombés. L’abstention est la grande gagnante du scrutin. Elle est passée de 20 % en 2015 à plus de 54  % en 2018. Le socle électoral du chavisme demeure autour de 5 millions de voix (sur 20 millions d’électeurs), l’opposition électorale autour de Henry Falcon représente environ 1,8 millions de voix. Comme d’habitude, elle ne reconnaitra pas les résultats, comme d’habitude, les Etats-Unis les mettront aussi en doute, cette fois accompagnés de l’Union Européenne et de Emmanuel Macron qui avaient déjà annoncés leur position avant le scrutin…

Reste une interrogation majeure. Reinaldo Quijada, qui avait reçu le soutien des secteurs organisés de la gauche, n’obtient que 35000 voix. Pourtant, avec des forces similaires, elle avait réuni 50000 voix uniquement dans la capitale il y a un an, sur 1,6 million d’électeurs. Comprenne qui pourra, le Venezuela n’est décidément pas un pays facile à comprendre pour qui fait un effort de se décentrer de nos options politiques européennes.

Sébastien Ville

Pour en savoir plus, on pourra lire utilement medelu.org, et notamment le reportage de Lemoine sur la crise économique pour les nuls (http://www.medelu.org/La-guerre-economique-pour-les-Nuls

https://www.aporrea.org/ideologia/n322991.html