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Une force politique à la hauteur des nécessités

La tâche est plus difficile que jamais, mais il faut pourtant s’y attacher : comment doter les mouvements cherchant à s’émanciper du capitalisme et du productivisme d’une force politique à la hauteur des nécessités ? Ce court texte vise à poser ce qui me paraît être les problèmes principaux sur cette voie, mais c’est surtout une invitation à les approfondir spécifiquement par des contributions ultérieures.

Certes le défi est ancien, mais demeure toujours à relever. Déjà il faut aborder sans fard la série des difficultés rencontrées sur ce chemin, les niveaux où elles se situent, leur enchevêtrement, et aussi mettre en lumière que des éléments nouveaux apparaissent aussi, dont la mesure doit être prise, que ce soit sur le versant négatif ou positif.

Il nous faut d’abord partir d’un constat qu’on peut partager aisément, même si, bien entendu, les interprétations sont ouvertes au débat. Les tentatives de « partis larges «  ont échoué dans toute l’Europe (dans ce texte, je me limite pour l’essentiel à ce continent, et même à sa partie « occidentale »). Par « parti large » à quoi fait-on référence ? Les options pour les marxistes révolutionnaires que nous sommes sont elles-mêmes diverses sous ce chapeau commun, il faut le reconnaître. L’idée de départ étant que la double faillite des options social-démocrates et staliniennes ouvrait la possibilité (la nécessité) de recalibrer la portée des divergences entre celles et ceux qui en tenaient toujours pour un dépassement du capitalisme, dans le sens d’une optique réellement démocratique. Et de vérifier, au regard des tâches nouvelles qui se présentaient, si elles étaient toujours à l’œuvre comme divergence importante (en particulier sur la question de L’Etat, que ce soit dans le rapport aux institutions, ou sur la nature postulée d’un Etat nouveau, celui de « la transition »). De vérifier si ces divergences pouvaient être dépassées par le haut et en commun, voire même si « le mouvement réel qui abolit l’état des choses existant » pouvait, d’une certaine manière, les ranger dans le rayon des livres d’histoire. A cela s’est ajoutée plus ou moins rapidement l’absolue nécessité de faire entrer dans ces délimitations nouvelles les questions écologiques. Il reste qu’aucune des tentatives de « partis larges », ou, plus généralement, de « nouvelle construction politique » n’a permis de résoudre la question de se doter d’une force politique à la hauteur des nécessités. Il y entre certes des spécificités nationales, toutes n’ont pas été conduites sur le même modèle ni exactement les mêmes bases. Mais toutes sont en échec plus ou moins marqué. Le plus important, même s’il date un peu, est celui de Syriza en Grèce. Parce qu’il a montré d’abord une force propulsive sans équivalent qui l’a conduit au pouvoir. Et donc confronté à des responsabilités que la gauche radicale n’avait pas eues depuis la révolution portugaise en 1974/75. Avec un échec retentissant qui a obéré profondément la crédibilité des « ruptures possibles ». Ce n’est pas le lieu ici de discuter des choix effectués, des possibilités ratées ou non, mais le constat, lui, est incontournable. Sans plus entrer dans les spécificités de chaque expérience (et déception) on peut dérouler une longue litanie. Le PRC italien (avec en pratique une quasi disparition de la gauche dans ce pays, doté pourtant d’une si riche histoire dans la tradition communiste de diverses obédiences). Die Linke en Allemagne, toujours présente, mais sans répondre aux espoirs initiaux. La faillite de Podemos après tellement de promesses au départ. Et (même si ça sort des limites de l’épure des « partis larges » proprement dits), on peut y ajouter l’échec de Corbyn. Nulle part en réalité une « nouvelle gauche radicale » n’est arrivée à remplir sa tâche dans la durée. Il serait utile de faire le point en commun avec nos camarades engagés dans les mêmes options à l’échelle de l’Europe.

Il faut ici (même si les choses sont en cours) mettre dans le même bilan négatif la situation de la gauche radicale en France. Le NPA traverse une crise qui peut lui être fatale. La tentative de créer du neuf, à partir de la souche social-démocrate radicalisée, qui a donné le PG n’est guère en meilleure forme. Le Front de Gauche s’est essoufflé avant de rendre l’âme, avec le manque de soutien par le PG à la possibilité des adhésions directes, et où l’appareil du PC pour l’essentiel n’a pas voulu (ou pu) jouer le jeu du dépassement. Avec une confirmation que, du point de vue de ce dit dépassement et sans insulter l’avenir, « ce qui pouvait advenir » des restes de l’implantation du PCF était désormais trop faible, la combinaison de la soumission au PS (par exemple aux municipales en 2014 dans trop de villes) avec un langage identitaire (un grand classique), voire maintenant sécuritaire, se révélant un obstacle insurmontable. Avec le recul, il apparaît aussi que la (petite) force propulsive d’Ensemble (radicale et unitaire) reposait surtout sur le projet d’un FG réussi. Et que depuis l’échec de ce dernier, ses divisions et sa quasi paralysie se sont confirmées. Bien que des regroupements militants de valeur y soient toujours attachés. Et enfin – c’est sans doute le point principal à discuter – il est clair maintenant que l’espoir que, du sein de la France Insoumise, cette question (se doter d’une force à la mesure des besoins) puisse être résolue tarde à se réaliser, si même ça se révèle possible au final. Avec la difficulté de concrétiser les potentialités ouvertes en 2017, et où le « fonctionnement gazeux » n’est pas pour rien. Les batailles sont encore en cours (dont celle de 2022 et la nouvelle candidature Mélenchon) pour qu’un bilan complet puisse être tiré, mais il faudra quoi qu’il en soit, s’interroger sur la nature des difficultés rencontrées et la manière de les résoudre.

Mais indépendamment des choix récents, quand on est confrontés à un tel bilan généralisé, il est clair que les racines sont en grande partie « objectives », s’imposant malgré les stratégies différentes sur tel ou tel point. Pour que ce bilan (et son caractère global) soit convaincant il faut ajouter deux données.

La première concerne les options qui ont rejeté celle du « parti large ». Par exemple, en partie seulement mais quand même, le NPA après le départ de la GA. Ou des équivalents, nombreux, dans toute la partie de l’Europe que nous considérons. Certaines sont elles-mêmes en crise profonde, mais surtout aucune n’est parvenu à construire une base de masse, et donc, évidemment, n’ont contribué en rien à la résolution de la question globale posée à tout le monde. La deuxième concerne les partis Ecolos. Puisqu’il est acquis (à peu près) que, quelle que soit l’option retenue, la mutation écologiste est indispensable, on ne peut juste traiter comme hors de l’épure les partis qui s’en réclament à titre principal. Or les évolutions de ce côté ne portent pas à l’optimisme. On verra quel sera le choix de EELV en 2022, mais un regard sur les autres pays montrent une évolution profondément négative de ces partis (ceci dit en général, il faudrait voir en détail). Vers leur droite, quand ce n’est pas avec la Droite.

Mais là encore, ces remarques supplémentaires, indispensables, portent à regarder ces effets comme provenant de données plus vastes : de conjoncture, de période, voire de portée historique.

D’ampleur historique d’abord. Il est clair que l’espoir communiste a fléchi au point de quasiment disparaître. De ce point de vue la situation est sans équivalent depuis la constitution de l’AIT (Première Internationale). Après la défaite de La Commune, une période noire de réaction s’en est suivie. Mais n’a pas emporté avec elle l’horizon, qui indiquait que « la prochaine  fois » on allait y arriver. Entre 1871 et 1905 (révolution russe donc en particulier), il y a plus de 30 ans. Assez pour que (cf le débat Bernstein/Kautsky/Luxemburg) la mise en cause de l’issue révolutionnaire s’affirme, mais pas l’idée même du socialisme. Au contraire, c’est (dans quelques pays majeurs) une période d’affirmation des partis de masse. Entre 1975 (révolution portugaise) et 2015 (expérience avortée en Grèce) il y a 40 ans. Et plutôt un effondrement de la gauche toutes tendances confondues. Il va de soi que, si les horizons se dégagent, ce ne sera pas juste une parenthèse à refermer et que les chemins seront (sont certainement déjà, voir ci-après) sensiblement différents. Mais cet effacement de l’horizon influence négativement toutes les tentatives (ce n’est pas vrai que pour l’Europe, mais c’est au moins certain pour celle-ci).

De période ensuite. Puisque pour l’essentiel cette même phase historique va de pair avec la dégradation continue des rapports de force pour les classes subalternes en Europe. Qui fait que la défensive l’emporte sur l’offensive sur la longue durée. Beaucoup constatent la même chose et en déduisent… qu’il faut cesser d’être défensifs. Mais ce n’est pas comme si ça se passait juste dans nos têtes !

De conjoncture enfin. Ici, par définition, il faut être prudent, la chouette de la connaissance ne prenant son envol qu’à la tombée de la nuit. Mais la faiblesse de la gauche un peu partout, la montée des menaces d’extrême droite, le glissement autoritaire des gouvernements (en particulier en France) sont des données difficiles à sous-estimer.

Ceci comporte une part inévitable de discussion pour déterminer dans quelle mesure nos propres options (celles du marxisme révolutionnaire) demandent à être clarifiées, rééquilibrées, et modifiées. En effet un bilan de fond doit maintenant s’ouvrir y compris de celles-ci. A la fois avec un retour sur soi sans concession, mais aussi en fonction des incontestables données nouvelles quant aux objets et aux objectifs des luttes pour l’émancipation. Sans sacrifier de trop aux formules on peut avancer que la période ouverte par la fin des années 60 s’est achevée (il y a certainement longtemps déjà). Que la chute du stalinisme, bénéfique en elle-même, s’est accompagnée d’un désamour généralisé pour le socialisme et le communisme. Que le « changement génétique » de la Social-Démocratie vers le social-libéralisme a accentué ce glissement général. Que les changements structuraux du capitalisme ont bouleversé les fondations mêmes de l’ancien mouvement ouvrier, à la fois à bout de souffle et à la recherche d’une refondation correspondant aux données nouvelles des classes exploitées (avec l’explosion continue du précariat). Que de nouvelles luttes populaires se manifestent, en pointant aussi ou en renouvelant des questions anciennes, avec s’y ajoutant la puissance de la crise écologique, sans que, pour l’instant, elles trouvent une issue politique durable vers un changement de système.

En contrepoint, il y a des éléments qui vont en sens inverse, ou du moins dont on mesure encore mal la portée globale. J’en cite les principaux à mes yeux.

  • La généralisation du prolétariat à l’échelle mondiale (dans le sens large de celles et ceux qui n’ont que leur force de travail à négocier), et encore plus dans les pays d’Europe. Il est patent que la totalité de la Planète bascule vers l’urbain, ce qui, bien que n’étant pas totalement synonyme de prolétarisation, indique une tendance irréversible. Plus que jamais la vieille question stratégique de l’alliance de classes (ne jamais laisser le prolétariat dans un solo funèbre), sans disparaître, est remplacée par celle de l’unification interne du prolétariat. Par-delà des divisions de tous ordres, travaillées qui plus est par la classe dominante.

  • Le fait, patent, que le système atteint ses limites. Pas de la même manière partout, mais quand même. Devant nous s’étend la crise écologique, et la nécessité d’y faire face avec des changements radicaux. Provoquant une entrée en scène inédite de secteurs de la jeunesse et au-delà. Même si on ne peut jamais jurer de rien, le capitalisme aura du mal à un changement de pied d’une telle ampleur. S’y ajoute la menace, toujours présente, que la financiarisation excessive produise une nouvelle crise systémique.

  • La présence de ce qui s’apparente à une révolution féministe à l’échelle mondiale, ceci s’inscrivant dans la montée des exigences multiples cherchant les voies à la fois d’une égalité réelle généralisée (en particulier dans le domaine antiraciste) et d’une émancipation intrinsèquement collective et individuelle. Posant à une échelle nouvelle la question stratégique de l’unité de ces combats avec l’anticapitalisme (sans écraser les spécificités), mais question rendue encore plus difficile du fait de l’effacement de la perspective socialiste. A ne pas confondre, même si elle en fait partie, avec la seule question de « la classe », mais « perspective socialiste » prise au contraire dans son sens plein d’horizon vers une nouvelle société.

  • Un élément encore difficile à mesurer, mais qui venant des USA ne peut pas ne pas peser. Celui d’un éventuel virage vers une option social-démocrate par l’administration Biden. Même modéré, cf les critiques de AOC et son groupe, et le retrait vite fait sur l’imposition minimale mondiale vers des taux très bas qui montre bien que ce sera limité. Evidemment sans que ça entraîne un effacement de l’impérialisme US sur la scène mondiale : c’est toujours « America first ». Mais la modification possible de son contenu à l’intérieur, outre qu’elle traduirait une poussée « à gauche » dans une part substantielle de la population, modifierait l’environnement idéologique global. A vérifier aussi, la possibilité d’un nouveau « cycle progressiste » en Amérique Latine, avec un l’éventuel retour de Lula au Brésil, et dès maintenant, le retournement en Bolivie (et en partie en Equateur), le vote chilien, celui à venir au Pérou, les luttes coordonnées en Colombie.

De ces éléments qui montrent à la fois les difficultés majeures et les potentialités, il faut à mon sens tirer deux conclusions centrales. La première est que nous ne pouvons imaginer des issues positives avec la seule « recomposition » des forces déjà constituées sur le terrain de l’émancipation. Si elle demeure indispensable, elle doit viser à une « reconstruction » de fond en comble de l’espace politique et social où se joue la bataille de l’émancipation. Contribuer à éclaircir les grandes questions stratégiques nouvelles qui se posent à nous telles que décrites ci-dessus. Plus quelques autres. Il est clair que la question de la démocratie est partout centrale. Ceci déjà pour nous qui, quoi qu’on en veuille, sommes redevables des expériences conduites au nom du communisme1. Mais plus généralement à la fois comme un ingrédient majeur des mobilisations et des objectifs qu’elles se fixent.

Ceci alors même que le changement de structure du capitalisme, avec le poids politique historique atteint par les multinationales, montre chaque jour un peu plus que les peuples, en plus d’être exploités et appauvris, sont de plus en plus éloignés de la souveraineté réelle. L’UE étant un modèle en la matière. La solution ne peut être limitée à ce que les populations seraient censées pouvoir dominer localement, mais, bien plus encore qu’auparavant, se déployer du terrain local, national, international au terrain mondial (crise écologique oblige).

Une question de plus se pose pour saisir les conditions où nous pouvons imaginer les voies à suivre, qui est de mesurer les effets de la crise sanitaire mondiale. Avec une crise sociale nouvelle et  profonde /fermetures d’usines/ secteurs TPE, petits commerces broyés/ chômage de masse/ reconfiguration du marché du travail, accélération des transformations des qualifications professionnelles (numérisation 
accélérée…). Que faire de la dette ? etc… Mais aussi sur la conception générale du bien public, sur la nature des chaines liées à la globalisation, sur la poussée du numérique (qui a bien sûr sa propre dynamique, mais quand même accélérée par la crise sanitaire), sur la crise écologique. On imagine mal que tout ceci ne conduise pas sinon à des bouleversements complets, du moins à des modifications sensibles du cadre des luttes de tous types. Ou alors est-ce que demain sera comme avant ? En pire disent les pessimistes ? Si changements il y a, seront-ils d’effet immédiats ou (c’est possible) visibles seulement à plus long terme ?

En attendant que ces questions se clarifient, dans l’immédiat, et pour la France, l’enjeu de la survie d’une optique de gauche radicale est patent. Le présent texte n’est pas destiné à en discuter, mais, ça vaut mieux en le disant, j’estime que la candidature de Mélenchon est centrale dans cette perspective, surtout si elle arrive à se combiner avec une issue unitaire.

Mais quoi qu’il en soit, à partir des éléments de fond développés ci-dessus, on peut avancer trois options liées entre elles.

Premièrement, nous devons prendre nos responsabilités dans le combat idéologique, à la fois pour contrer les vents mauvais qui balayent la société et pour donner vie aux confrontations théoriques indispensables. Il faut viser à ouvrir un nouvel espace pour la mise en débat en faveur de la construction, au moins intellectuelle/culturelle, d’une alternative vers un nouvel horizon d’émancipation, une nouvelle société, et en vue de défricher le plus possible les issues stratégiques correspondantes. Il faudra faire le bilan des ressources disponibles pour la constitution, sous des formes assurément nouvelles à inventer, d’un lieu dédié à cette indispensable confrontation, avec un large esprit d’ouverture, pour aider à dessiner les nouvelles lignes de force d’une alternative émancipatrice.

En deux, nous visons toujours à constituer un « bloc historique » des secteurs portant la possibilité d’une issue anticapitaliste et antiproductiviste, qui soit ancrée sur l’émancipation démocratique généralisée. Il va de soi que ceci ne peut s’imaginer « en chambre ». A la fois parce que si ce n’est pas porté du sein même des luttes sociales, il n’y a aucune chance d’avancer. Et, plus structurellement, parce que la possibilité que convergent en positif les éléments portés par ses diverses composantes (possibilité il est vrai jamais réalisée des dernières décennies, bien que des secteurs pointent régulièrement en ce sens) est la condition de la construction d’une représentation politico-sociale du dit bloc. Evidemment il faut en avoir une vision évolutive, et la plus large possible, y compris avec des associatifs , des inorganisés, des militants syndicaux.

Et, en même temps, en trois, nous visons un regroupement des forces qui se positionnent sur un terrain marxiste révolutionnaire (formule qui ne doit pas être prise dans le sens qu’elle a eue au cours du temps, mais ouverte aux questions stratégiques nouvelles, dont celles de l’écologie). Sans ce troisième élément, lieu organisationnel où penser à partir de ces racines les issues aux grandes questions stratégiques nouvelles à résoudre, et centre d’initiatives liées, on ne pourra véritablement contribuer aux deux premiers impératifs. Et sans lui penser que la deuxième issue «socio-politique » pourrait à elle seule constituer le cadre du « bloc historique » est une impasse.

Dans tous les cas, il faut s’assurer que l’impératif démocratique soit central, tant il sourd comme exigence de tous côtés. Il faut en discuter plus avant, mais à mes yeux (et expériences faites), la « forme parti » est la mieux adaptée à celle du regroupement plus restreint. Il faudra certes la penser en fonction des éléments incontestablement nouveaux (dont les réseaux sociaux), mais elle demeure dans son principe le meilleur choix. Pour la seconde, sans doute faudrait-il penser à voir comment pourrait fonctionner un « archipel » qui permette l’autonomie de chaque partie prenante, et une concentration des forces quand elle est nécessaire.

Une question majeure surgit dans la possibilité de réalisation de ces options. C’est « la question générationnelle ». On voit mal comment, socialement, politiquement et même sur le plan des élaborations théoriques, une telle issue pourrait s’engager par la seule auto-réforme des forces essentiellement construites par les luttes et réflexions des générations passées. Il ne s’agit pas là de verser dans un « jeunisme » hors de propos. Mais de faire de cette question un éclairage permanent des initiatives à venir : permettent-elles l’implication, à titre constitutif, des jeunes générations impliquées dans les luttes en cours ?2

Comment finalement avancer en ce sens ? Dans l’immédiat en tirant le bilan, sans excès mais sans prudence excessive, de ce que nous connaissons ces dix dernières années. Il est clair que celui-ci n’est satisfaisant sur aucun des objectifs pour Ensemble, pour le NPA, sans doute pour le PG. Et pas plus pour la FI, qui n’a résolu ni l’avancée purement politique, tant les débats stratégiques y sont corsetés, ni celui du « bloc ». La proposition d’une Fédération Populaire aurait pu y correspondre, mais venue trop tard, avec trop peu de précisions et de confiance. Si j’ai bien compris, la prochaine campagne de Mélenchon serait conduite avec encore un autre regroupement. Mais s’il a les mêmes limites que celles qu’a révélées la FI, les mêmes difficultés vont se poser, même s’il faut tout faire pour que ce ne soit pas le cas.

Deux initiatives distinctes se sont manifestées sur le terrain de préoccupations semblables à celle de ce texte  : « Rejoignons-nous » et « Rebond Anticapitaliste » avec « l’appel des 15 » paru dans Contretemps. Le premier prend une option résolument à la fois basiste et mouvementiste : on voit mal comment un regroupement dont les formes sont si peu précises, qui concerne des secteurs marxistes et d’autres antimarxistes pourrait faire avancer en quoi que ce soit l’une ou l’autre tâche. De plus, les bases politiques y sont calibrées de manière telle qu’elles réduisent, paradoxalement, malgré la confusion de départ, et drastiquement, le cadre possible d’un « regroupement » suffisamment divers. Rebond Anticapitaliste partage cette limite d’étroitesse, et même la revendique, comme si « le parti se renforce en s’épurant » avant même que d’exister… Au sein d’Ensemble, un regroupement « autogestionnaire » reprend (en commun parfois avec le contenu de « Rejoignons-nous ») la très, très vieille utopie que le vrai peuple est au-delà du peuple concret (celui qu’on voit tous les jours), et que l’obstacle principal pour son expression réside dans les vieux partis (ou les futurs) qui bloquent une vague qui ne demande qu’à déferler…

Un bilan négatif donc. Sauf que… Sauf qu’en la matière, selon la formule éculée, mais si juste à cette occasion, « la critique est facile et l’art est difficile ». Et que le débat que je voudrais ouvrir (selon un mandat donné par une des AG d’Ensemble Insoumis d’avoir à entamer le dit débat) pose à l’évidence plus de questions que de réponses, et qu’il n’y a pas lieu de se poser en donneur des leçons. Avec quelques bornes toutefois. Nous avons déjà, souvent, expérimenté un lien constitutif entre une proposition électorale et l’avancée vers des solutions (sans développer, avec Besancenot, Mélenchon…). Certes l’importance de « la preuve électorale » ne doit pas être plus qu’hier sous-estimée. S’y ajoute aujourd’hui une partie de tâches, plus ou moins importantes, qui doit en être relativement déconnectée. Et même plus clairement, dire qu’aucune avancée concrète ne pourra être engagée avant le bilan des séquences électorales en cours. Non seulement celui-ci impactera naturellement toutes les issues en discussion, mais encore la situation elle-même peut se présenter bien différemment de ce qu’elle est avant ce bilan. Encore faut-il utiliser ce temps (sans qu’en aucune manière ce soit un substitut aux luttes sociales, idéologiques, politiques, électorales en cours) pour avancer. Il faudra quoi qu’il en soit s’appuyer sur la visibilité prise par nos deux têtes de liste aux régionales, Clémentine et Myriam. Poser les problèmes, les éclaircir si possible. Vérifier par exemple si l’option éco-socialiste ne peut pas être un bon cadre de principes pour fonder ces débats. Le terme lui-même ne fait pas toujours consensus, pour des raisons variables. La mise en cause de la planification par exemple, que comporte inévitablement la référence socialiste. Ou la confusion politique qu’il peut entraîner avec ce que le tout-venant assimile au Parti Socialiste du même nom (et alors certains préfèrent « éco-communiste »). Ne pas rester bloqués sur une formule, mais on saisit bien la proposition, celle qui porte la question écologique à la hauteur qu’elle doit avoir, tout en la liant non seulement à la question sociale par l’anticapitalisme, mais à l’issue recherchée d’une société ayant détruit les bases de ce mode de production, d’exploitation et d’autoritarisme. Ce qui, si nous ne faisons pas erreur, peut concerner a priori des secteurs de la FI bien entendu, du NPA, de Ensemble, de l’écologie radicale, du PG, des forces issues du PCF qui avaient été partie prenantes du Big Bang, etc. A préciser donc ensuite les formes que peuvent prendre ces débats dans les mois qui viennent, avec clarté sur les objectifs, sans ultimatisme pourtant, que ce soit sur les contenus, les rythmes, les issues. Rien n’est garanti bien entendu, mais étant donné l’importance (et même la gravité) des problèmes à résoudre, on ne peut rester en l’état.

Samy Johsua, le 25 mai 2021.

1 Bensaïd, : « La dure loi des défaites veut que tous n’en partagent pas les responsabilités, mais que tous en subissent les conséquences ».

2 Marx, Le 18 Brumaire. On change les dates, mais l’essentiel demeure : « La révolution sociale … ne peut pas tirer sa poésie du passé, mais seulement de l’avenir. Elle ne peut pas commencer avec elle-même avant d’avoir liquidé complètement toute superstition à l’égard du passé… La révolution … doit laisser les morts enterrer leurs morts pour réaliser son propre objet. Autrefois, la phrase débordait le contenu, maintenant, c’est le contenu qui déborde la phrase ».