Instagram RSS

Ultra-droite, vous avez dit ultra-droite… ?

A chaque nouvelle provocation des groupuscules d’extrême-droite, après les agressions de militants ou de réunions publiques, à Lyon, par exemple, après la manifestation parisienne du 6 mai, après les pressions et les démonstrations de force contre les élus à Callac ou à Saint Brévin, on nous ressort le terme « ultra-droite », catégorie qui ne nomme rien, n’explique rien et sert la confusion politique.

Le raid à Romans sur Isère de plusieurs dizaines de militants nationalistes révolutionnaires ou identitaires, venus de la France entière, mobilisés par une dizaine de groupuscules locaux, plus ou moins coordonnés, plus ou moins franchisés comme héritiers de Génération Identitaire, dissoute en mars 2021, a remis au goût du jour, dans la presse et dans les communiqués de la police, le terme d’ultra-droite.

Ce terme a été mis en avant dès 1994 par les services de renseignement de la police, qui n’avaient plus (théoriquement) l’autorisation d’enquêter sur les partis politiques et souhaitaient poursuivre leur surveillance sur les militants les plus violents de l’extrême-droite. Une coupure artificielle était alors mise en place entre les organisations politiques, comme le FN d’alors, puis le RN et les activistes partisans de méthodes illégales. Par facilité, cette classification s’est poursuivie et a été systématiquement reprise par la presse. La presse ‘main-stream’  minimise ainsi la réelle dangerosité des partis d’extrême droite.

Cette « distinction » profite bien entendu à la politique de dédiabolisation du RN, à Reconquête et autres partisans de Zemmour qui ont beau jeu de la mettre en avant pour tenter de se dédouaner de toute proximité avec ce qui est caractérisé dans le discours officiel comme « ultra-droite ».

En réalité, il n’y a pas de hiatus entre ces groupes et les partis d’extrême-droite. Il ne s’agit même pas de proximité, mais d’une très grande porosité entre toutes ces structures, d’un continuum dans les positions politiques, les expressions publiques, la participation des uns et des autres à des initiatives communes.

Ils partagent les mêmes obsessions, le « Grand Remplacement », l’affrontement des civilisations, du niveau mondial jusqu’au plus profond des campagnes françaises. Ils agitent les mêmes épouvantails, ressortis des placards à chaque événement dramatique, depuis l’horrible meurtre par une déséquilibrée de la jeune Lola, il y a un an, jusqu’à la mort tragique de Thomas à Romans. Si on passe en revue les mots utilisés par les principaux représentants du RN ou de Reconquête ces dernières semaines, on y trouvera tout ce qui a servi à renforcer la mobilisation des cogneurs de Romans et à justifier tous les passages à l’acte.

Des exemples : Zemmour a parlé sur trous les plateaux de « francocide ». Il précise : « le tabassage, le viol, le meurtre, l’attaque au couteau d’un Français ou d’une Française par un immigré ne sont pas un fait divers. C’est un fait politique que j’appellerai désormais francocide ». Stanislas Rigault, de Reconquête, rajoute sur BFM : « Des racailles, des barbares venus pour semer la mort. Un francocide, c’est quand des français se font tuer parce qu’ils sont français ». Ces gens là aiment aussi beaucoup parler d’ultra-violence, de barbarie, d’ensauvagement. Laure Lavalette députée RN, y voit les « présages d’une guerre civile », Marion Maréchal n’est pas en reste quand elle parle d’une « meute de barbares », Eric Ciotti décrit le jeune Thomas comme « une victime de l’ensauvagement ».

Qui sont ces « barbares » qui mènent une « guerre de civilisation contre les français » ? Pas la peine de chercher bien loin, il suffit de tendre l’oreille aux discours de ces gens-là. Des « racailles venues d’une cité » pour l’avocat proche de LR Thierry de Montbrial, une « razzia » nous dit doctement Marine Le Pen, et le même Rigault d’en rajouter : « je prends le pari que les suspects auront des noms à consonnance maghrébine ». Si on leur fait remarquer que, s’agissant de Thomas, c’est un Français qui en a agressé un autre, Marion Maréchal a le mot de la fin : « Non, c’est un Français de papiers ».

Ces discours débouchent tous sur une conséquence logique, souhaitée, promue tant par les partis institutionnels, RN et Reconquête à mots couverts, que par les groupuscules sans le moindre filtre : l’affrontement violent. Marion Maréchal encore : « une guerre ethnique se met en place. Ce sont les prémices d’une guerre civile ». Louis Aliot (RN) : « un jour les citoyens se défendront eux-mêmes », l’éditorialiste Mathieu Bock-Coté : « vous savez désormais que vous êtes en danger chez vous, dans votre maison. La tentation de l’autodéfense va se radicaliser ». Tous ces propos, et bien d’autres ont été tenus en quelques jours sur l’ensemble des chaînes d’actualité. Commentés et repris en boucle, ils ont servi de carburant à la ratonnade de Romans et aux rassemblements racistes et provocateurs qui ont suivis dans plusieurs autres villes. Comment s’étonner, dès lors, que ces actes n’aient été condamnés (quand ils l’ont été) que du bout des lèvres par ces mêmes Ciotti, Bardella, Le Pen et Zemmour.

Il faut dire que ces responsables du RN et de Reconquête seraient bien en peine de condamner les participants à ces actions violentes, tant les liens qui unissent les groupes nationalistes révolutionnaires ou identitaires à leurs partis sont étroits. On a beaucoup écrit sur la « Gud Connection » qui gravitait autour de Marine Le Pen, sur les contacts étroits des entreprises de communication de Frédéric Chatillon et Axel Loustau avec l’appareil électoral du RN. Jordan Bardella a beau jurer la main sur le cœur que tout ceci est du passé, les faits sont têtus, le groupe RN au Parlement européen continue, en 2023, à faire travailler des sociétés de communication appartenant à cette « Gud Connection ». Et si Chatillon et Loustau se sont retirés, après les manifestations du 6 mai 2023, de la direction de la principale d’entre elles E-politic, celle-ci reste dirigée par un très proche, Paul-Alexandre Martin.

Mais c’est du côté des organisations de jeunesse, Rassemblement National de la Jeunesse (RNJ) ou Génération Z, que cette interpénétration est la plus évidente. De nombreux collaborateurs d’élus RN, nationaux, européens ou locaux, proviennent des ces organisations de jeunesse. Passés par les mêmes universités, par les mêmes structures étudiantes que les militants des groupuscules, il est parfois bien difficile de faire la différence. Le syndicat étudiant La Cocarde, par exemple, est un vivier d’assistants parlementaires. Des membres de Némésis, du groupe fasciste parisien Luminis, très lié au GUD, des proches du groupe ultraviolent « Vandals Bezak » par exemple, peuvent être croisés dans les couloirs du Palais-Bourbon ou au Parlement Européen.

Le RNJ, dirigé par Pierre-Romain Thionnet, organise régulièrement des forums et des sessions de formation auxquels assistent de nombreux militants d’Action Française, du Gud, des Remparts de Lyon ou de Clermont Non Conforme, groupes violents locaux. Groupes qui n’hésitent pas à prêter leurs compétences lors d’actions de collage ou de tractage de la Cocarde ou du RNJ.

Du côté de reconquête, c’est autour de Damien Rieu, ancien dirigeant de Génération Identitaire, que l’on retrouve tous les contacts avec les groupes locaux qui se sont franchisés après la dissolution de Génération identitaire en 2021.

Dans ce cadre, les déclarations de Gérald Darmanin, qui a promis la dissolution de la « Division Martel », présentée comme la branche jeune du GUD et la principale force organisatrice de la ratonnade de Romans, ainsi que de « deux autres organisations qu’il nommera plus tard », ne peuvent qu’ à la plus grande vigilance, teintée d’un grand scepticisme. Nous avons déjà écrit ce que nous pensions de l’utilité de ces dissolutions (https://gauche-ecosocialiste.org/interdictions-dissolutions-grande-confusion/). Aujourd’hui, on ne peut pas non plus se contenter des indignations d’Éric Dupont-Moretti qui presse le RN «  de se débarrasser des nazillons qu’il abrite en son sein ». Comme si cela lui était possible !

La notion d’ultra droite est décidément bien inutile, aujourd’hui encore plus qu’hier, pour tracer une frontière arbitraire entre des partis qui seraient d’une manière ou d’une autre « respectables » et des groupes qui seraient eux « dangereux ». Mais ne nous y trompons pas, c’est l’extrême-droite dans son ensemble qui est le danger aujourd’hui, qui doit être combattue en tant que telle et dans toutes ses manifestations, quels que soient celles et ceux qui les organisent et les soutiennent.

Camille Boulègue