Mercredi 21 février, 19h, Espace Bel Air à Saint Aubin du Cormier entre Rennes et Fougères. Salle comble : 500 personnes. François Ruffin vient parler de son dernier livre « Mal travail, le choix des élites ». Les député·es LFI du 35 l’accompagnent sur scène : Mathilde Hignet pour la 4ème circonscription de Redon, Frédéric Mathieu pour Rennes Sud. Mickael Bouloux, député Nupes de Rennes centre est au 1er rang.
En ouverture, Marie parle de son travail d’AED dans un collège voisin. 3 AED pour 300 collégien·nes, tensions constantes dues à la multiplicité des tâches et le manque de temps, précarité des contrats reconduits ou pas, au bon vouloir du Rectorat. En fin de semaine, la satisfaction d’écouter et aider les jeunes, de rendre service, le dispute à l’épuisement. Elle conclut : « Pourtant, j’adore mon travail ».
Au moment ou Michel, éleveur et agriculteur bio, intervient, il a une pensée pour ses collègues de la Confédération Paysanne qui occupent alors Lactalis. Il décrit le bonheur de travailler dehors, en lien avec la nature et les animaux. Mais aussi le maquis des règles obtuses et les avalanches de paperasses (même en bio !), les prix de vente ridiculement bas, le scandale du gavage financier du Crédit Agricole et des grosses coopératives sur le dos des paysan·nes, l’angoisse parfois de travailler pour rien. Mais lui aussi, il « adore son travail ».
François Ruffin reviendra par la suite sur cet aspect schizoïde que vivent tant de salarié·es : ils ressentent leur travail comme une richesse, une vraie valeur dont chacun a pleinement conscience. Mais les conditions d’exercice sont trop souvent toxiques. C’est l’employeur qui crée le mal être, la dépression, le burn-out, et qui rend le travail impossible en le vidant de son sens.
Frederic Mathieu explique d’abord que ce gouvernement ne connait rien, ne veut rien connaitre du « travail ». Les millions inutilement versés par les Macronistes à des cabinets conseils traduisent leur indécrottable vision élitiste et leur mépris profond du travail : les salariés ne savent rien, les experts savent mieux qu’eux. Comme Attal qui n’a jamais rien connu d’autre que les cabinets ministériels. Or c’est le travail qui est la base de toute « richesse ». Le capital sans travail n’est rien : il n’existe que parce que le système capitaliste lui permet de capter la valeur produite par le travail (Marx). Ce n’est pas le chef d’entreprise ou le patron qui « donne » du travail. C’est bien le travailleur qui fournit le travail, qui produit la richesse « d’usage ». Mais c’est lui que le capital dénigre sans cesse.
Mathilde Hignet ensuite rappelle le mépris dont elle-même, ouvrière agricole, a été l’objet par le ministre Marc Fesneau quand dans l’hémicycle, il a osé lui rétorquer « d’aller sur le terrain voir la réalité ». Elle décrit les impasses auxquelles sont confrontées les agriculteurs·trices : l’endettement étouffant avec la course au produire toujours plus pour des prix toujours plus bas, le refus du gouvernement de garantir des prix convenables et d’encadrer vraiment les marges des distributeurs·trices et de l’agroalimentaire. Suite à la mobilisation des agriculteurs·trices, elle dénonce les fausses solutions, notamment l’abandon des rares mesures pour l’environnement et contre les pesticides et l’absence d’accompagnement pour les transitions. Enfin pour vivre dignement de leur travail, les agriculteurs·trices ont besoin d’une régulation du marché, et de faire cesser des accords de libre échange.
François Ruffin à son tour dresse un tableau accablant de l’état de santé physique et moral des travailleur·euses en France du fait des conditions de travail : records d’anxiété, d’accidents du travail, de burn out, de dépressions, de licenciements pour inaptitude : 100 000 personnes par an ! « On est sur le podium », dit-il. Ce sont les conséquences de la recherche permanente du « low cost ». Les « planeurs », qui planifient les organisations du travail, intensifient les cadences, dépossèdent les salarié·es de leur maitrise du travail qui n’en peuvent plus. Cela sert à baisser le « coût » du travail, mais sans que les salarié·es en profitent. Seuls les dividendes augmentent : leur part dans la répartition des revenus a triplé en 40 ans. Les délocalisations suivent le même objectif, toujours réduire les coûts. Mais cette fois avec des conséquences sociales et politiques. Les gens se sentent trahis, abandonnés et transforment leur ressentiment personnel en ressentiment politique. En Picardie ou dans les Hauts de France, les délocalisations sont largement responsables du vote Rassemblement National. Ces sentiments entrainent un manque de confiance dans l’avenir, un déficit d’envies, de désirs de vie. Pourtant il est possible de renverser cette tendance, en réhabilitant le travail, la fierté, la dignité du travail. Travailler mieux, ça veut dire aussi moins, mais en rétablissant des règles d’équilibre : congés, horaires, salaires, retraite, reconnaissance, démocratie dans l’entreprise. Le rôle d’une gauche combative, ce serait de rendre l’envie, de ranimer l’espoir. A la place des discours morbides et culpabilisants sur le « devoir travailler », et surtout l’absurde et ridicule « réarmement démographique », il faut une gauche joyeuse, qui parle du bonheur de vivre, et qui le porte !
La salle est conquise, les militant·es sont heureux d’une soirée réussie, qui se termine par quelques échanges entre les intervenant·es et le public sur le logement, les jeunes, et … l’avenir de la gauche.
Jean B