Désobéir aux traités. Et appliquer notre programme dans la perspective d’une Europe solidaire et démocratique
Les prochaines élections au Parlement européen en mai 2019vont être l’occasion de relancer le débat sur la construction européenne dans une situation où le Brexit, les projets d’Emmanuel Macron, la déconfiture de Marine Le Pen sur la question de la sortie de l’euro, la capitulation du gouvernement Syriza, sont autant d’éléments qui nécessitent de préciser notre orientation.
- L’Union européenne est un carcan pour les peuples.
L’Union européenne, tant par son cadre institutionnel et économique que par ses dynamiques internes, s’oppose à la souveraineté populaire et remet en cause tout ce qui peut aller dans le sens des biens communs et de l’intérêt général.
Elle n’a eu de cesse de prôner une politique au bénéfice des entreprises transnationales et des lobbies – qui lui servent en quelque sorte de « base sociale ». Si certains fonds, notamment les fonds de cohésion, ont pu corriger à certains moments légèrement les inégalités entre Etats membres, et si certains programmes, à l’instar d’Erasmus, ont rapproché certaines franges des peuples européens, il n’en demeure pas moins que la direction générale est celle du néolibéralisme triomphant.
En l’absence d’un budget conséquent et d’une politique fiscale et salariale harmonisées par le haut – ce qui a toujours été refusé par les élites européennes – l’UE a servi de principal point d’appui pour la mise en place de politiques de privatisation des services publiques, de précarisation et de remise en cause des droits collectifs, d’austérité salariale, de renforcement des politiques migratoires xénophobes, d’accroissement de la crise écologique, etc. L’Union économique et monétaire a renforcé le dumping social et augmenté les inégalités entre Etats du centre et ceux de la « périphérie ». De plus, se soustrayant à tout contrôle démocratique, la Banque centrale européenne, a servi de véritable arme financière contre les peuples. La crise grecque de 2015 a révélé aux yeux du plus grand nombre la nature profonde des institutions européennes.
Depuis sa création, le fonctionnement de l’UE s’est lentement démocratisé mais le cœur des politiques européennes échappe toujours au contrôle citoyen. Pire encore, quand un peuple refuse les injonctions de l’UE, comme le fit le peuple français lors du référendum de 2005, les élites les gouvernements passent outre. Attendre une démocratisation de la superstructure européenne et un changement de cap politique est une chimère : penser et repenser l’Europe, sans prendre comme préalable le cadre institutionnel établi, est une nécessité pressante.
2. Notre objectif est celui d’une refondation de l’Europe, dans une perspective internationaliste, pour en faire un espace politique démocratique et solidaire. Cinq raisons d’ordre stratégique expliquent ce choix.
Première raison : face à la puissance des transnationales et des marchés financiers, il faut un espace politique et économique qui puisse faire contrepoids. Si les marges de manœuvre au niveau national n’ont certes pas disparu, elles se sont beaucoup réduites car le capital s’est concentré et globalisé et que les économies européennes sont aujourd’hui fortement intégrées. Une Europe éclatée en de multiples pays divisés laisserait chacun d’eux seul face au capital mondialisé.
La deuxième raison renvoie à la montée de la xénophobie et au regain des tensions nationalistes. Il nous faut combattre la montée de la xénophobie en refusant que des exilé.e.s puissent rester sans papier, sans droits, sans possibilité de subvenir légalement à leurs besoins, et donc sans avenir, en ou hors de l’Union Européenne
Et mettre un terme aux accords déléguant à des pays hors UE la gestion humanitaire et administrative des exilé.e.s souhaitant se rendre dans l’UE
Cette montée de la xénophobie, du racisme et des tentations autoritaires ne pourra que s’accélérer si l’éclatement, possible dans les années à venir, de la zone euro et de l’Union européenne, débouche sur des replis nationaux antagoniques et une intensification de la concurrence entre les peuples.
La troisième raison tient à la lutte contre sur le moins-disant fiscal et social. Une disparition d’un cadre européen, loin de mettre fin à cette situation, risquerait au contraire de l’aggraver, chaque pays cherchant à accroître encore plus ses avantages concurrentiels aux dépens des autres dans ne course sans fin à la compétitivité.
La quatrième raison renvoie au fait que certains domaines nécessitent des politiques publiques qui doivent être débattues au niveau européen et qui requièrent des décisions communes fortes. C’est le cas, par exemple, des politiques de transition écolo-énergétique qui doivent être coordonnées au niveau européen pour être pleinement efficaces. C’est menée au niveau européen qu’une politique de relance budgétaire et monétaire en ce sens aurait une efficacité démultipliée en matière de création d’emplois et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La cinquième raison tient aux rapports de force et d’influence dans les négociations internationales. Le monde a vu la montée de nouveaux acteurs de taille continentale, dont le poids économique va croissant. Aucun État européen, même les plus puissants, n’est capable de peser seul dans les rapports de forces mondiaux.
3. Cette perspective d’une Europe refondée pose la question de la stratégie pour y arriver. La négociation intergouvernementale à froid se révèle incapable de changer la logique profonde de la construction européenne. Les avancées se font à la marge, et quand le statu quo ne prévaut pas, c’est souvent pour arriver in fine à une situation aggravée. L’irruption des mouvements citoyens et sociaux est donc nécessaire pour rebattre les cartes.
Pour autant, ces mobilisations influencent encore peu les politiques nationales et les instances européennes. L’échec du Forum social européen, les tentatives limitées de l’Alter Sommet, l’absence de détermination de la Confédération européenne des syndicats (CES), montrent qu’il est encore très difficile de construire des rapports de force à l’échelle européenne. Pour indispensables qu’elles soient pour pouvoir résister au rouleau compresseur néolibéral des décisions prises au niveau européen, ces mobilisations ne pourront pas enclencher une réelle inversion de la logique de la construction européenne sans passer par des ruptures gouvernementales au niveau national. L’élection d’un gouvernement de transformation sociale et écologique dans un ou plusieurs pays est donc le levier qui peut permettre d’engager un tel processus.
Cependant, comme l’a montré l’expérience du gouvernement Syriza, les institutions européennes et les gouvernements ne sont pas prêts à l’accepter. L’expérience des négociations entre la Grèce et la Troïka a montré qu’on ne peut espérer convaincre les mandataires de l’oligarchie financière de changer de logique sans leur imposer un rapport de force. Tout gouvernement de gauche voulant rompre avec les politiques néolibérales fera face à l’opposition acharnée des dirigeants européens. On n’ouvrira pas le champ des possibles alternatives aux politiques néolibérales sans qu’un pays provoque une crise politique majeure en Europe. Et c’est dans le feu de cette crise politique et la contagion possible à d’autres pays que peut naitre l’espace public européen nécessaire à la refondation du projet européen. Mais cela suppose d’abord de désobéir aux traités européens.
4. Un gouvernement de transformation sociale et écologique qui voudrait appliquer son programme se verra inévitablement soumis à des mesures de rétorsion de la part des autres pays et des institutions européennes. Le bras de fer qui s’ensuivra relèvera plus d’une guerre de position que d’une guerre de mouvement. Un tel gouvernement devrait combiner alors, à la fois et dans le même temps, un processus de renégociation des traités- même si cette perspective est incertaine du fait de l’unanimité requise pour réviser les traités – (plan A) et prendre des mesures unilatérales de protection afin de pouvoir appliquer son programme (plan B). Il s’agirait de mesures unilatérales coopératives, en ce sens qu’elles ne seraient dirigées contre aucun pays mais contre une logique économique et politique et que, plus le nombre de pays les adoptant serait important, plus leur efficacité grandirait. Elles auraient donc vocation à être étendues à l’échelle européenne. Ne pas laisser de côté le processus de renégociation des traités et se placer dans la perspective de l’extension des mesures unilatérales a pour principal intérêt d’éviter d’envoyer un message politique de repli nationaliste et d’inciter à la mobilisation dans les autres pays européens.
5. Comme l’a montré l’exemple de la Grèce, c’est en étranglant financièrement un pays que les institutions européennes peuvent espérer le faire capituler, en particulier avec le chantage du financement de la dette. La mesure immédiate à prendre sera celle d’un contrôle des capitaux pour stopper la fuite qui aura commencé dès que la perspective de victoire d’un gouvernement de gauche deviendra crédible. Les modalités de ce contrôle dépendront de la situation concrète de l’économie nationale. De plus, un moratoire sur le paiement des intérêts de la dette sera institué. Un audit citoyen sera organisé pour juger de l’origine de la dette publique et de ses bénéficiaires réels et de sa part illégitime.
Il est aussi fort probable que l’arrivée au gouvernement d’un parti ou d’une coalition de gauche radicale entraînerait une flambée des taux d’intérêt sur les obligations d’État et que la BCE n’interviendrait pas pour arrêter la spéculation financière, espérant ainsi mettre le pays à genoux. Un gouvernement de gauche devrait donc prendre des mesures unilatérales pour sortir les finances publiques de l’emprise des marchés financiers. Il serait ainsi possible de reconstituer un « circuit du Trésor » par lequel le ministère des finances a largement financé la reconstruction française dans les années 1945-1970, en centralisant la trésorerie des institutions et banques publiques et en imposant un « plancher de bons du trésor » aux banques qui devront, sous une forme ou une autre, être soumis à un contrôle social. Combinées à une réforme fiscale d’ampleur, qui redonnerait des marges de manœuvre à la puissance publique et serait porteuse de justice fiscale, ces mesures permettraient de faire face à l’étranglement financier.
Les banques françaises étant des établissements systémiques, c’est-à-dire que leurs éventuels problèmes auraient des conséquences majeures sur le système financier européen, il est peu probable que la BCE mette en difficulté leur refinancement en refusant d’accepter les obligations d’État en collatéraux (garanties). Si tel était cependant le cas, cela mettrait aussi en grande difficulté le financement de l’État. Pour contrer la pénurie de liquidités, une mesure préconisée par de nombreux économistes pourrait pourtant être prise : la création d’un moyen de paiement complémentaire à l’euro – ou IOU, I owe you -, une « monnaie » dont la valeur serait garantie par les recettes fiscales. Sa convertibilité au pair avec l’euro étant garantie, un tel dispositif s’apparente en fait à un prêt à court terme que les citoyen-ne-s accordent à leur gouvernement.
Dans cette bataille, la constance du soutien populaire est l’élément clef. D’où la nécessité d’appliquer des mesures qui puissent améliorer rapidement la vie quotidienne de la population et de mener une bataille idéologique qui permette de leur donner du sens.
6. Au-delà de telle ou telle mesure concrète, il s’agit fondamentalement d’enclencher un processus de désobéissance aux traités et aux directives européennes et d’engager un bras de fer avec les institutions européennes. Dans cet affrontement, la sortie de l’euro et de l’Union européenne n’est pas un préalable pour mener une politique de rupture avec le néolibéralisme. Une sortie de l’euro ne serait ni la catastrophe absolue redoutée par certains, ni la voie royale annoncée par d’autres. Mais ses bénéfices seraient économiquement très aléatoires et n’interviendraient éventuellement que des années plus tard. Le problème est cependant au moins autant politique qu’économique. Notre objectif est de construire des alternatives concrètes à l’austérité et au néolibéralisme. C’est dans ce cadre que la question monétaire doit être envisagée, le retour à une monnaie nationale et la sortie de l’Union européenne n’étant en rien la garantie d’une rupture avec le néolibéralisme, comme le montre l’exemple du Brexit. Comment, de plus, mener la bataille de l’opinion publique européenne si l’on claque d’emblée la porte de la zone euro alors même qu’une expulsion conflictuelle, orchestrée par les institutions pour punir un gouvernement fidèle à ses promesses électorales, pourrait enclencher une dynamique européenne de solidarité populaire beaucoup plus probablement qu’une sortie froidement revendiquée ?
L’issue de ce bras de fer n’est pas donnée d’avance. Même si le Traité de Lisbonne ne prévoit aucune possibilité d’exclure un pays de la zone euro, l’expulsion du pays « rebelle » serait possible. La Grèce en a été menacée explicitement. Mais si les conséquences du Grexit pouvaient sembler maîtrisables par les institutions européennes, il en irait tout autrement dans le cas de la France. Une politique résolue de désobéissance aux traités, ayant un appui populaire dans le pays concerné mais aussi ailleurs – les mesures prises le seraient au nom d’une autre conception de l’Europe – pourrait accroître notablement les contradictions au sein de l’Union européenne. Désobéir aux traités et rompre avec l’Europe telle qu’elle est pour refonder une « autre Europe », telle est la perspective que nous défendons, y compris à partir d’un seul pays. Dans la zone euro autant que possible en dehors si nécessaire.
En résumé, notre stratégie est la suivante :
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Nous proposerons la refondation de cette Europe, par un processus démocratique, de révolution populaire citoyenne avec de nouveaux traités, respectueuse des souverainetés, démocratique, écologique, luttant contre le racisme et le sexisme.
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Ce processus appuyé par la mobilisation populaire devra s’enclencher sans attendre. Nous n’attendrons pas son issue pour appliquer la politique pour laquelle nous aurons été élu-e-s, dans le cadre des traités existants si possible (mais c’est limité), en désobéissant à ceux-ci si nécessaire.
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Nous savons que les forces réactionnaires tenteront tout pour nous en empêcher. Nous comptons alors sur la force que représente la France (sans elle, comment imaginer l’UE ?), sur la mobilisation constante et élargie de notre peuple, sur la coordination avec les luttes des autres peuples européens, puisque ce que nous proposons vaut pour tous les peuples européens, et pas pour les opposer entre eux. Nous imaginerons tous les outils nécessaires, en particulier financiers et monétaires, pour résister à une offensive comparable à celle qui a été conduite contre la Grèce en 2015.
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En cas de menace d’expulsion de la zone euro et/ou de l’UE, nous ne céderons pas au chantage et nous préférerons « notre peuple à l’euro ».
7. Les élections de mai 2019
Il y a encore quelques mois, la possibilité d’une relance du projet d’intégration européenne à plusieurs vitesses était sur la table des discussions du couple franco-allemand. Mais le résultat des élections allemandes, puis italiennes va plutôt renforcer la crise dans laquelle se trouve ce projet. Avec un danger patent que ce soit les issues xénophobes, antidémocratiques et antisociales qui se portent sur le devant de la scène.
Offrir une alternative porteuse d’espoir à l’opposé du projet des institutions et gouvernements européens est alors un impératif majeur. L’enjeu est trop important pour laisser subsister la moindre ambiguïté. Une issue démocratique, antiraciste, internationaliste, sociale, féministe et écologiste nécessitera obligatoirement de désobéir aux traités européens. Les secteurs qui disent partager le but, mais sans envisager cette confrontation indispensable annoncent par là même qu’ils se condamnent à l’impuissance. Il nous faut au contraire, dans toute l’Europe, des listes qui annoncent clairement la couleur. Dans notre pays, la France Insoumise l’a annoncé lors de sa Convention de Clermont et précisé lors de l’assemblée représentative du 7-8 avril. C’est la voie à suivre et c’est dans ce cadre que nous nous inscrivons.
En Europe, les forces les plus influentes qui partagent cette voie doivent poursuivre et approfondir les analyses et coopérations amorcées dans le cadre des conférences du Plan B et des différentes rencontres européennes. En ce sens nous nous réjouissons de la signature le 13 avril dernier de la déclaration commune « Maintenant le peuple » entre la France Insoumise, Podemos et le Bloco de Esquerda, rejoint depuis par Potere al Popolo. Cette déclaration doit devenir le point de ralliement de toutes forces de gauche au niveau national comme au niveau européen.
Sans exclusive, y compris pour les forces membres du Parti de la Gauche Européenne ou de la GUE, dans le respect des traditions de chacun, mais également avec clarté, nous souhaitons que le maximum d’autres forces de gauche rejoignent la campagne, en l’Alliance Rouge-Verte au Danemark ou les forces qui combattent la capitulation de Tsipras en Grèce. Nous mettrons notre expérience internationaliste, les réseaux que nous avons alimentés de longue date, au service de ce nécessaire rassemblement. Au-delà de l’échéance électorale, il s’agit de construire et reconstruire un espace européen de coopération et d’élaboration entre les diverses forces de gauche qui partagent la vision d’une Europe démocratique et sociale.
La liste, encore en construction devra donc avoir cette couleur résolument internationaliste, en faveur d’une Europe des peuples, démocratique et sociale, écologique et antisexiste, déterminée à combattre les traités européens, et à y désobéir pour appliquer un programme de rupture avec le néolibéralisme. Elle doit pouvoir rassembler toutes celles et tous ceux qui soutiennent une telle perspective. La FI doit en être le fer de lance et doit à cette occasion être capable de porter une démarche de rassemblement.
Une telle liste doit s’ouvrir à celles et ceux qui, sans en faire nécessairement partie, partagent en France ces objectifs décisifs ; qu’elle rende compte du pluralisme de la FI elle-même ; et qu’elle soit le plus possible à l’image de la population dont nous sollicitons les suffrages : sans aucun cumul de mandat, portée sur la jeunesse, représentative de toutes les régions équitablement, comme des diversités sociales et autres dont elle est composée.
Le 6 mai 2018.