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Syrie et Proche-orient : quelle politique de solidarité avec les peuples de la région ?

Les échanges de tirs de missile entre Israël et les forces des régimes iranien et syrien, la décision de D.Trump de dénoncer unilatéralement l’accord sur le nucléaire passé avec le régime iranien sont les derniers éléments d’une situation régionale de plus en plus tendue. La possibilité d’embrasement régional se concentre sur la Syrie. Ce pays est détruit par la guerre menée par son gouvernement contre son peuple depuis près de 7 ans. Face à cette situation dramatique, c’est la constitution d’un large mouvement de solidarité avec les peuples de la région et pour en finir avec ces guerres qui s’avère rester nécessaire .

Toutefois, il est nécessaire de préciser le contenu de cette solidarité tant, face à ce paysage de désolation, est grande la tentation du « géopolitisme ». Celle-ci consiste à examiner le monde en surplomb avec les lunettes des « grands équilibres » étatiques. Or, ceux ci qui ne sont guère pertinents ; c’est une phraséologie qui donne l’illusion de faire de la grande politique, de comprendre le monde en termes de relations diplomatiques, à l’instar des chefs d’État bourgeois. Illusion qui peut aller jusqu’à celle d’ être authentiquement révolutionnaire.

Il nous faut donc revisiter les conceptions même d’alliés et des adversaires dans la sphère internationale.

Concernant une politique antiguerre et de solidarité avec les peuples de la région, il faut, avant tout relever, qu’en un sens, il est déjà trop tard. Ainsi, il est certain que les conséquences de ce qui s’est passé en Syrie se répercutent et continueront à se répercuter de par le monde pour encore longtemps. Le drame vécu par le peuple syrien durant cette période est trop profond, la mobilisation pour le soutenir fut trop faible, le désastre vécu par ce pays est trop grand pour qu’une quelconque hypothétique mobilisation d’ampleur -ou une initiative diplomatique- puisse effacer les conséquences de ces années. Si le prix de ces années est, bien entendu, avant tout payé par le peuple syrien, il ne fait guère de doute que tous les peuples du monde vont devoir en payer un prix d’une manière ou d’une autre.

Comment aider à ce que le peuple syrien, martyrisé, ait un avenir ?

Pour tenter de répondre à cette question revenons sur l’histoire de ce pays, ces dernières années.

1. Tout d’abord il nous faut réaffirmer que la Syrie a connu une révolution populaire. Laquelle a été écrasée par le régime d’Al-Assad et ses alliés. Paradoxalement, alors qu’ il s’agit d’un processus révolutionnaire extrêmement fourni en témoignages audiovisuels provenant de la population insurgée, le déni de cette révolution a été particulièrement fort dans de larges pans de la gauche internationale.

2. Ensuite, rappelons que le régime d’Al-Assad est contre-révolutionnaire et ne doit sa survie qu’à l’intervention des régimes iranien (épaulé par le Hezbollah libanais) et russe. Pour ces deux aspects de la même question, les sources ne manquent pas, aussi bien la production militante que les travaux de chercheurs.

3. La révolution syrienne a généré ses propres organes dans de nombreux territoires, les « conseils locaux ». Ceux-ci ont assuré le maintien le maintien d’un minimum de services publics face à un État répressif et défaillant. Ces conseils n’étaient pas parfaits, pas forcément élus. Certains pouvaient être désignés par des familles puissantes, être liés à des milices armées ; ils n’incluaient généralement pas de représentation des femmes ou des minorités ethniques. Mais malgré toutes ces limites avérées, il s’est agi d’organes éminemment plus souhaitables que ceux du régime prédateur d’Al Assad1.

Il est indéniable que parmi les opposants au régime d’Al-Assad il existe des courants djihadistes, toutefois cela tient en grande partie au régime comme le rappelle G.Achcar :

« En outre, il est bien connu que durant l’été/automne 2011, le régime a relâché les djihadistes qu’il détenait dans ses prisons. L’objectif était qu’ils créent des groupes djihadistes armés – conséquence que leur remise en liberté rendait inévitable dans le contexte d’un soulèvement – de manière à confirmer le mensonge que le régime avait répandu depuis le début, à savoir qu’il se trouvait confronté à une rébellion djihadiste. C’était un bon exemple de prophétie auto-réalisatrice, et les militants libéré des prisons par le régime dirigent actuellement certains des groupes djihadistes clés en Syrie. Il faut comprendre que quoi que l’on puisse dire du caractère réactionnaire d’un important secteur de ceux qui luttent contre le régime, en premier lieu c’est le régime lui-même qui les a produits. Plus généralement, par sa cruauté, le régime a suscité le ressentiment qui a engendré le développement du djihadisme, y compris l’Etat islamique (Daech), qui est en effet une réponse barbare à la barbarie du régime, dans ce que j’ai appelé le heurt des barbaries (clash of barbarisms). » 2

De ces faits nous pouvons déduire qu’ un discours se consacrant uniquement à la critique des politiques des gouvernements occidentaux ou français -occultant la responsabilité d’Al-Assad dans le massacre de son peuple parce que le gouvernement français le condamne- , laissant la porte ouverte à des discours réhabilitant ce régime n’est pas anti-impérialiste mais tout simplement contre-révolutionnaire. Une fraction de la gauche internationale fut et est contre-révolutionnaire à propos de la révolution syrienne.

Trois discours contre-révolutionnaires.

Or trois types de discours se sont manifestés, pouvant se conjuguer entre eux, afin de relativiser/minimiser/nier l’existence d’un processus révolutionnaire en Syrie :

1/ Un discours campiste/complotiste assimilant le processus révolutionnaire à une simple manœuvre de déstabilisation, à une politique de « changement de régime » initiée par les gouvernements occidentaux, plus précisément le gouvernement états-unien, contre un régime considéré comme un rempart aux projets impérialistes.

Il y a là une erreur factuelle, le régime assadiste n’a historiquement pas été un tel bastion. Il suffit de se souvenir du soutien de ce régime à la guerre contre l’Irak initiée par les États-Unis, de son adaptation poussée au capitalisme néo-libéral mondialisé (suscitant une paupérisation ayant constitué le socle social de la révolution). Ce discours procède à un effacement des peuples des pays du site sous le poids de la géopolitique.

2/ Une version plus subtile de ce premiers discours est celui de la « captation initiale ». Ce discours consiste à admettre l’existence d’un processus révolutionnaire en Syrie mais à postuler sa captation rapide par une direction politique opportuniste, réactionnaire et favorable aux puissances impérialistes occidentales.

Indéniablement, la révolution syrienne a eu un problème crucial de direction politique ; les groupes considérés internationalement comme représentants « l’opposition » se sont révélés hostiles à reconnaître la légitimité de revendications kurdes, ilsfurent effectivement opportunistes envers les gouvernements occidentaux, turc, israélien, saoudien….

Cependant, ce discours ignore que, malgré ses limites, le processus révolutionnaire populaire syrien s’est poursuivi parallèlement à la manifestation de l’impéritie d’une grande partie de l’opposition. La conséquence pratique de ce discours est in fine similaire au premier.

3/ Il existe enfin un discours « d’évitement ».

C’est un discours qui aborde l’actualité de la Syrie en évitant le processus révolutionnaire au profit de deux thèmes : le soutien aux initiatives du PYD-PKK dans la Syrie du nord (le Rojava), et la seule dénonciation des initiatives du gouvernement français (et, par extension, des gouvernements états-unien et européen).

Il y a une indéniable idéalisation de l’expérience du Rojava dans de larges pans de la gauche radicale occidentale. Cette expérience s’est constituée à la faveur du retrait du régime d’Al Assad ; les dirigeants du PYD-PKK ont eu avec ce régime des relations allant de la collaboration à l’affrontement selon les périodes et les territoires. De plus, l’émergence même du Rojava a été rendu possible par la révolution syrienne obligeant le régime à abandonner ces territoires dans lesquels le PYD-PKK a pris le pouvoir et a déclaré l’autonomie -ce qui ne change rien à la légitimité de la revendication d’autonomie kurde.

Il y a également dans ce discours la reproduction du schéma de l’opposition à l’invasion de l’Irak (2003). Mais la situation est différente en Syrie : il y a eu un processus révolutionnaire en Syrie qui n’existait pas en Irak ; l’ engagement occidental en Syrie est relativement faible au regard des interventions iraniennes, hezbullahi et russe.

S’il est important de se souvenir de la formule du révolutionnaire allemand K .Liebknecht selon laquelle l’ennemi principal est chez soi, prononcée contre le militarisme de son propre pays, cette formule, ne saurait en aucun cas dispenser du devoir de solidarité internationaliste envers un peuples insurgé contre une dictature. A cet égard la formule de Léon Trotsky dans un texte magistral de 1938 (« Il faut apprendre à penser ») peut s’appliquer à la situation syrienne : « La politique du prolétariat ne se déduit pas automatiquement de la politique de la bourgeoisie en mettant le signe contraire, — en ce cas-là, chaque sectaire serait un grand stratège »3.

Élaborer une ligne politique alternative qui ne soit pas alignée sur les intérêts du gouvernement des capitalistes français reste évidemment possible, et indispensable.

L’Iran, la Russie, l’internationalisme.

L’Iran intervient en soutien au régime d’Al-Assad depuis 2013. Pour le régime iranien, la Syrie représente un lien clé dans un axe qui va de Téhéran au Hezbollah du Liban en passant par l’Irak et la Syrie. Damas occupe un rôle crucial pour les fournitures que l’Iran transmet au Hezbollah; elle accorde aussi à l’Iran un accès stratégique à la Méditerranée.

L’Iran est régulièrement secoué par des crises sociales qui tiennent au marasme d’une économie fortement dépendante de l’exportation de pétrole et à une corruption très forte. Dans ce climat, toute initiative de provocation hostile d’Israël ou des dirigeants occidentaux renforce la légitimité de la République islamique et de ses militants les plus durs (la fraction des « Gardiens de la Révolution », Pasdaran). Ils prolongent artificiellement la vie d’un régime corrompu et permettent à ses dirigeants d’assimiler toute contestation sociale à une trahison pilotée depuis Washington et/ou Tel-Aviv.

La Russie intervient directement en Syrie depuis 2015. Alors que la Syrie n’a jamais été considéré comme une position stratégique pour les États-Unis, pour la Russie au contraire la Syrie est le seul pays sur la Méditerranée qui héberge des bases navales et aériennes russes à Tartous depuis 1971. A cet intérêt initial s’est ajouté le fait que « La Syrie est devenue pour Moscou en 2015 un atout stratégique d’autant plus précieux que l’importance de la situation syrienne s’est considérablement accrue aux yeux des gouvernements européens à partir de la même année, avec la formidable poussée de réfugiés vers l’Europe doublée de la vague d’attentats terroristes sur le sol européen. En s’imposant comme maîtresse du jeu en Syrie, la Russie détient un atout majeur dans ses relations avec les pays occidentaux, et notamment face aux États-Unis. » comme l’indique G.Achcar.

Outre le régime iranien et son allié du Hezbollah au Liban et le régime russe, les autres puissances régionales intervenant en Syrie sont les régimes turcs, israélien et saoudien qui suivent chacun des objectifs propres sans aucun lien avec le bien-être des peuples de Syrie ou le maintien de la paix.

Ainsi, la Syrie est l’épicentre des crises régionales.

Solidarité internationale et solidarité avec les migrants.

Nous avons voulu montrer ici la vacuité d’une posture « géopolitique », notre refus de voir en la direction Al assad une force qualifiable autrement que comme contre-révolutionnaire et criminelle. Ces préalables sont nécessaires pour désamorcer les multiples logiques bellicistes.

Cela passe également par la question de l’accueil des migrants. Cet aspect relève d’abord d’un humanisme minimal face à un drame massif .

Et aussi, comme indiqué précédemment, cette question fait de la Syrie un atout pour le régime russe. Une politique à l’inverse de l’actuelle logique d’Europe forteresse renforcée en France par la loi « asile-immigration » réduirait la valeur de cet atout pour V.Poutine. Par ricochet, cela enlèverait également à R.Erdogan le levier que lui donne sous-traitance des flux de migrants en Turquie.

Ainsi, un mouvement politique antiguerre doit être en même temps de solidarité avec les peuples de la région et s’opposer à son impérialisme domestique -et à celui des États européens, états-unien et israélien. Et il doit également intégrer dans son positionnement la dénonciation des interventions impérialistes de la Russie et des exactions des sous-impérialismes régionaux.

En d’autres termes, il doit explicitement se positionner du côté des peuples opprimés.

Nous devons empêcher toute escalade belliciste dans la région, en cherchant en particulier à réduire les conséquences du retrait des USA de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. C’est à dire chercher à ce que les États européens restent dans ce cadre et ne cherchent pas à accompagner les provocations états-uniens et israélien envers le régime iranien.

Emre Öngün