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Sur notre échec aux élections européennes

Le résultat aux Européennes est une douche froide pour tous ceux qui, militant-es et sympathisant-es FI, s’attendaient à bien mieux. Les dernières semaines de campagne laissaient en effet espérer voir la FI se maintenir, à minima, à son niveau des législatives. La campagne semblait en effet avoir pris de l’ampleur, portée par une tête de liste faisant très bonne figure à la télévision.

Cette fin de campagne satisfaisante rend difficile l’analyse de l’échec final, qu’il faut expliquer par d’autres facteurs que la simple dynamique des dernières semaines de campagne.

Sur cette période de campagne, un événement extérieur me parait expliquer largement la brutale chute de la FI, la dilution de son électorat entre abstention et vote pour les autres listes de gauche, EELV en tête1 : c’est l’appel à voter pour le RN d’un de ses élus locaux et figure interne au PG, Andréa Kotorac.

Cet appel, complaisamment relayé par une presse et des médias audiovisuels lui ayant donné un écho national digne d’un dirigeant national de premier plan dont ne peuvent que rêver la plupart de nos camarades, a à mon avis joué un rôle déterminant dans l’échec final de notre liste. Kotorac et ceux qui lui ont servi de porte-voix ont donné du grain à moudre aux thèses du type “fer à cheval”, qui identifient la gauche radicale à l’extrême droite sur le thème éculé des extrêmes qui se rassemblent2.

Trois jours de propagande à temps plein à ce sujet, sur tous les médias, ont eu pour effet de détourner du vote FI une part, probablement importante, de ceux qui envisageaient de voter pour elle, d’autant que la campagne, a été orientée par Manon Aubry et la direction de campagne, menée par Manuel Bompard, dans un sens social-démocrate. En effet, cette orientation visait à mobiliser un public traditionnellement de gauche, très hostile au Front National et sensible aux thèses identifiant “populismes” de droite et de gauche comme deux faces d’un danger commun pour la démocratie.

Sur la question du rôle actif des médias dans notre échec, remarquons comment, à la suite du matraquage Kotorac, la deuxième couche aura été passée par une rétrospective des perquisitions et de la colère de Mélenchon qui les avait accompagnées, comme pour bien dire a nos électeurs potentiels “n’allez pas voter pour ces crypto-fascistes ennemis de la justice et de la vérité”.

Ce dernier point signe d’ailleurs la malhonnêteté de toute l’entreprise : qui pour remarquer que 6 mois après la mise en scène digne de l’antiterrorisme de ces perquisitions, rien de tangible n’en est sorti au delà de bruits de couloir dignes de Closer.

Je ne pense pas, par contre, que l’appel de Kotorac aie eu un effet important sur le vote RN. Un effet marginal a peut-être été observé sur des proches gilets jaunes déjà tentés par le vote protestataire que Macron avait lui-même désigné comme son antithèse Finalement, le score final du RN bouge peu par rapport aux estimations des dernières semaines de campagne.

Une fois pointé le rôle des médias dans notre échec, la question à se poser est : comment une manipulation médiatique assez grossière a-t-elle pu faire dévisser à ce point notre campagne. Ce sont, à mon sens, les réponses à cette question qui amènent le mieux la remise en cause de nos pratiques et modes de fonctionnement politiques.

On peut notamment penser que, si notre campagne avait décollé avant le dernier mois, la dynamique enclenchée aurait été assez solide pour résister aux grosses ficelles de la propagande médiatique. Plusieurs facteurs expliquent ce retard.

D’une part, revenons à la constitution et à la composition de la liste. Il est symptomatique du fonctionnement du premier cercle entourant JLM qu’il ait été possible que le responsable de la constitution des listes puisse être placé à la tête de celle-ci, alors même qu’il aura fallu trouver en urgence quelqu’un pour mener la liste, devant les limites de cette personne dans l’exercice médiatique. Cela vient sans parler des autres problèmes ayant retardé le décollage de la campagne. On peut notamment remarquer la participation de moins de 10% des insoumis-es au vote de validation de la liste, explicable par la manière dont nous avons été mis devant le fait accompli d’arbitrages contestables.

La litanie des crises, autour de personnalités quittant tour à tour la FI, ou la liste, sont un autre écho de nos dysfonctionnements. Entre le règlement de désaccords politiques par tribunes interposées et la colère de courtisans déçus dénonçant un système qui les a fait un temps exister, c’est tout le fonctionnement de l’appareil dirigeant de la FI qu’il faut remettre en cause.

La qualité exceptionnelle d’orateur de JLM ne doit plus s’accompagner de réflexes de cour où des personnalités peuvent utiliser leur proximité au chef pour faire avancer leurs billes au mépris de tout fonctionnement collectif. Notons que la campagne des européennes a au moins permis de mettre à l’écart une série de personnalités agissant sur ce mode, un mal pour un bien sans doute au vu des dégâts qu’ils auront causé..

D’autre part, sur le fond politique, il convient d’analyser pourquoi il s’est révélé nécessaire de revoir notre ligne politique du tout au tout entre le premier lancement de notre campagne et la mise en orbite de Manon Aubry. Nous étions sensés faire campagne autour de la dialectique Plan A / Plan B, de la désobéissance aux traités européens et au référendum anti-Macron. Nous avons fini par une campagne plus traditionnelle, sociale démocrate radicale, de critique des institutions de l’UE et visant à l’élection députés capables de porter les luttes sociales dans l’enceinte de Strasbourg.

La ligne d’origine est porteuse d’une capacité de mobilisation indéniable, car elle associe une ligne politique de justice sociale à une tactique permettant de mettre en œuvre ces orientations. En effet, elle met en avant la capacité d’un grand pays moteur de l’Europe à la réorienter, si sa population se dote, et porte en continuant à se mobiliser après les élections, des dirigeants désireux de le faire.

Seul problème : ce n’est pas dans un parlement croupion qu’on peut le faire. Une ligne valable, sur les questions européennes, pour une élection nationale, ne fait pas une ligne efficace pour l’élection européenne elle-même, vu comment on n’élit que des sous-parlementaires dépourvus du réel pouvoir législatif. La réorientation de la campagne paraît dans ce cadre être raisonnable, d’autant qu’il s’agit dans ces élections mal-aimées de mobiliser un électorat susceptible de se mobiliser pour aller voter.

Plusieurs problèmes sont toutefois associés à cette réorientation. Tout d’abord, elle nous a placé sur une ligne peu mobilisatrice pour nous autres militants, largement convaincus qu’il est vain de croire changer l’Europe depuis son Parlement. Ensuite, la nouvelle ligne choisie nous a placé sur un terrain politique très similaire aux autres listes de la gauche traditionnelle, PCF et Générations en tête, et, de manière plus superficielle, EELV et PS.

Là ou le plan A / plan B justifiait la désunion à gauche face à des listes défendant l’Europe sociale par la réorientation des institutions de l’UE, nous nous sommes finalement reportés sur le terrain commun à toute la gauche, où les divisions passent à juste titre comme la conséquence du sectarisme et des querelles de pouvoir.

L’élection européenne est porteuse de peu de sens dans la masse de la population, largement à juste titre. Seuls les milieux militants et médiatiques, décalés comme jamais de la masse de la population, y accordent une importance fondamentale. De ce fait, n’aurait-il pas été préférable de réserver nos forces, en nous associant à des listes larges et consensuelles et sans trop nous exposer, afin de réserver nos forces aux mobilisations populaires d’une part (ce qui a été de toutes manières choisi en pratique par les militant-e-s) et de mieux préparer, sur le terrain politique, les élections municipales a venir en ouvrant dores et déjà notre stratégie à des unions larges qui seront nécessaires pour conquérir des municipalités importantes?

Finalement, les atermoiements autour des questions de personne et de ligne auront pesé lourd dans la faiblesse de la mobilisation militante, y compris sur des territoires où la FI existe à une échelle de masse. La faiblesse de cette mobilisation militante à contribué de manière décisive à nous rentre dépendants des représentations médiatiques de nos actions contribuant à expliquer comment la défection d’un cadre de second plan à pu à ce point faire dérailler nos deux dernières semaines de campagne.

Bastien Marchina, Montpellier, le 3 juin 2019.

1Sur le vote RN, aucune donnée sérieuse ne corrobore un transfert de voix important provenant de la FI.

2Ajoutez-y une louche de Harendt mal digérée pour faire bonne mesure.