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Sur « l’affaire Bétharram », et ce qu’elle nous dit des élites.

« Va sur ton chemin, enfants oubliés, égarés…. »

Voici l’affaire « Notre Dame de Bétharram ». Si un scénariste avait proposé un tel scénario pour dénoncer les violences faites aux enfants, on lui aurait sans doute répondu qu’il en faisait trop. Et pourtant, de quoi parle-t-on ? Une cinquantaine d’années de sévices physiques infligés à des enfants et des centaines d’actes pédo-criminels dans un pensionnat catholique, en France, dans le département des Pyrénées Atlantiques, celui de M. le Premier Ministre. Derrière l’horreur qui prend aux tripes (de toute personne normalement constituée), que dit l’affaire Bétharram de notre société ? Que révèle-t-elle sur les dysfonctionnements systémiques de notre société ? Que dit-elle de l’impunité dont jouit l’enseignement privé catholique dans notre système éducatif ?

Où il est question de violences patriarcales systémiques.

Comme dans l’affaire Pélicot, ce que nous dit l’affaire Bétharram, c’est que le violeur, les violeurs ne sont pas des ogres, venus de loin et inconnus. Tous les chiffres le confirment, dans les violences faites aux enfants comme dans les violences faites aux femmes, les coupables sont le plus souvent des parents, des proches, des entraineurs ou des éducateurs. Ils profitent de leur autorité , (ici l’autorité religieuse et pédagogique), pour abuser de leurs victimes. Ils se croient tout permis, parce que finalement, tout leur est permis. Le profil de « l’homme violent » n’existe pas, il est M. Toutlemonde.

Dans le cas des abus perpétrés par les religieux, il est en plus auréolé de sainteté et cette protection agit sur l’entourage comme une carte d’immunité.

Où il est question d’éducation réactionnaire des enfants.

Si certain.es pensaient que la question de l’éducation non violente des enfants était réglée depuis longtemps, l’affaire Bétharram, nous ramène à une triste réalité. A la sortie de la Guerre, se met en place une protection spécifique de l’enfance et de la jeunesse. La société doit protection à ses enfants. En 1996, la loi interdisant les châtiments corporels (dont la fessée) est adoptée. Pourtant, cette question n’est pas réglée et loin de là.

Depuis plusieurs décennies, une nouvelle musique réactionnaire se met en place. On aurait été trop laxiste, on aurait tout permis aux enfants…. On écoute celles et ceux qui nous proposent « une fessée et au lit ! ». On écoute certains pédopsychiatres qui nous expliquent que nous avons toutes et tous basculé dans le règne de « l’enfant roi ». Il nous faut donc remettre de l’ordre dans tout ça. Les parents, l’école doivent reprendre la main ! Et celles et ceux qui résistent sont qualifié.es de dangereux.ses. L’éducation non violente nous amènerait à notre perte et créerait des criminels en puissance. D’ailleurs, on nous invite à regarder la société, elle est violente oui ou non ? CQFD.

Pour le coup, avec l’affaire « Bétharram » on est servis ! Fessées, sévices corporels, blessures irrémédiables, auxquels s’ajoutent de très nombreux viols.

Deux remarques à ce sujet :

La première défense du Premier Ministre comprenait deux remarques : « Bétharram était strict, on disait aux enfants, si tu n’es pas sage tu iras à Bétharram ». Avec le recul, on mesure l’horreur de cette phrase. Qu’a pu faire un enfant pour mériter cela ? Quelle bêtise a-t-il pu commettre pour qu’on le laisse seul dans cet univers ?

Deuxième axe de défense du Premier Ministre : « D’ailleurs, j’y ai laissé mes enfants ». Mais quel est ce papa qui, sachant qu’on y maltraite les enfants, les laisse dans ce pensionnat ?

Alors que la question de la responsabilité des familles dans les méfaits des mineurs se réinvite sur la place publique, on assiste là à un retournement du stigmate. Nous pouvons dire que dans le cas de l’affaire Bétharram, nous assistons à une démission des parents. Oui M. et Mme Bayrou, sont des parents démissionnaires. Iels ont laissé leurs enfants dans une école qui maltraitait les enfants, et non seulement iels les ont laissé.es mais en plus, iels sont allé.es défendre ce système d’éducation, communiant avec M. Douste Blazy dans la chapelle du pensionnat pour redorer le blason de cette institution. Comment cela est-il possible ?

Et bien parce que dans certains milieux, il est de bon ton d’être dur avec ses enfants. Dans la caste de M et Mme Bayrou, l’enfant n’est pas un être qu’il faut protéger et éduquer mais un petit animal qu’il faut dresser à coups de bâtons. Assis, debout, couché… Rousseau nous expliquait déjà que cela est une erreur sans fond mais il faut croire que dans une partie de nos « élites » le philosophe n’a pas convaincu.

A cela s’ajoute le fait que l’enfant est pris individuellement. On ne parle pas d’enfance au sens large mais d’enfant. D’ailleurs dans la lutte contre le harcèlement à l’école, la bascule s’est faite tout doucement pour finir par le Ministre Gabriel ATTAL, qui voit le phénomène comme une violence intrinsèque au monde de l’enfance. Finie la règle qui voulait que si les enfants et la jeunesse étaient violents, les adultes y étaient pour quelque chose. Non, le monde des enfants est cruel et donc…. Il faut sanctionner et en MÊME TEMPS apprendre aux enfants l’empathie. Mais comment apprendre aux élèves l’empathie quand on considère l’Affaire Bétharram ?

Où il est question de la protection de l’enfance.

Plus l’affaire est étudiée, plus les manquements qui surgissent sont nombreux. Bayrou, ministre de l’Education, président du département et maire de Pau n’a rien dit, pire il n’a rien fait…… sa femme, chargée de la catéchèse dans l’établissement n’a rien dit. Les institutions de l’Education Nationale n’ont rien dit et on assiste effaré à des mea culpa sur des enquêtes bâclées. Mais qu’est-ce que c’est que ça ?

Comment explique-t-on ces manquements criminels ? Et bien parce que finalement, ce n’est pas si grave.

Aujourd’hui, les budgets de protection de l’enfance sont rognés. Les restrictions budgétaires touchent les services publics et les associations qui sont chargés de sa mise en oeuvre. Dans les économies du dernier budget, il s’est même trouvé un technocrate pour rogner sur les budgets de recherche contre les cancers touchant les enfants. (Le gouvernement est revenu dessus en parlant d’erreur…).

La protection de l’enfance n’est pas un supplément d’âme des politiques publiques, ce doit être le cœur !

Où il est question d’impunité et de violences physiques et sexuelles systémiques.

Cette affaire vient après celles des établissements privés parisiens Stanislas et des Francs-Bourgeois,. ces écoles confessionnelles catholiques où l’élite conservatrice ou réactionnaire scolarise ses enfants et dans lesquelles l’immunité s’est déjà illustrée dont jouissent

Depuis longtemps, les syndicats de l’enseignement et les partis de gauche dénoncent l’état de fait qui veut que les établissements privés, principalement catholiques (en fait 95 % d’entre eux), bénéficient, au nom du « caractère propre », d’une latitude de gestion et d’organisation pédagogique sans commune mesure avec les règles qui président à la mise en œuvre du service public d’éducation. Avec l’affaire Bétharram, tout ressort. Quel contrôle exerce l’institution de l’Education Nationale sur le fonctionnement réel de ces établissements ? On inspecte les enseignant.es dans les classes, parce qu’on les rémunère, et pour le reste on laisse faire le Diocèse. Les conclusions de la mission parlementaire sur le financement de l’école privée sous contrat, dont les rapporteurs étaient Paul Vannier (LFI, Val d’Oise) et Christopher Weissberg (RE, 1ère circonscription des français de l’étranger), publiées au printemps dernier1 pointaient en premier lieu l’opacité sur le montant des dépenses publiques allouées à l’enseignement privé, ainsi que sur leur utilisation. Le rapport souligne ainsi que la probabilité qu’un établissement privé soit contrôlé est « d’une fois tous les 1500 ans ». En revanche la rigueur mise dans l’examen des conditions de contractualisation de l’enseignement confessionnel musulman est semble-t-il beaucoup plus grande, comme le montre la rupture du contrat d’association avec l’état, fin 2023, du lycée Averroès de Lille, dernier lycée privé musulman sous contrat.

C’est en réalité un régime dérogatoire au droit commun dont jouit l’enseignement privé catholique en France. Comme dans le domaine des loisirs d’ailleurs, où le Scoutisme bénéficie de dérogations aux règles d’encadrement en terme à la fois d’effectifs encadrés et de personnel adulte formé, qui ne s’appliquent pas aux autres mouvements associatifs d’éducation populaire laïcs (CEMEA, Francas, Léo Lagrange, UFCV, etc.) prenant en charge des centres de vacances et de loisirs pour enfants et adolescents.

Cela laisse en tout cas beaucoup, vraiment beaucoup, de trous dans la raquette. Cela indique l’indifférence de l’Etat et de l’Education Nationale aux normes éducatives globales qui s’appliquent dans ces établissements scolaires privés catholiques, au nom de « leur caractère propre » donc, et en raison de la place exorbitante qui leur a été concédée, grâce au financement public, dans le système éducatif du pays.

C’est ce qu’a déjà illustré l’affaire des contenus homophobes délivrés dans les cours d’enseignement religieux non-mixtes du Lycée Stanislas. Et quand une inspection a lieu en 1996 à Bétharram, elle ne dure qu’une demi-journée et ne donne lieu qu’à un rapport indigent, « qui ne tient pas la route » selon les propres termes de l’inspecteur responsable… Cela alors qu’elle intervient à la suite d’une plainte pour violence volontaire ayant entrainé une blessure grave et irrémédiable (perte définitive de l’ouïe à une oreille) sur un enfant de quatorze ans ans, et alors que quatre autres faits de violence de même nature ayant entraîné des perforations du tympans sont au même moment révélées par la presse locale… Comme le révèlent David Perrotin et Antton Rouget dans un article très complet de Médiapart sur le sujet le 13 février dernier (« Notre dame de Bétharram : un établissement hors de tout contrôle »)2. En trente ans l’établissement n’a jamais été sérieusement contrôlé. Aucune enquête administrative sérieuse n’a été ordonnée de la part de l’autorité de tutelle, le Rectorat ou le ministère…

Par ailleurs, on estime à 330 000 le nombre des victimes de pédo-criminalité dans l’Eglise française catholique, sans prendre en compte les actes sur enfants handicapé.es. Et quelles sont les associations qui se chargent d’étudier ce phénomène ? Et bien les mêmes ! On délègue les enquêtes aux associations liées au Diocèse. Il est temps maintenant pour la Justice de s’emparer de ce problème et de mener des enquêtes systématiques. On peut espérer que l’enquête parlementaire obtenue (de haute lutte) par les député.es de gauche actera définitivement cette décision. Notons que dans le cadre des révélations, on constate que lorsque Notre Dame de Bétharram est finalement condamnée à 10 000 francs de dommages et intérêts pour violences sur mineur en 1993, finalement, on demande à l’Etat de payer. Pourquoi ? me direz-vous. La démonstration vient du Père Carricart, lui-même, le directeur et violeur d’enfants  : « Puisque l’école est sous contrat avec l’Etat, alors l’Etat paye ! ». Bref, les établissements catholiques sous contrat gagnent à tous les coups.

Il est temps que l’Etat arrête de subventionner à 80% les établissements privés. Cet argent public doit revenir à l’Ecole Publique, imparfaite certes, mais finalement un poil plus protectrice que l’école privée, n’est-ce pas ?

La fermeture de cet établissement doit être immédiate et ne doit pas attendre, comme le demande la Ministre Borne, une inspection supplémentaire. Alors qu’à ce jour, 150 plaintes ont été déposées, il apparaît nécessaire que, dès à présent, l’état ferme cet établissement.

Où il est question de libération de la parole.

Dans cette affaire, la parole a toujours été libre. Ce sont des plaintes, des alertes, des courriers, des appels au secours, des articles de presse….. Parents, professeure de mathématiques, infirmières, enfants, gendarmes, juge… Tous ont parlé. Certain.nes, comme la professeure de mathématiques, une famille plaignante ou le gendarme disent avoir subi des pressions. Ce n’est donc pas un problème de libération de la parole mais bien de décisions politiques. C’est donc bien une affaire de non-assistance à enfants en dangers dont il est question. En fait d’une omerta menée par une caste de notables provinciaux, défendant au mieux par son silence, au pire par ses menaces, son institution scolaire.

Où il est question de mensonge.

Maintenant, tout le monde le sait, Bayrou a menti, re-menti et re-re menti. Pourquoi ? Parce que le premier Ministre a dû estimer que cette affaire de violences et de pédo-criminalité est accessoire au regard de ce qu’un gouvernement doit gérer. Mais malgré tout, analysons le mensonge dans ce qu’il révèle :

  • Violenter des enfants c’est grave mais pas si grave. Rappelons-nous que Bayrou s’est fait une petite réputation en donnant une claque à un enfant.

  • Cette histoire traine mais finalement, a toujours été étouffée.

  • Mettre sur la place publique une telle affaire bouleverse les équilibres de valeurs portées par une caste et met à mal l’enseignement catholique français.

  • Nous nous vivons comme de « bons parents ». Et une petite raclée de temps à autre n’a jamais fait de mal.

  • Tout le monde le savait et ne faisait rien, ce qui renforce le fait que ce n’était pas si grave.

  • Et enfin, argument classique dans ce genre de scandale : « je ne le savais pas, mais je ne suis pas le seul à n’avoir rien fait !!!! »

Ainsi, à cette heure, l’Affaire Bétharram révèle un ensemble de dysfonctionnements systémiques liés à l’enseignement confessionnel catholique et à un mode d’éducation rance porté par une partie de la bourgeoisie notable. On aurait pu croire que cette affaire aurait amené à la démission volontaire et spontanée du Premier Ministre impliqué. Mais tel n’est pas le cas. Une fois de plus, charge aux victimes, aux journalistes et aux témoins de continuer à se battre pour que justice soit faite. Charge à nous, à la gauche, à ses député.es, de continuer à les soutenir par nos discours (notons le silence assourdissant du Président de la République) et par la mise en place de commissions d’enquêtes et de lois adéquates.

Manue de Marseille (Pour la Commission Education)

1Le rapport est disponible sur le site de l’assemblée : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b2423_rapport-information#

2 https://www.mediapart.fr/journal/france/130225/notre-dame-de-betharram-un-etablissement-hors-de-tout-controle