Nous venons de vivre un cycle de mobilisation exceptionnel par sa durée, par l’ampleur et la répétition des manifestations, par la massivité du rejet de la réforme du gouvernement sur les retraites, (avec l’opposition de plus de 70 % de la population et de plus de 90 % des salariés), par la ténacité et l’amplitude de l’intersyndicale de bout en bout. Lors de la journée du 6 juin, même si l’on a bien évidemment enregistré un reflux, le nombre de manifestants est resté relativement élevé.
Néanmoins, cette mobilisation a échoué du point de vue de l’objectif qu’elle s’était fixé : imposer le retrait de la réforme des retraites.
Prendre le temps d’analyser les obstacles à la victoire est une nécessité pour nous et pour toutes celles et ceux qui pensent que les luttes sociales doivent se combiner aux succès électoraux pour résister à l’offensive libérale, conquérir le pouvoir et ouvrir la voie à une politique de transformation sociale et écologique qui nécessite un très haut niveau de mobilisation de la société. Un seul facteur ne suffit pas à lui seul pour expliquer les limites de la mobilisation. Et sûrement pas une prétendue trahison des directions syndicales.
Le moyen le plus sûr de bloquer le gouvernement eut été de bloquer le pays. L’intersyndicale unie, CFDT incluse, a construit un calendrier de mobilisation qui permettrait « d’accrocher » aux grandes journées, aux « temps forts », un processus de grève reconductible, de blocages et d’occupations. L’intersyndicale a même appelé à « mettre le pays à l’arrêt ».Si le pays a ralenti, il ne s’est jamais arrêté. Pourquoi ? La faible conviction que l’on pouvait gagner, l’absence de référence de luttes d’ensemble victorieuses récente, le poids des difficultés de la vie quotidienne, le manque de visibilité sur l’alternative au pouvoir macronien, l’absence de cohésion entre le front syndical et la gauche politique, sont autant d’éléments qui se sont combinés et qui ont sans doute pesé négativement.
La ténacité du gouvernement qui, par la violence de la répression ou par mille manœuvres antidémocratiques, a eu raison de celle des manifestants et d’une majorité de députés qui s’opposaient au report du départ à la retraite de 62 à 64 ans. Il y a une inflexibilité thatchérienne dans le choix de Macron d’affronter une écrasante majorité du pays mais la comparaison avec l’ex première ministre du Royaume-Uni face aux mineurs britanniques en 84/85 s’arrête là. En effet, la victoire de Macron et Borne ne constitue pas un choc fatal pour le mouvement social car rien ne dit que les capacités de mobilisation de la société soient anéanties durablement.
Certes cet échec nécessite une discussion de stratégie politique mais à cette étape, il faut noter quelques éléments qui montrent que des possibles sont ouverts :
• Loin de sortir affaiblies, les organisations syndicales ont semble-t-il profité de ce cycle de mobilisation en ayant retrouvé du crédit auprès de la population. Elles ont enregistré 100 000 adhésions supplémentaires et des luttes se poursuivent sur d’autres terrains que celui des retraites, en particulier sur les salaires.
• A l’inverse, si le gouvernement a imposé sa volonté, il en ressort considérablement affaibli et discrédité dans l’opinion. Il apparait comme de plus en plus illégitime. Le macronisme est usé jusqu’à la corde. Le pouvoir en place n’a pas l’assurance de pouvoir durer jusqu’au terme de sa mandature. Macron s’est senti obligé de dire qu’il ne démissionnerait pas, que si la situation l’imposait, il dissoudrait l’Assemblée Nationale, reconnaissant de fait que ces questions se posaient. Cela n’a rien d’anodin. Le gouvernement cherche désespérément des portes de sortie, soit en poussant le pays sur la voie du racisme et de la xénophobie décomplexées, soit en demandant à l’Europe « de faire une pause dans les mesures écolos. »
A la crise sociale, déjà là avant la mobilisation, s’est ajoutée la crise démocratique. Les institutions de la Ve République, dont de nombreux français ont pris conscience du caractère autoritaire, apparaissent dépassées ou illégitimes.
Personne ne peut savoir comment la vie politique va évoluer mais le temps des possibles est ouvert. Le paysage politique du pays voit trois blocs s’affronter depuis la naissance de la NUPES il y a un an. L’extrême-droite se fait particulièrement menaçante. Sans lien organique direct avec le mouvement, elle a réussi malgré tout à sortir renforcée du cycle de lutte comme une force conquérante pouvant potentiellement parvenir au pouvoir. Le macronisme est affaibli mais la droite libérale se cherche et des voix se font entendre au sein des Républicains comme dans le parti présidentiel pour faire converger les forces et pouvoir résister à la concurrence de l’extrême droite. Quant à la NUPES, si elle a globalement tenu tout au long de cette année, en particulier grâce à l’intergroupe parlementaire, elle affiche néanmoins beaucoup de fragilités.
A l’approche des européennes, la NUPES est en danger. C’est d’abord EELV qui prend la responsabilité de diviser dans la mesure où une grande partie de sa direction veut aller seule à cette échéance, en présupposant une vision de l’Europe trop divergente au sein de la NUPES sans avoir pris le temps d’en débattre au fond sérieusement. Le danger qui en résulte est politiquement évident : les listes divisées de la gauche risquent fort de ne pas être de taille à concourir face à celle du RN et à celle des macronistes. Ce choix, dont les véritables raisons relèvent d’un calcul politicien visant à redistribuer les rapports de force au sein de la gauche, est un choix terrible pour la gauche toute entière et facilite le travail du RN pour apparaitre comme l’opposition la plus puissante au macronisme.
La bataille pour l’unité aux européennes doit se poursuivre avec vigueur jusqu’au bout car la NUPES est l’outil indispensable pour affronter les échéances à venir. Il faut en appeler à la raison de tous : une liste unie aux européennes est possible sur la base d’un programme rassembleur, plaidant pour une Europe qui voit les droits sociaux converger et progresser, pour une Europe démocratique dont le Parlement serait le pivot, pour une Europe qui coordonne ses efforts pour lancer la bifurcation écologique. Il serait totalement irresponsable d’abdiquer de cette possibilité car divisées, les forces de la NUPES faciliteraient le travail du RN. Tant que la division n’est pas définitivement et publiquement devenue irréversible – et ce temps n’est pas encore venu –, il faut plaider positivement pour l’unité et agir pour créer ses conditions à long terme. Sans limiter son horizon aux élections européennes.
Gauche écosocialiste