Dès le commencement de la guerre en Ukraine, un réseau européen de gauche s’est constitué en soutien à la résistance ukrainienne, « armée et non armée ». Il regroupe des mouvements, organisations, structures syndicales mais aussi des individus et personnalités de l’ouest comme de l’est du continent1. Alors qu’une bonne partie de la gauche internationale est souvent hésitante à soutenir inconditionnellement la lutte du peuple ukrainien tel qu’il est (et non tel qu’on aimerait qu’il soit) il est important qu’une voix progressiste s’exprime. L’enjeu est de taille, que le soutien à l’Ukraine n’apparaisse pas aux Ukrainiens comme étant l’apanage des gouvernements libéraux, de droite, atlantistes. Les mouvements politiques et syndicaux de gauche Ukrainiens, mais aussi Polonais, Russes et Biélorusses ont besoin d’une authentique solidarité de gauche qui porte une voix liant défense du droit du peuple ukrainien à disposer de lui-même et défense d’une orientation progressiste.
La gauche ukrainienne combat sur deux fronts, assurant une double besogne de participation à la défense de la nation face à l’invasion, et menant une action résolue contre l’orientation libérale du gouvernement Zelenski. Combat national et combat de classe sont portés par la gauche ukrainienne : disposer d’armes pour résister, lutter pour les revendications sociales, porter le projet d’une société démocratique et d’égalité. Le vote d’une réforme du code du travail a – grâce à une campagne internationale – été repoussé, mais elle peut toujours revenir à l’ordre du jour, sans compter les menaces qui pèsent sur les biens et l’existence même des syndicats indépendants.
Le réseau a déjà à son actif une série d’initiatives : une délégation de 26 personnes de 10 pays, s’est rendue début mai en Ukraine, dont plusieurs élu-e-s ; un appel à une journée d’action européenne pour les deux mois de l’agression russe le 25 avril, et la constitution de comités ou réseaux à l’échelle nationale dans divers pays. En France, le 24 avril une manifestation d’environ 300 personnes – dont une bonne moitié d’Ukrainiens avec une présence de Russes et de Syriens – a pu aller jusqu’aux abords de l’ambassade à Paris. Il y a eu des rassemblements à Nice, Lyon, Nantes. Le 11 juin un « quatre heures pour la résistance ukrainienne » s’est tenu à la bourse du travail à Paris présentant le retour de la délégation, tandis qu’à Lyon c’est en coalition avec des associations ukrainiennes que le même jour 150 personnes ont participé à une réunion à la fois politique et culturelle.
Du côté syndical, l’action est notable : délégation syndicale internationale, convois syndicaux (le dernier vient d’arriver début juillet en Ukraine) réunion du 4 juin dans les locaux de Solidaires à Paris. Des appels communs CGT – CFTC – CFDT – Solidaires – FO – FSU sont des signaux positifs sur ce front. Il faut également souligner la forte implication de mouvements syriens qui ont co-organisé des convois, faisant preuve d’un authentique internationalisme là où d’autres tentent d’opposer les combats des réfugiés non européens à une sorte de « privilège ukrainien ».
Il ne faut pas sous-estimer les obstacles rencontrés dans beaucoup de pays. Si l’action humanitaire (accueil des réfugiés, envois de médicaments, de livres, vêtements) met en action nombre de personnes et d’institutions (les mairies, établissements scolaires, OFII), il n’en va pas de même dès que l’on aborde les questions plus « politiques ». L’Ukraine semble à la fois proche et lointaine, la guerre– une fois passé le premier moment d’émotion et d’effroi – se banalise. Sans compter la difficulté à considérer un phénomène colonial dans l’histoire russe et ukrainienne, la question de l’OTAN, etc. Ces réticences (pour le moins), on les a beaucoup constatées en Europe du sud (Italie, Espagne, Grèce) comme en Amérique latine. L’appel de plusieurs centaines de militant-e-s à l’initiative de camarades latino-américains à rejoindre le réseau de solidarité atteste que les évolutions sont possibles. Des initiatives récentes comme la constitution d’un comité en Italie, ou en Grèce vont dans le même sens.
Dans nos syndicats, nos partis, nos associations, dans le mouvement social, il y a beaucoup à faire pour informer, débattre, agir. Un certain nombre de mobilisations peuvent être relayées de manière concrète.
Outre la campagne pour les droits des travailleuses et travailleurs déjà mentionnée, la commission féministe du réseau a popularisé un appel à la solidarité avec les femmes ukrainiennes confrontées aux viols et aux violences, y compris au sein de la société ukrainienne, en défense di droit à l’avortement – c’est important pour les réfugiées en Pologne – pour l’égalité des droits.
La répression frappe en Russie, en Bielorussie, dans les territoires occupés en Ukraine, des combattants non Ukrainiens sont considérés comme des terroristes, des peines d’emprisonnement lourdes sont encourues, et en Biélorussie la peine de mort contre les syndicalistes et citoyens considérés comme des « saboteurs ». Une campagne est là aussi en cours pour la libération de prisonniers.
L’action se mène également sur le front culturel. A l’initiative des éditions Syllepse des « Brigades éditoriales de solidarité » assurent une publication périodique téléchargeable, Soutien à l’Ukraine résistante, qui en est à son numéro 10. De même Syllepse publie en France des livres des éditions ukrainiennes « Medusa » et, sous le label du réseau, publie et expose les dessins d’une artiste révolutionnaire ukrainienne, Katia Gritseva2.
La guerre va malheureusement durer, la résistance et la solidarité aussi doivent dès lors s’amplifier.
Mathieu Dargel– Jean Malifaud – Robi Morder
1 Le réseau dispose d’un site multilingue, avec les textes, les participants, les informations https://ukraine-solidarity.eu/ . Il se réunit en visioconférence chaque semaine. Le réseau français se structure, on peut lui écrire à : ukrainesolidaritefrance@gmail.com
2 Vidéo de présentation : https://www.youtube.com/watch?v=X653zRAjjXg