L’apparition de Québec solidaire dans l’arène politique parlementaire a permis de clarifier le champ politique en le repositionnant sur l’axe gauche-droite : projet de société versus politiques néolibérales. La position de Québec solidaire sur l’indépendance articulait celle-ci à un projet de société clairement marqué à gauche et dans une perspective radicalement démocratique, en avançant la perspective de la constituante. QS se définit aussi comme un parti des urnes et de la rue, reflétant les revendications des mouvements sociaux. Tout cela demeure des acquis politiques importants qu’il ne faut pas perdre.
Ces éléments de parti définitivement campé à gauche se combinent aussi avec la volonté de prendre le pouvoir et, dans un premier moment, de devenir l’opposition officielle. C’était l’objectif de la dernière campagne électorale. Que tirer comme leçons de cette campagne 2022 ? Il importe de faire un bilan clair si on veut que QS continue de jouer son rôle comme parti de gauche au Québec.
Nous ne doutons pas que les militantes et militants de QS ont agi dans la plus grande volonté de construire le parti. Mais ce n’est pas suffisant. La réflexion et l’analyse de ses pratiques ne peuvent être esquivées. Ce travail ne doit pas être perçu comme un torpillage, mais comme un réel travail de construction.
Pour ce faire, nous porterons attention à la stratégie déployée durant la campagne, à la plateforme électorale, à la vie démocratique, au système des communications, et aux excès de centralisation.
Sur la stratégie de campagne
Se montrer positif, ne pas polémiquer avec les autres partis, ne pas s’occuper du PQ moribond, viser les jeunes et les personnes aînées, parler de classe moyenne et surtout, surtout, devenir crédible : voilà certains des alignements de la stratégie de QS. En réalité, QS vise à être un bon gouvernement provincial et il veut faire la démonstration qu’il dispose des compétences pour ce faire.
Cette approche de bon gouvernement provincial et le fait que, selon QS, le PQ était moribond et l’indépendance n’attire personne, ont entrainé que l’indépendance est passée sous silence durant la campagne électorale. Cette erreur de stratégie de QS a permis au PQ de remplir complètement l’espace avec son discours anti-fédéraliste.
QS a raté l’occasion de présenter l’indépendance comme une nécessité pour un réel projet de société égalitaire et inclusive (ce que ne défend pas le PQ), dans un processus de remise en question de l’État canadien en lien, entre autres, avec les nations autochtones, et dans un processus de démocratie citoyenne par la constituante. Autrement dit, QS n’a pas réussi à intégrer la question nationale dans un discours de gauche remettant en question l’État canadien tout en proposant un projet nouveau de société. QS n’est donc pas apparu comme un parti qui défend l’indépendance du Québec, mais il a laissé croire qu’il s’inscrit dans un cadre provincial, ce qui est contraire à l’éducation politique qu’il veut promouvoir auprès des personnes militantes et de la population.
Dans la crédibilité à établir, il y a des critères utilisés pour le choix des personnes candidates : jeunes, de classe moyenne, instruites. Mais pourquoi ne pas choisir en priorité des personnes issues des rangs du mouvement syndical, des travailleurs et travailleuses, des militantes et militants des groupes communautaires ? Certaines candidatures viennent des mouvements sociaux mais ces critères ne sont pas priorisés comparativement à ceux de crédibilité. Il faudrait établir une discrimination positive tout comme pour la parité des candidatures femmes. Quant à cette dernière, il faudrait aussi que cette parité joue pour les circonscriptions gagnables. Par exemple, dans la région de la Capitale-Nationale où il y avait 3 circonscriptions gagnables sur 11, il y a eu 3 candidatures hommes. Heureusement, il y a eu 7 candidatures femmes sur les 8 circonscriptions restantes pour poser la présence des femmes. Mais au résultat final, la députation n’est plus paritaire, contrairement à 2018.
Cette approche purement électoraliste et clientéliste fait de l’ombre à une approche militante voulant que les campagnes électorales répercutent les enjeux sociaux. QS a parlé de logements sociaux, de la Fonderie Horne, de personnes immigrantes. Mais les revendications mises de l’avant pour répondre aux besoins des populations passaient par le filtre de la stratégie et s’avéraient des plus ténues. Par exemple, concernant la Fonderie Horne, il aurait fallu rassurer les travailleurs et travailleuses sur leur emploi et leur assurer un avenir plus sécuritaire dans des conditions de santé au travail. La revendication de QS d’atteindre la norme de 3 ng/m3 d’arsenic émis durant le premier mandat était réaliste, mais n’a pas permis de créer un lien avec les travailleurs et travailleuses. La revendication de la nationalisation aurait pu être avancée, mais là aussi il aurait fallu bien l’expliquer pour rallier les troupes syndicales.
Plusieurs militantes et militants ont remarqué le discours de Gabriel Nadeau Dubois en je-me-moi, rarement dans le nous. Cette mise en évidence de la personnalité de Gabriel, y compris en bon papa, a contribué à reléguer dans l’ombre la co-porte-parole femme, Manon Massé, alors qu’elle est une personnalité rassembleuse, et à mettre le discours féministe en sourdine.
Autre élément de la stratégie électorale : l’objectif de devenir l’opposition officielle. Cet objectif surévaluait les possibilités de QS en misant sur la mort du PQ et sur la descente aux enfers du PLQ. Le résultat concret de cette erreur fut la démobilisation des militants et militantes au lendemain des résultats. Le 4 octobre au soir, GND a rattrapé cette erreur en plaçant QS comme ayant résisté à la vague caquiste. Mais le grand nombre de député-e-s de la CAQ était davantage le résultat du mode de scrutin que d’une augmentation des voix obtenues par le parti de François Legault. En fait, la CAQ n’a progressé que de 3,5 % dans le nombre de voix obtenues. Les propos de GND n’ont fait que tenter d’endiguer la démobilisation face à l’écart entre les résultats promis et les résultats obtenus.
Quelle est l’orientation de QS, voilà la question sous-jacente à toute la stratégie électorale. À l’heure des mobilisations sur l’environnement, il faut être capable de répondre aux militants et militantes et particulièrement aux jeunes : que veut dire pour nous le slogan « Changer le système, pas le climat » ? Comment nous positionnons-nous face au greenwashing et face aux grandes coalitions environnementales qui prônent des aménagements et des changements technologiques comme solutions ? Dans la situation économique actuelle, quelle place faisons-nous à l’entreprise privée, aux multinationales, aux lobbyistes ? La clarification de ces questions va obliger aussi à parler des affrontements avec les impérialistes. Être anticapitaliste, c’est promouvoir un nouveau projet de société, mais c’est aussi être contre le système actuel.
Ces quelques éléments critiques montrent la faiblesse de la stratégie électorale et la dérive dans le type de parti à construire : d’un parti des urnes et de la rue, nous allons vers la construction d’un mouvement, sans jamais avoir voté sur cette notion. Les mots clés de ce mouvement sont électoralisme, crédibilité, bon gouvernement provincial et centralisation montréalaise.
Sur la plateforme et les priorités du Comité électoral
La plateforme électorale s’est inspirée du programme, mais elle a été pliée aux besoins de la stratégie électorale en voie d’élaboration. Le résultat est une adaptation au consensus social. Cette plateforme 2022 est encore plus diluée que celle de 2018. Diluée dans son aspect progressiste, diluée dans la reprise des revendications des mouvements sociaux. Par exemple, à la suite des pressions des groupes environnementaux, le quota des émissions de gaz à effet de serre de 45 % a été rajusté à 55 % seulement en conseil national, alors que les groupes proposaient une cible de 65 %.
Autre filtre de la plateforme, la faire concorder avec la proposition de budget de QS. Certes, il y avait une politique fiscale qui voulait partager davantage la richesse, mais l’accent n’a pas été mis sur les paradis fiscaux et les entreprises qui ne paient pas d’impôt, qui font des surprofits et qui polluent. Une telle priorité aurait permis de dégager une marge de manœuvre importante.
Le plan sur l’environnement a-t-il eu plus d’effet parce qu’élaboré par une firme privée d’experts ? Encore ici la culture de la crédibilité refait surface. Comme critique de ce plan nous retenons les propos de Presse-toi à gauche dans son éditorial du 4 octobre [1] :
« Les membres en ont pris connaissance en même temps que les autres électeurs et électrices.
– Ce plan reste muet sur la question de l’énergie. La revendication sur la nationalisation des énergies renouvelables n’a pas été l’objet d’une sortie médiatique. Ce plan accorde une place importante au secteur privé et s’ouvre par un appel à la concertation.
– Cet appel à la concertation sociale présente le monde des affaires comme une force vive dans la lutte aux changements climatiques.
– Dans le plan climatique, l’importance d’une vision écoféministe fait défaut. »
La plateforme développe une approche féministe transversale, tellement peu visible que la Commission nationale des femmes a dû produire un document pour l’expliquer. Mentionnons que la dimension féministe est un point faible depuis le début de QS. Les revendications féministes ne font pas partie des revendications prioritaires.
En 2018, c’est à la fin de la campagne que Manon Massé a fait une déclaration sur les violences faites aux femmes et en 2022, elle a fait parvenir aux membres une infolettre sur la demande de gratuité pour les produits d’hygiène féminine et la contraception, alors que le PQ avait fait en début de campagne une conférence de presse sur l’équité salariale saluée d’ailleurs par la CSQ.
Sur l’immigration, les partis se sont relancés sur les cibles de personnes immigrantes pouvant être accueillies, mais rien n’a été avancé sur l’importance de plus en plus grande de l’immigration temporaire, sur les obstacles à la reconnaissance du statut de personnes réfugiées et sur la régularisation du statut des personnes migrantes sans papier et en attente de visa, alors que le gouvernement fédéral s’apprête à intervenir et que les groupes communautaires, dont le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI), menaient une campagne sur ce sujet.
Il y a aussi la question du logement et de l’itinérance qui aurait pu faire l’objet de plus de visibilité à l’heure où les résidences privées pour personnes aînées (RPA) sont de plus en plus nombreuses à fermer et que l’itinérance, tant à Montréal qu’à Québec, pose des enjeux sociaux majeurs alors qu’on voit apparaître de plus en plus de personnes itinérantes en région comme à Roberval, St-Jérôme ou Rimouski.
Sur le partage de la richesse, la taxe sur le patrimoine a été mal comprise parce que mal argumentée. Pourquoi ne pas viser directement le 1 % le plus riche, les abris fiscaux des entreprises qui ne paient pas d’impôts et les surprofits des compagnies ? Le vrai partage de la richesse aurait été compris par la population et on aurait évité les tergiversations sur le million de $. Surtout, les inégalités sociales auraient pris le devant de la scène et les personnes bénéficiaires de l’aide sociale et au salaire minimum auraient pu se reconnaître dans la démarche de QS. Relever le plafond de l’aide sociale est depuis plusieurs années une demande des personnes démunies, et le salaire minimum à 18 $ de l’heure doit être toujours mis de l’avant. Sur l’inflation, la proposition d’indexation des salaires est essentielle à prioriser.
Dernier point que nous voulons souligner : la question de l’internationalisme. La solidarité internationale est présente à QS, mais souvent en marge des autres thématiques. Avec l’élection 2022, cette perspective est disparue du radar médiatique malgré la question de l’avortement aux États-Unis, la montée de l’extrême droite, la guerre en Ukraine et la multiplication des grèves et des manifestations en Europe pour la défense du pouvoir d’achat. Cette politisation internationaliste est importante pour mieux comprendre le caractère international du combat des classes populaires sur la redistribution de la richesse.
Sur la vie démocratique
Poser la nécessité de discuter de la plateforme politique et des priorités à mettre de l’avant interroge le fonctionnement démocratique du parti.
Qui décide à QS ? Les responsables des communications, l’aile parlementaire, le CCN, la commission politique, le personnel ou les membres ?
Il nous faut analyser les postes de pouvoir dans QS, répondre franchement à ces questions et mettre des mécanismes en place pour permettre aux membres de mieux gérer la vie de QS.
Même si les derniers sondages sur la vie démocratique menés par QS auprès des membres ont montré un bon taux de satisfaction, il ne faut pas s’en tenir là. Un grand nombre de membres gagneraient à mieux connaître, comprendre et analyser le fonctionnement de QS.
Sur le système de communication et l’effet sur le terrain
Le plan de communication de 2022 s’est conjugué à une stratégie électorale déficiente où la visée électoraliste et l’image ont pris le pas sur les orientations politiques et le projet de société solidaire du parti.
Points les plus critiqués : les mémos et les affiches. En 2018, il y a eu un concours d’œuvres de jeunes artistes et de messages. En 2022 nous avons eu droit à des affiches très traditionnelles avec des messages ambigus. Les membres ont été inondés d’infolettres, mémos électoraux, lettres aux assos et demandes de financement : informations qu’ils et elles ne lisent pas, car elles sont à majorité d’ordre organisationnel plutôt que politique.
Le plan de communication et l’ensemble du message devront être connus rapidement en début de campagne pour préparer le terrain, bien positionner QS, informer rapidement les militantes et les militants et commencer le travail d’explication à l’adresse de la population.
Sur la centralisation
QS a maintenant beaucoup d’argent et fonctionne comme une machine électorale. C’est plus facile de faire faire le travail par du personnel payé que par les bénévoles du parti. Le résultat est un renforcement de la hiérarchisation dans le parti. Cette centralisation brise l’autonomie locale et régionale. Avant, le plan de communication donnait pour toute la campagne les grandes lignes des propositions avancées : cela permettait aux associations locales et régionales d’organiser des actions ou apparitions publiques en s’insérant dans ce calendrier. Maintenant il faut attendre le national et ses recommandations. Au lieu de l’initiative, c’est l’attentisme qui est de mise.
Ce processus de hiérarchisation fait aussi des personnes militantes de simples exécutant-e-s, des bras : pour passer des tracts, poser des affiches, faire signer des pétitions, etc. Il nous faut repenser ce rapport à la militance. Ce type d’implication des nouvelles personnes conduit à leur départ immédiat au lendemain de l’élection. Il nous faut plutôt politiser ces militantes et militants, les inscrire dans une perspective plus large que les seules tâches électorales. Il faut développer, à travers la notion d’équipe électorale, la formation, la politisation, le débat et la discussion. C’est la seule recette gagnante pour éviter le dégonflement des troupes après les élections.
Révolution écosocialiste du Québec. Publié sur le site Presse-toi à gauche !