Depuis le 29 octobre, un mur de plus de 2.5m, protégé par six cars de CRS, encercle la plus grande place de Marseille. Je reviens en détail sur ce dossier qui a conduit à cette situation kafkaïenne.
Organisée autour de la place Jean Jaurès, la Plaine est un quartier symbolique de Marseille. Depuis des décennies, tous les mardis, jeudis et samedis, la place était le lieu d’un des plus grands marchés de la ville. Les soirs, le quartier, compris entre la place Jean Jaurès et le cours Julien, est très animé : bars, restaurants, salles de concert et boîtes de nuit. La journée, les enfants jouent sur la place, des terrains de foot sont improvisés, la nuit, sur la même place, les jeunes y boivent des bières. Ce quartier est resté festif et populaire au fil des ans.
Cette place méritait certes d’être rénovée, mais sans perdre son unité, ses usages populaires comme la pétanque ou le marché, et aussi ses arbres. Trop de circulation automobile et de stationnement sauvage, le manque d’entretien et de nettoyage, génèrent la colère des habitant-es. Depuis plusieurs années, la Mairie laisse la situation se dégrader : des éclairages absents ou non remplacés, un sol dégradé, des rats qui pullulent, des plots permettant de réguler le stationnement de jour hors d’usage, pas de fontaine, pas de toilettes fonctionnelles, très peu de bancs et pas de tables.
La Plaine, un quartier populaire menacé par une rénovation pensée sans les citoyens
Tout a donc été fait pour faire accepter aux habitant-es un projet de rénovation, qui vise à changer l’esprit du quartier. Bien loin de travailler à un projet d’embellissement avec tous les habitant-es, la Mairie a mandaté la SOLEAM pour des travaux dits de « rénovation », où les bulldozers sont surtout en train de détruire la vie sociale et le seul poumon vert de ce quartier.
3 ans de travaux avec l’abattage de 115 arbres
Le projet de rénovation devait se traduire par l’abattage de 115 arbres, dont 70 de plus de 20 cm de diamètres sur environ 180 arbres présents actuellement sur la place. Une quarantaine ont déjà été abattus dans des conditions de sécurité inacceptable. Certes, le projet de SOLEAM prévoit de replanter des arbres et à terme, le nombre d’arbres devrait être similaire. Mais beaucoup des arbres replantés seront des arbustes présentant une couverture moindre. D’autre part, aucune indication n’est donnée quant à l’âge des arbres plantés. Il est très probable, sauf à dépenser des fortunes, qu’ils soient relativement petits. Par conséquent, l’ombrage sur la place sera pendant un grand nombre d’années diminué de près de 40 %. Or, toutes les études montrent que la végétalisation des villes est cruciale pour éviter les îlots de chaleurs. Dans un contexte de changement climatique, où les canicules vont se multiplier, il aurait été nécessaire de préserver les arbres adultes de la plaine en ne limitant l’abattage qu’aux arbres morts ou très malades. Enfin, dans le projet de rénovation, il y a l’abattage d’un grand nombre d’essences d’intérêts : notamment les quatre Tetradium Danielli (arbres à miel) originaires de Chine situés aux quatre angles du square, le Cédréla Sinensis (acajou de Chine) localisé derrière les tables de la plaine, ou les Koelreuteria paniculata (Savonier). Les arbres sont trop rares à Marseille pour qu’on les coupe sans vraie raison !
La vie du quartier et d’un marché populaire en danger !
La longueur des travaux et la disparition du parking en surface, sans mise en place d’alternative pour se garer, vont impacter tous les commerces de ce quartier très vivant. Après la rénovation, le nombre de forains du marché sera diminué. La réinstallation de ces derniers à l’issue des travaux se fera à minima et à la tête du client. Pendant la durée des travaux, aucun d’entre eux ne pourra travailler à proximité de la place. La ville a ainsi mis en difficulté 300 familles ! A terme, il est probable que l’identité populaire du marché disparaisse. La vie du quartier risque de s’en trouver radicalement modifiée pour laisser une place déshumanisée.
Forains, commerçants et marseillais se sont mobilisés, la mairie répond par la répression !
La SOLEAM, organisme de la métropole mettant en œuvre le projet, a organisé des concertations sans réelle discussion possible concernant le fond du projet. Déjà, durant ces concertations, nombre de Marseillais-es ont fait état de leurs craintes. Ensuite, quand le projet a été connu, la mobilisation s’est amplifiée, notamment autour de l’assemblée de la Plaine. Une pétition a été lancée. Des tables et des bancs ont été construits par des habitant-es. Des assemblées se sont tenues tous les lundis. De nombreuses actions ont été menées pour sensibiliser les habitant-es du quartier et un journal a même été publié. Les forains se sont largement mobilisés en septembre bloquant plusieurs fois les rues de Marseille. Ils ont juste obtenu des emplacements dans d’autres marchés. Des commerçant-es ont initié une pétition et l’association « Un centre ville pour tous » a initié un appel de 600 personnalités marseillaises.
Le samedi 13 octobre, alors qu’une manifestation festive et pacifique était organisée pour s’opposer au projet de rénovation, les forces de l’ordre déployées en surnombre, ont fait un usage injustifié et disproportionné de la force. Après diverses provocations verbales pendant le cortège et un « assaut » dans la rue Thiers, c’est ensuite sur la place Jean Jaurès que des grenades lacrymogènes et de désencerclement ont été tirées sur les manifestant-es, les passant-es et les riverain-es, le tout sans évacuer le parc pour enfants. Une grande partie de ces tirs ont été effectués en hauteur, menaçant de blesser gravement les manifestant-es et les passant-es. Étant donné l’importance du déploiement policier sur la place, quadrillée depuis plusieurs jours, l’évacuation de la Plaine était facilement envisageable sans recours de cet arsenal coûteux pour la mairie et les citoyen-nes.
Le samedi 20 octobre, les Marseillais-es, profondément choqué-es par l’abattage massif des arbres et la répression policière violente, sont descendu-es nombreux pour défendre la Plaine. Nous étions entre 2500 et 3000 à manifester du Vieux port à la Plaine en passant par le boulevard de la République, véritable emblème de l’échec des politiques de requalification de la ville. L’ampleur de la mobilisation est inédite pour ce type de lutte. Ensuite, la place a été le lieu d’une ZAD temporaire avec des soirées et des débats.
Après cette mobilisation massive et pacifique des Marseillais-es, la SOLEAM et la ville ont répondu par la répression et une démesure kafkaïenne. En effet, s’entêtant, la SOLEAM a annoncé lors de sa conférence de presse du 29 octobre l’édification d’un véritable mur de Berlin de plus de 2 m de haut entourant toute la place pendant la durée des travaux. Ce délire coutera 390 000 euros aux Marseillais-es, sans compter le coût de la mobilisation des forces de police !
Une autre rénovation était possible !
Ce projet onéreux de 14 millions d’euros ne s’est pas accompagné d’une réflexion sur le plan de circulation automobile dans l’espace environnant, sur un meilleur usage du parking, sur le développement des pratiques nouvelles de mobilité : transports collectifs conséquents et accessibles, parkings relais autopartage, covoiturage, pistes cyclables… Pour la municipalité, ce projet est une aubaine pour changer la population qui vit et fait vivre le quartier. Les spéculateurs se frottent déjà les mains des profits immobiliers qu’ils pourront réaliser sur le dos des habitant-es. Les grandes enseignes rêvent probablement déjà de remplacer les commerçant-es actuel-les qui souffriront des travaux !
Un autre type de rénovation était possible, respectueuse des dynamiques existantes, ainsi que des activités sociales et économiques, qui font la vitalité et l’identité de ce quartier. Nous avons besoin d’une rénovation faite à partir des besoins et usages des habitant-es avec la co-construction d’un projet collectif, citoyen et écologique permettant la réelle participation de l’ensemble de la population.
C’est pourquoi la France Insoumise a d’ailleurs proposé :
- La suspension immédiate des travaux, l’arrêt de l’abattage des arbres et le retrait des blocs de béton
- L’ouverture de discussions avec les habitant-es et les forains pour la révision du programme de rénovation.
- Un nouveau projet préservant l’emploi des forains pendant toute la durée des travaux à proximité du site et faisant en sorte que tous les forains retrouvent leur emploi après la rénovation
- L’indemnisation des commerçant-es du quartier
- Le maintien du terrain de pétanque
- La construction de toilettes publique gratuites bénéficiant d’un entretien régulier
- L’agrandissement des jeux pour enfants
- La rénovation de l’éclairage et l’enlèvement des barrières
- L’organisation d’un grand débat sur la place de la voiture et l’accessibilité du quartier en transport en commun notamment la nuit.
- La reprise par la ville de la gestion du parking sous terrain Indigo qui se dégrade rapidement et qui est à moitié vide, pour en rendre l’accès moins onéreux.
- Le développement de pistes cyclables dans tout le quartier.
Pour conjuguer nécessaire rénovation et maintien des classes populaires dans le centre-ville, c’est tout un programme alternatif qu’il faut mettre en œuvre : indemnisation des commerçant-es des quartiers rénovés, gratuité des transports en commun, hausse de leur fréquence, organisation d’un service de nuit, encadrement des loyers après les travaux de rénovation, développement des HLM dans les quartiers en cours de rénovation, développement de parking publics peu onéreux et de parking relais dans les gares et plus largement rénovation des écoles ou élargissement de l’accueil public pour la petite enfance
Des rénovations pour les habitant-es, pas pour les investisseurs, les spéculateurs et les touristes !
Hendrik Davi, candidat pour la FI à Marseille dans le 4/5 aux législatives 2017.