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Réflexions sur la crise espagnole….

L’état espagnol connait, avec la Catalogne, la crise politique la plus sérieuse depuis le Transition. Les peines lourdes subies par les dirigeants de l’ANC, d’Omnium et les membres du gouvernement catalan ont approfondi encore cette crise du régime issu de la transition de 1978.

 Il est évident que la gauche française est en dessous de tout, incapable même d’écrire une pétition nationale de soutien aux prisonniers politiques. Il est vrai que nous retrouvons ce recul de l’internationalisme sur la Grèce, la Syrie, les Kurdes…. mais nous pouvons toujours espérer un réveil.

Je me risque à vous proposer quelques analyses et hypothèses personnelles sur la situation aujourd’hui. Je traite en premier ce qui peut se passer suite aux élections générales du 10 novembre, ensuite la situation en Catalogne.

Première chose, il est impossible de dissocier la crise catalane et les élections générales du 10 novembre. Le PSOE de Pedro Sanchez ne voulait pas d’accord avec Unidas Podemos même quand Iglesias accepte de se laisser « humilier » ( pour reprendre son mot) en acceptant le veto de Sanchez contre sa personne. Podemos a fondé son orientation sur l’entrée dans un gouvernement de coalition ( version espagnole de l’union de la gauche) et pour cela est prêt à de grandes concessions y compris sur la Catalogne. Le PSOE ne voulait se lier les mains en aucune façon avec une coalition de gauche, aussi il a provoqué de nouvelles élections le 10 novembre tout en sachant que les sanctions dures seraient prononcées contre les dirigeants catalans et que la campagne électorale serait largement déterminée par la Catalogne.

Les nombreux sondages donnent une photographie où le PSOE n’a toujours pas de majorité et même baisse un peu suite à la présentation des candidat-es d’Errejon. Si nous voulons rester dans l’hypothèse d’un gouvernement voté par la gauche, le PSOE a toujours besoin des voix des député-es de Unidas Podemos, de Mas Pais ( Errejon), du PNV et de ERC. Vu la réalité du moment, cette hypothèse est des plus illusoires. Je crois que nous devons prendre au sérieux l’hypothèse avancé par Iglesias d’un accord du PSOE avec le PP et Ciudadanos. Il ne s’agit pas de penser obligatoirement à un gouvernement commun mais d’un accord pour défendre la constitution de 78 et « l’unité de l’Espagne ». Souvenons nous qu’une abstention, du PP et de Ciudadanos, au Parlement espagnol permet la constitution d’un gouvernement PSOE

En Catalogne, les divergences stratégiques du mouvement indépendantiste pèsent lourdement sur la situation. Chacun-e peut comprendre que la défense des prisonniers est nécessaire mais elle ne répond pas à la question de comment arriver à un referendum d’autodétermination.

Au moins trois lignes sont présentes dans le mouvement indépendantiste.

Torra, président de la Generalitat et du courant Puigdemont, tente de maintenir un discours unilatéraliste tout en justifiant l’action des Mossos (police catalane) contre les manifestants.

ERC a abandonné le discours unitéraliste et cherche à retrouver le 80% de catalan-es favorable à un referendum, en ce sens ils sont  pour de nouvelles élections en Catalogne et pour ouvrir le gouvernement à la CUP et à Catalunya en Comu. ERC insiste sur ouvrir le dialogue

La frange radicale, qu’il est difficile de réduire à la CUP ou au CDR, veut en découdre après des années où rien n’a avancé pour arriver à la république catalane indépendante. Attention, il s’agit de milliers de jeunes et pas simplement de quelques excités ou autonomes. L’absence de réponse unifiée des grands partis catalans et du gouvernement de la Generalitat, la dureté des déclarations de Pedro Sanchez laissent un espace réel à cette radicalité.

Cette violence est une nouveauté, jusqu’à présent les grandes organisations et partis avaient un contrôle total sur le mouvement. Six nuits d’affrontements violents dans les rues de Barcelone mais aussi dans les autres capitales catalanes changent la donne et l’image du mouvement.

L’ANC et Omnium, dont les dirigeants viennent de prendre 9 ans de prison, continuent à être des forces majeures comme vous venons encore de le voir avec les Marches pour la Liberté.

L’ANC a une orientation dont l’objectif est l’indépendance ( mot d’ordre de la Diada) et de construire la république. Omnium me semble sur une ligne plus proche de celle d’ERC.

Nous devons aussi intégrer que plus de 750 villes/villages catalans sur les un peu plus de 900 sont membres de l’Association des Municipalités Indépendantistes.

Dans cette situation très compliquée, le mouvement et la rue ont des ressources réelles.

La grève générale du 18 octobre a été tout sauf ridicule, les chiffres de la presse donnaient de 30 à 40 %, les dockers ont bloqués les ports, 60 à 80 % des commerces étaient fermés (l’ANC a pris la Chambre de Commerce lors des dernières élections), la SEAT était arrêté, les autoroutes et grandes avenues étaient bloquées. Important aussi, une puissante mobilisation de la jeunesse avec une manifestation de 25000 étudiant-es et plusieurs de plus de 10000.

Plus de 500 000 personnes, un vendredi, dans les rues de Barcelone pour une population de 7,5M d’habitant-es, c’est énorme.

La crise est inscrite dans la durée. Le fait que le match de foot Barça – Real Madrid du samedi 26 octobre ait été reporté à décembre en est un exemple.

Pedro Sanchez démontre une fois de plus que le PSOE est un parti du système, fidèle à la constitution de la Transition et à la monarchie. Ses déclarations sur le refus de toute grâce et l’application intégrale des peines tournent le dos sur toute perspective à gauche et le rapproche des partis de droite. Et maintenant les enquêtes pour terrorisme concernant Tsunami Democratic ne vont pas calmer le jeu. Vont ils inculper Guardiola pour activité terroriste ?

Il est triste de constater que Podemos ou Izquierda Unida se contentent de condamner les peines de prison et appellent au dialogue mais n’organisent pas de mobilisation sur l’ensemble de l’état. Il en est de même pour les syndicats Commissions Ouvrières et UGT.

Pour sortir de la situation, la seule proposition qui peut satisfaire, est le referendum négocié comme en Ecosse. Toute autre proposition, comme par exemple le pacte fiscal ( comme au Pays Basque, la Catalogne prélève l’impôt et reverse ensuite à l’état espagnol) arrive trop tard, l’état d’esprit n’est plus à davantage d’autonomie. Aucun des partis catalans, aucune des grandes organisations associatives ne vont bouger sur l’objectif de l’indépendance et du droit à autodétermination. Il faut donc voter pour savoir quelle relation veulent les Catalan-es à l’état espagnol.

Nous en sommes là aujourd’hui. Mais, vu la crise et les affrontements violents, les choses peuvent changer rapidement.

Imaginons un instant, ce que je ne souhaite pas, la mort d’un manifestant, des affrontements encore plus violents…. que va -t- il se passer ?

Les sondages aujourd’hui donnent un PSOE en tête mais avec une remontée du PP, il reste encore du temps avant le vote du 10 novembre. Le PSOE a voulu occuper tout l’espace du centre et de la défense de l’unité de l’Espagne mais est -il sûr d’être le meilleur sur ce terrain ? En Catalogne, ne va-t-il baisser suite à ce qui est en train de se passer ?

Imagine-t-on le cauchemar d’un gouvernement PP, Ciudadanos avec des ministres de Vox (dans les derniers sondages Ciudadanos s’effondre au profit du PP et Vox peut passer devant) ?

L’incompréhension face à la question de l’indépendance de la Catalogne rend difficile une mobilisation solidaire. Pourtant, il ne s’agit pas pour nous d’organiser la solidarité autour de indépendance ou pas, c’est aux catalans de décider. Mais oui, de défendre avec fermeté, les droits politiques et démocratiques, la liberté des prisonniers et le droit à l’autodétermination, la dénonciation du gouvernement Macron.

Il est évident qu’il y aura un avant et un après dans l’état espagnol, selon comment va se dénouer la crise catalane.

Francis Viguié