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Référendums en Irlande : un sacré raté

Le résultat inattendu des référendums du 8 mars en Irlande est une déception et renvoie l’image d’une Irlande retournée à son atavisme traditionnel. Les amendements proposés, qui allégeaient la conception réactionnaire de la famille et de la place des femmes en son sein telle qu’elle est gravée dans la constitution, ont été rejetés à 67 et 73% des voix, avec une participation de 44%. Jamais un vote référendaire n’avait été aussi largement perdu, alors même qu’aucun parti d’importance n’appelait à voter non.

Particulièrement rétrograde, adoptée en 1937, la constitution irlandaise fut l’œuvre du président De Valera et répondait à deux objectifs. Il s’agissait avant tout d’en finir avec les liens organiques qui demeuraient avec la couronne britannique suite au compromis passé avec la Grande Bretagne lors de l’indépendance en 1922. L’autre dimension fut le renforcement de l’influence de l’Eglise catholique (garantie de la liberté religieuse mais place centrale de « l’Eglise romaine et apostolique gardienne de la foi professée par la grande majorité des citoyens ») et d’une idéologie familialiste particulièrement réactionnaire.

Le texte a déjà été amendé par référendum pour autoriser le divorce (en 1995, dernier pays d’Europe), le mariage pour toutes et tous (2015, premier pays au monde à l’autoriser par référendum) et l’avortement (en 2018). Les résultats des derniers référendums ont démontré la profonde transformation de la société irlandaise et une sécularisation tardive mais rapide. Ils ont aussi induit l’idée que les deux consultations de 2024 seraient remportées sans difficulté. Que s’est-il donc passé ?

Il convient de rappeler qu’en Irlande, des « assemblées citoyennes » composées aux deux tiers de citoyen.nes tiré.es au sort selon un principe de représentativité, ont préparé les différentes modifications constitutionnelles depuis 2014. C’est une innovation inspirée des expériences de démocratie délibérative qui ont été tentées auparavant en Islande ou au Canada. Elle fut lancée au départ par des activistes avant d’être institutionnalisée par l’Etat. Les deux articles qu’il était question d’amender, définissant le rôle des femmes et celui de la famille, soulevaient, outre la dimension strictement féministe, des enjeux liés aux transformations de la famille elle-même mais aussi à la politique sociale mise en œuvre par l’Etat en sa direction. A cet égard, l’assemblée citoyenne avait fait des préconisations que le gouvernement (formé par l’alliance des deux principaux partis historiques, l’un de droite l’autre du centre droit qui ont exercé le pouvoir en alternance depuis l’indépendance) a choisi d’ignorer.

De même, les formulations choisies sont restées trop floues, rendant les changements insuffisamment tranchants et relativisant leur nécessité.

  • Il s’agissait d’abord d’élargir la notion de la famille, qui ne serait plus forcément basée sur le mariage mais éventuellement sur « d’autres relations durables », tout en maintenant juste en dessous la défense de l’institution du mariage.

  • Il s’agissait ensuite de retirer les passages concernant le rôle des femmes au domicile familial (l’article de la constitution non amendé précise entre autres que l’Etat doit faire en sorte que « la femme » ne soit pas contrainte de travailler à l’extérieur du domicile pour des raisons économiques), et d’insérer un nouvel article reconnaissant les soins en direction de la famille (« family care »,) qui seraient désormais considérés comme assurés par « les membres de la famille » et pas seulement les femmes. En dessous du minimum syndical, pourrait-on dire.

Si les courants les plus réactionnaires se sont évidemment mobilisés en faveur d‘une vision ultra rétrograde de la famille et de la place des femmes en son sein, le débat a finalement en grande partie porté sur l’incapacité de l’Etat à fournir une protection sociale et son choix de la déléguer aux familles, qu’il s’agisse des enfants, des personnes âgées ou des personnes porteuses de handicap. Ces dernières ont été au cœur de la campagne, leurs associations de défense militant pour le non, dénonçant ce qui apparaissait comme une volonté de dégager l’Etat de toute politique en termes de prise en charge et d’accès aux droits, en comptant strictement sur les familles pour ce faire. Le premier ministre, Leo Varadkar, l’a d’ailleurs assumé dans une interview avant de tenter en vain de se rattraper aux branches. Dans un pays où l’Etat social est à peu près inexistant et où les politiques mises en œuvre continuent à entraver le travail salarié des femmes, le tout sur fond de crise aigue du logement, la question est évidemment sensible et explique le décalage entre les deux résultats.

Les partis du gouvernement ont au final fort peu fait campagne mais ont associé leur très grande impopularité au camp du oui. De l’autre côté de l’échiquier politique, une certaine confusion régnait. Les sphères militantes, le mouvement social, étaient divisés sur la marche à suivre. S’agissant des toutes petites forces de la gauche radicale, People before profit a appelé à voter oui du bout des lèvres et le Socialist Party a finalement appelé à voter non en évoquant la question du désinvestissement assumé de l’Etat. Le Sinn Fein, principal parti de gauche, a appelé à voter oui sur l’idée qu’il valait mieux ces amendements que la version initiale des articles, mais sans grande conviction. Il avait promis, si le non était majoritaire, d’appeler à de nouveaux référendums s’il arrivait au gouvernement. Devant l’ampleur du camouflet, il a dit l’exact inverse au lendemain des scrutins.

Il faudra bien pourtant finir le travail de sape entamé dans les années 1980 contre le texte constitutionnel, en menant une campagne claire au nom de l’égalité des droits. Si les vents mauvais soufflent aussi au-delà de la mer d’Irlande, il serait trop simple de renoncer en concluant que la population irlandaise est durablement retournée dans le giron catholique.

Ingrid Hayes