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Qui veut la peau de l’UE ?

La construction européenne apparaissait un processus irréversible. Tout concourt aujourd’hui à penser le contraire. Par une combinaison de facteurs dont le produit est finalement extrêmement inquiétant. La catastrophe annoncée et les moyens de la conjurer ?

L’Union européenne est sans conteste le pôle faible de la mondialisation. Dans l’ancien contexte géopolitique marqué par une suprématie américaine acceptée sur le plan militaire, et par le consensus de Washington sur le plan économique, cette faiblesse était finalement peu handicapante. L’UE s’est élargie (de 12 États membres à 28) et a approfondi sa construction (l’euro) tandis que l’OTAN (donc les USA) assurait la sécurité du continent. Ce cadre a volé en éclats. Dans le nouveau monde des USA de Trump, de la Chine de Xi Jinping, et dans une moindre mesure de la Russie de Poutine, l’UE apparait bien comme le maillon faible du capitalisme mondialisé à commencer par la guerre commerciale en cours.

Pour plusieurs raisons :

  • Le processus de Maastricht n’a pas jeté les bases ne serait-ce que d’un proto-État européen : pas d’armée, de police, de justice, de diplomatie commune. Le retrait des entreprises européennes d’Iran par peur de rétorsion des USA est un des exemples en cours.
  • Au-delà des outrances de Trump, c’est bien le gouvernement américain qui impose son agenda et ses priorités ( prix du pétrole, cours du dollar, augmentation des budgets militaires en Europe, achat de matériel américain, guerre spatiale, soutien sans retenue au gouvernement israélien…)
  • La Russie sans réunir les éléments d’une puissance globale est devenu un gendarme incontournable dans l’est européen et en Méditerranée orientale (Syrie)
  • La Chine investit l’Europe en devenant par exemple un acteur décisif du financement des infrastructures de transport dans les pays d’Europe de l’est (routes de la soie) qui dès lors sont de moins en moins dépendantes des mécanismes redistributeurs de l’UE.

A ces facteurs exogènes s’ajoutent des faiblesses internes de l’UE, présentes dès le début du processus, mais qui aujourd’hui deviennent des éléments de crise.

  • Des inégalités criantes entre les territoires de l’UE. Entre l’est et l’ouest de l’Europe (au sein même de l’Allemagne…) près de trente ans après la chute du mur de Berlin !
  • Des territoires également marginalisés au sein des pays capitalistes avancés (sud de l’Italie…)
  • Le développement général dans tous les pays de l’UE de la précarité et de la pauvreté
  • Aucun processus réel d’intégration sociale et de formation d’un marché du travail unifié
  • Une complaisance fusionnelle avec les lobbies et les FTN (glyphosate)

Le choix de construction libéral est évidemment au cœur du problème. Depuis les années 80, les gouvernements européens ont fait le choix de construire l’Europe comme un espace de compétition entre les travailleurs et les territoires. Mettant donc en place un processus du moins disant social et fiscal. Si tu veux te développer, baisse tes salaires et tes impôts. Ce choix libéral est en fait unique au monde : un seul marché, une monnaie…mais très peu d’instruments de redistribution conduit l’UE à la catastrophe…annoncée par celles et ceux qui critiquent et combattant cette orientation. L’UE crève parce qu’elle n’est pas un ensemble solidaire, non pas tel que nous le souhaiterions, mais comme le sont au sein de leurs territoires la Chine ou les USA.

Ce choix de construction (pas d’impôt européen, pas de smic européen, pas de budget européen, de financement mutualisé du chômage et de la pauvreté…) provoque des phénomènes régressifs bien connus mais qui s’accentuent :

  • Un rejet global des classes populaires vis-à-vis de l’idée même de l’Europe (enquêtes d’opinion)
  • Le développement dans la quasi-totalité des pays européens de mouvements xénophobes d’extrême droite y compris au sein de pays « riches » ce qui implique bien que l’explication par le chômage ne suffit pas à prendre la mesure du problème
  • L’importance démesurée que prend la question migratoire et les régressions démocratiques qui l’accompagnent.
  • La présence de l’extrême droite au gouvernement dans un nombre de pays conséquents mais dont évidemment l’Italie est l’exemple le plus frappant. Frappant sur l’hégémonie culturelle qu’a conquise l’extrême droite : alors que le mouvement 5 étoiles a gagné les élections, c’est la Ligue du nord qui fait le tempo…
  • Le déclin (voire l’extinction ?) de mouvements sociaux porteurs de convergence sociale, écologique, démocratique européenne. La déclaration de Lisbonne de forces politiques hostiles au libéralisme et défendant une autre Europe est extrêmement positive mais sur quelles mobilisations européennes s’appuie-t-elle ?

Deux exemples différents méritent notre attention.

Au Portugal, le PS, qui ne peut gouverner sans l’appui du PCP et du Bloco, s’est affranchi des règles absurdes austéritaires imposées par les gouvernements européens. Dans un cadre financier différent de la Grèce, une marge d’autonomie a été reconquise. Mais ce ne sont pas principalement les limites de cette expérience qu’il faut noter, mais surtout l’absence de diffusion, de débats, que provoque cette politique (disons différente) dans les autres pays européens (dans la social-démocratie par exemple ! )…

A première vue le Brexit est, avec la crise migratoire, la manifestation la plus tangible de la crise peut être mortelle que traverse l’Union européenne. L’impression domine d’un processus perdant-perdant. Perdant pour les britanniques, perdant pour l’UE. Et d’un rapport de force défavorable pour les premiers cités. Dans les tous les cas l’évènement est tout sauf anodin : il s’agit du départ de la première puissance financière et militaire de l’UE et de la seconde économie de la zone. Donc un affaiblissement incontestable pour l’Union européenne et un danger d’effondrement et d’appauvrissement annoncés au Royaume-Uni, voire la possibilité d’une division de celui-ci (Ecosse, Irlande du nord). Mais notons que le scénario catastrophe annoncé pour les britanniques s’appuie sur l’idée d’une Europe, certes affaiblie, mais qui pourrait repartir de l’avant, une fois débarrassée de la perfide albion, qui n’a eu de cesse de bloquer l’UE depuis qu’elle est entrée dans la communauté européenne.

Mais un autre scénario est possible : le Brexit est le début du détricotage général d’un processus de construction que l’on croyait irréversible et qui en fait ne l’est pas. Et donc les britanniques (comme souvent) auraient tiré les premiers.

Plus inquiétant en fait, est l’absence de réactions des classes dirigeantes. Le gouvernement allemand est davantage préoccupé par des questions intérieures (la montée de l’AfD) et mondiales (les droits de douane de Trump) que des questions européennes. Le plan Macron n’en est pas un, est quasiment mort-né, et ne s’affranchit évidemment pas de la doxa libérale. Quant à la troisième puissance européenne, l’Italie, elle peut provoquer dès cet automne une nouvelle crise majeure en Europe.

En s’éloignant des critères démocratiques (dits de Copenhague) et en se murant dans un refus de toute perspective d’accueil de migrants, alors même que ces pays sont entrés dans l’hiver démographique (plus de décès que de naissances), la plupart des politiques menées par les gouvernements des PECO illustrent la déchirure profonde d’une illusion post guerre froide : le mariage entre le capitalisme et la démocratie comme injonction de la fin de l’histoire. Le capitalisme ultra-libéral engendre la régression démocratique et s’accompagne désormais préférentiellement de régimes autoritaires, dictatoriaux voire à parti unique. C’est en fait le mouvement ouvrier qui a permis dans une période historique déterminée en Europe mais aussi ailleurs de domestiquer partiellement les forces sauvages du capitalisme et d’imposer des droits sociaux et un cadre démocratique. Une fois affaibli voire détruit, la guerre des riches contre les pauvres (et réciproquement) se déplace sur le train des identités, des migrants, entre libéraux partisans d’une mondialisation heureuse et forces xénophobes, racistes et nationalistes. C’est ce danger qu’il nous faut conjurer.

Avec quelques pistes mais aussi des interrogations c’est-à-dire en laissant ouverts différents possibles :

  • L’UE est une machine irréformable et en crise : il faut lui désobéir, la bloquer et se préparer à une possible dislocation. Ce ne sont pas l’arrivée au pouvoir de gouvernements hostiles à « Bruxelles » qui provoquent crises et éventuellement ruptures, c’est l’orientation de l’UE qui nous amène droit dans le mur. Donc pas d’autocensure sur une critique globale des institutions européennes.
  • Aucun problème majeur que connaissent les sociétés européennes ne peut trouver durablement de solutions dans un cadre national ou en restaurant les frontières. La crise environnementale (la plus en grave en réalité) en est l’exemple le plus frappant mais également pense-t-on pays par pays contrôler les marchés financiers et les firmes mondiales ? D’accueillir les migrants et de lutter contre les nouveaux marchands d’esclaves sans les pays méditerranéens ?
  • Il s’agit donc (et c’est extrêmement difficile) de défendre une perspective de reconquête de souveraineté démocratique à toutes les échelles (donc nationale en partie) avec la nécessité de mettre en place une construction européenne et méditerranéenne. Celle-ci sera-t-elle fédérale, confédérale, sur quel espace géographique ? Ce sont des questions sans réponse aujourd’hui car elles dépendent des rapports de forces pays par pays et les capacités de ceux -ci à influer sur tout ou partie du continent. C’est le partage d’un projet solidaire, social, écologique et démocratique qui établira de nouvelles frontières et non pas un cadre historiquement, géographiquement ou culturellement pré-établi.

Dans cette situation difficile, la déclaration de Lisbonne est un point d’appui déterminant dans la campagne européenne qui s’annonce, qui devrait dans le contexte actuel, prendre une dimension beaucoup plus décisive que lors des échéances précédentes. Raison de plus pour s’engager et faire campagne pour la liste de la France insoumise dès maintenant.

Pierre-François Grond