L’affaire Thomas Guénolé donne à nouveau l’occasion à nos adversaires politiques de taper sur la France Insoumise, accusée de mener un procès stalinien. Que n’auraient-ils pas dits si les instances de FI avaient, au contraire, ignoré les accusations dont il fait l’objet ? D’après les informations dont je dispose (en gros, celles qui sont publiques), il me semble que ces instances ont fait ce qu’elles avaient à faire et la réaction indignée de Thomas Guénolé ressemble à celle d’un courtisan éconduit, soudain prompt à fustiger un système qui jusque là lui profitait.
En rejetant le fonctionnement classique des partis, la France Insoumise et beaucoup de ses militants ont cru pouvoir se débarrasser des traditionnelles guerres intestines et ambitions individuelles. Ce passage de la forme parti à la forme mouvement était la promesse d’un renouveau dans la manière de faire de la politique, en tournant la page de tout ce qui nous avait dégoûtés dans les anciens partis.
Avec les affaires Guénolé, Cocq, etc., on voit que ça n’a pas fonctionné. Dans un grand mouvement candidat au pouvoir, il y a beaucoup d’enjeux et, qu’on le veuille ou non, les enjeux appellent les conflits. Le dégoût des militants pour ces pratiques est plus fort que jamais, et Manon Aubry elle-même a exprimé le sien lors d’une interview. « Rien ne me sera épargné » s’est plaint JLM dans un tweet, montrant qu’il est le premier à souffrir de l’hyper-centralisation de FI autour de sa personne.
Quelque soit la manière dont on structure une organisation, on ne peut pas effacer les conflits d’un claquement de doigts, seulement les organiser pour qu’ils nuisent le moins possible à la cause commune. Il y a deux types de conflits : les débats d’idées et les querelles d’ambitions personnelles. Les premiers sont sains et doivent pouvoir être menés sereinement. Les seconds le sont beaucoup moins et, s’il est impossible de les faire disparaître, doivent être réduits au minimum.
Des débats d’idées internes, il y en a dans la FI. Certes, le programme « l’Avenir en commun » fédère tout le monde. Mais on voit par exemple une tension entre une conception « populiste de gauche » et une conception « lutte des classes », entre protectionnisme et internationalisme, entre ceux pour qui la gauche commence avec Robespierre et ceux pour qui elle commence avec Marx. Ces notions ne sont pas du tout antagonistes et le dialogue entre elles peut être fécond. Encore faut-il organiser clairement ce dialogue. Encore faut-il que les tenants de chacune de ces conceptions puissent, pour s’ouvrir aux autres, se sentir chez eux, à l’aise, dans une maison commune.
Cela suppose des instances à la légitimité indiscutable, à commencer par celles qui sont justement chargées de trancher les conflits ou de prendre les décisions importantes. Il faut que les tenants de chacune des grandes sensibilités mentionnées plus haut puissent avoir confiance en ces instances. Il faut donc qu’elles soient réellement souveraines et qu’y siègent des gens en qui ils se reconnaissent. Autrement dit, des gens élus, représentatifs de la diversité du mouvement, et collectivement peu suspects de défendre des intérêts particuliers. Le problème, c’est que nous avons tous le souvenir d’instances de ce type, dans des partis ou des syndicats, et nous savons que les débats d’idées y sont souvent brouillés par des jeux de pouvoirs au service de carrières individuelles. Comment limiter ces jeux de pouvoirs ?
Difficile à dire et nous devons y réfléchir. Peut-être que ce type de stratégie individualiste pourra être significativement entravé si tout n’est pas déterministe dans le fonctionnement du mouvement, s’il y a quelque part un élément aléatoire. Mais pas aléatoire au point d’entacher la légitimité dont je parlais plus haut. Par exemple, au lieu de voter pour un.e représentant.e en particulier dans l’une de ces instances, on pourrait voter pour une liste de personnes défendant les mêmes idées, l’élu.e étant ensuite tiré.e au sort dans cette liste. Ainsi, l’ambitieux n’aurait pas de bottes à lécher ou d’intrigues à nouer pour se retrouver en haut de la liste. Mais le militant, lui, serait sûr d’être représenté par quelqu’un qui partage ses idées. Ainsi, pas d’affrontement fratricide ou de différentiation artificielle entre deux prétendant.e.s aussi légitimes l’un.e que l’autre et pensant de toute façon la même chose, c’est le hasard qui trancherait entre eux, sans que le perdant ait lieu d’éprouver du ressentiment envers qui que ce soit.
Ce n’est là qu’un exemple et d’autres fonctionnements sont possibles. Mais retenons que la forme « gazeuse » de la FI n’a hélas pas permis d’éviter les vieux écueils et qu’il convient maintenant d’en inventer une autre.
Dans la foulée du mouvement des Gilets jaunes, l’idée de « fédération populaire » peut changer la donne en la matière. Mettre dans chaque commune les groupes d’action de la FI, déjà largement autonomes, au service des mouvements qui y luttent, et donc présenter des listes au nom de ces mouvements plutôt qu’au nom de la FI, en invitant les autres partis à en faire autant. Certes, il n’y a pas de mouvements dans toutes les communes mais, partout, il est possible d’écouter les habitants et de faire émerger leurs revendications au lieu de plaquer simplement notre programme. Justement, certains Gilets jaunes ont commencé à se revendiquer du « municipalisme libertaire » ( https://reporterre.net/Le-
) tel qu’il se pratique, par exemple, à Saillans ; https://www.youtube.com/watch?
Avec un mouvement construit de façon décentralisée et à partir de mouvements de lutte plutôt qu’autour d’une candidature à l’élection présidentielle, il y a là de quoi renouveller la démocratie, dans le pays bien sûr mais aussi dans notre propre mouvement.
Brice Errandonea (95)