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Quel est le devoir de la gauche israélienne en période de génocide ?

© Saeed Qaq / ANADOLU

Depuis l’assaut du 7 octobre, la gauche israélienne est plus divisée et marginalisée que jamais, la lutte commune entre Palestinien·nes et Juifs/Juives étant à son point de rupture. Pourtant, elles et ils continuent de viser un changement politique à long terme.

En juin dernier, la nouvelle d’une fusion entre deux partis politiques israéliens vétérans de la gauche de l’échiquier sioniste, Labor et Meretz, est passée sans grande publicité. Le parti travailliste, autrefois hégémonique, n’occupe plus que quatre des 120 sièges de la Knesset, et Meretz a été complètement éliminé lors des élections de 2022, ce qui n’est pas vraiment une surprise. Faute d’une vision alternative convaincante à l’assujettissement perpétuel des Palestinien·nes sous la botte de l’armée israélienne, la gauche parlementaire israélienne – aujourd’hui dirigée par Yair Golan, encore un ancien général de l’armée, qui a mené les appels à l’invasion du Liban au cours de l’été – a été condamnée à l’insignifiance.

« Il n’y a pas de politique de gauche en Israël ; c’est une réalité que beaucoup ignorent », a tweeté l’activiste palestinien Hamze Awawde en juillet. Ses remarques ont été formulées après que la Knesset a adopté une résolution s’opposant à la création d’un État palestinien par 68 voix contre 9, seuls les législateurs des partis dirigés par des Palestiniens ayant voté contre. « Bien qu’il existe des mouvements de gauche au niveau local, la politique de gauche en tant que force politique n’existe tout simplement pas en Israël ».

La question de savoir comment les progressistes peuvent faire évoluer la politique israélienne de l’intérieur, en l’absence d’une organisation politique de gauche, suscite un débat sans fin parmi les militant·es sur le terrain. Depuis le processus de paix d’Oslo, la modération conventionnelle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la gauche, a détruit tout potentiel politique pour les progressistes israélien·nes – en raison de la petite taille de son espace, de sa faiblesse électorale, de ses luttes intestines et de son abandon de la solidarité aux palestinien·nes.

La marginalisation totale de la gauche, imposée par la police israélienne politisée, n’a fait que s’accélérer depuis le 7 octobre. Même les membres des familles des otages israélienfnes, qui appellent à un cessez-le-feu afin de libérer leurs proches, sont harcelé·es et traité·es de traîtres « gauchistes ». La répression accrue de la société palestinienne a, elle aussi, radicalement limité l’horizon de la dissidence ou de l’action politique collective au cours de l’année écoulée. Quelques jours seulement après l’attaque du Hamas, les citoyen·nes palestinien·nes sont confronté·es à une campagne d’intimidation, de persécution, de surveillance et de harcèlement soutenue par le gouvernement.

Néanmoins, l’année écoulée a vu des militant·es israélien·nes de gauche persister dans leurs efforts pour souligner leur pouvoir en vue d’un avenir plus pacifique, plus juste et plus égalitaire pour les Israélien·nes et les Palestinien·nes.

Le « camp de la paix », plus proche de la gauche sioniste, largement représenté par des ONG et financé par la philanthropie internationale, est en train de se reconstituer après le choc des attaques du Hamas du 7 octobre et le désespoir lié à l’assaut israélien sur la bande de Gaza qui a suivi. Plus à gauche, on trouve un réseau plus restreint d’organisateurs et d’organisatrices qui reçoivent moins d’attention de la part de la communauté internationale et qui se retrouvent souvent mis à l’écart, même par le camp de la paix. Qu’elles et ils soient antisionistes, non sionistes ou qu’elles et ils refusent toute catégorisation, ces militant·es se situent à l’extrême gauche de la société israélienne, parfois qualifiée de « gauche radicale ».

Contrairement au camp pacifiste dominant, elles et ils se sont opposé·es sans équivoque à la guerre actuelle dès son commencement et appellent au démantèlement du régime d’occupation, d’apartheid et de suprématie juive d’Israël. Elles et ils mettent l’accent sur l’organisation de la base au sommet, le renforcement de la lutte commune juifs/juives-palestinien·nes et l’évidence des liens entre la domination coloniale d’Israël sur les Palestiniens·ne et l’inégalité des classes ethniques au sein de la société israélienne.

La plupart du temps, on peut trouver ces militant·es en train de planifier des manifestations anti-guerre ou d’y participer, ou encore de s’engager dans une « présence protectrice », c’est-à-dire de soutenir physiquement les communautés palestiniennes de Cisjordanie occupée qui risquent d’être expulsées en raison de la violence des colons et de l’armée. Nombre d’entre elles et eux ont fait de la prison pour avoir refusé le service militaire obligatoire et se joignent régulièrement aux manifestations organisées par les Palestinien·nes en Cisjordanie et à l’intérieur d’Israël.

Aucun d’entre elleux ne se fait d’illusions sur le fait que la pression interne de la gauche serait le facteur décisif pour forcer Israël à mettre fin à son carnage à Gaza ; au contraire, toutes et tous appellent les gouvernements étrangers à cesser d’envoyer des armes à Israël. La résignation et le désespoir sont les sentiments dominants. Mais elles et ils considèrent leur activisme comme le strict minimum dans leur position de privilège relatif, même s’elles et ils reconnaissent l’impact limité de leurs actions.

Les quelque deux douzaines d’activistes qui ont parlé à +972 reconnaissent également qu’un cessez-le-feu en soi ne changerait pas les structures politiques en Israël et aux États-Unis – celles qui ont permis à des personnes de ces deux sociétés de participer à l’affamement et à l’assassinat de Palestinien·nes· à grande échelle. Même si un accord est conclu, le processus de prise de conscience de l’appartenance à une société éradicatrice, qui a franchi de nouveaux seuils dans la déshumanisation des Palestinien·nes, ne fait que commencer.

« Tant de gens ici sont dans une frénésie fasciste », a déclaré Yahav Erez, activiste et podcastrice, à +972. Je me demande : « Vous vivez dans un État génocidaire, presque tout le monde autour de vous n’a aucune empathie pour quiconque n’est pas « son » peuple, et vous êtes toujours en contact avec elleux – comment pouvez-vous leur donner une quelconque légitimité ? Mais d’un autre côté, j’ai déjà été comme elles et eux ».

Face à ces défis apparemment insurmontables, la gauche radicale israélienne s’est fixé pour objectif un changement politique à long terme. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou n’est pas immortel ; le centre militariste et l’extrême droite messianique semblent actuellement être ses successeurs les plus probables. L’objectif des progressistes est de jeter des bases qui pourraient faire d’elleux une force politique viable une fois la guerre terminée. Pour ce faire, elles et ils sont désormais contraints de réexaminer la manière dont elles et ils conçoivent leur propre pouvoir, leur base et leur capacité à créer le changement.

Tirer vers la gauche
Au cours des deux dernières décennies, le centre et la droite israéliens ont fait pression pour « gérer » ou « réduire » le conflit – l’idée qu’Israël peut contrôler violemment les Palestinien·nes et occuper avec son armée de haute technologie, tout en poursuivant simultanément des accords de normalisation avec les pays arabes.

Pendant un certain temps, cela a semblé fonctionner. Les militant·es de la gauche radicale et du camp de la paix au sens large se sont efforcé·es de construire une mobilisation autour des droits des Palestiniens·nes. La plupart des Israélien·nes juifs et juives ont pu mener une vie quotidienne « normale » sans trop se préoccuper des Palestinien·nes. « Je vais être très honnête : nous étions coincé·es », a déclaré Sally Abed, l’une des principales militantes palestiniennes du mouvement judéo-arabe Standing Together. « Personne ne parlait de l’occupation, personne ne parlait de la paix. L’attitude générale était la suivante : « On s’en fout ».

Malgré les échecs considérables du gouvernement et de l’armée depuis le 7 octobre, les dirigeants israéliens n’ont pas modifié leur approche. Pour Sally Abed, les politiciens de tous bords ont continué à présenter au public des nuances différentes d’une même politique. Même en allant jusqu’à la gauche [de la Knesset], personne ne propose au public israélien autre chose que « bombardons encore ». Oh, ça ne marche pas ? Bombardons encore ».

En dehors des lieux de pouvoir, l’opposition croissante à la guerre a conduit à des explosions occasionnelles d’énergie dans le camp de la paix israélien, symbolisées par le rassemblement du 1er juillet « It’s Time – The Big Peace Conference » (C’est le moment – La grande conférence de la paix). Cette situation a constitué une ouverture potentielle pour les progressistes, qui ont cherché à pousser les manifestations en faveur du cessez-le-feu à articuler un programme explicitement anti-occupation. Sally Abed a expliqué que Standing Together, qui occupe un espace situé quelque part entre le camp pacifiste traditionnel et la gauche radicale, vise à agir comme « le poids qui tire [vers la gauche] celles et ceux qui sont juste à notre droite, qui sont pour la plupart avec nous mais qui n’ont pas le courage de dire ce que nous disons ».

Mais pour éviter le destin du camp de la paix israélien depuis Oslo, les organisateurs et organisatrices ont déclaré à +972 qu’elles et ils devront tirer les leçons des échecs de la gauche tout au long de son histoire – et plus récemment des faiblesses des manifestations de masse contre le remaniement judiciaire du gouvernement d’extrême droite.

Ces manifestations, qui se sont déroulées chaque semaine de janvier 2023 au 7 octobre, ont vu des centaines de milliers d’Israéliens descendre dans la rue au nom de la démocratie. Pourtant, les dirigeant·es de ces manifestations pro-démocratiques se sont efforcé·es de « limiter la portée du débat à la réforme judiciaire et aux accusations de corruption de M. Netanyahou », selon Noa Levy, secrétaire de la branche Tel Aviv-Jaffa du parti communiste Hadash, conseillère juridique et cofondatrice du réseau de réfractaires à l’armée Mesarvot.

Face à ces tentatives, Noa Levy et d’autres militant·es ont formé un « bloc anti-occupation » au sein du mouvement de protestation plus large, soulignant que l’apartheid et la privation des droits des Palestinien nes étaient au cœur de toute discussion sur la démocratie israélienne. Le mouvement de protestation principal a généralement traité le bloc anti-occupation – qui a parfois rassemblé plusieurs milliers de manifestant·es – comme un paria irritant, avec ses drapeaux palestiniens, ses chants arabes et ses slogans tels que « Pas de démocratie sous occupation ». Pourtant, même au sein de ce bloc, il y avait de forts désaccords.

Le Bloc Radical, un collectif de quelques centaines d’Israélien·nes d’extrême gauche qui s’est formé aux côtés du bloc anti-occupation, a rapidement émergé en tant que force indépendante et est devenu un élément incontournable des manifestations du cessez-le-feu depuis le 7 octobre. Contrairement au bloc anti-occupation, ce collectif considère le sionisme comme un projet de colonisation et lutte pour une société égalitaire pour tous entre le Jourdain et la mer Méditerranée, ainsi que pour le droit au retour des réfugié·es palestinien·nes.

Leurs slogans et leurs chants lors des manifestations pour le cessez-le-feu ont représenté plus qu’une simple irritation pour les manifestant·es traditionnel·les, mais plutôt une réfutation totale de ces derniers.

Si nous pensons que les choses ne peuvent pas être réparées, nous ne faisons pas une politique de changement
Les désaccords entre ces groupes ne peuvent être considérés comme une scission de la gauche ou des querelles intestines mesquines. Ils reflètent leurs différentes réponses à la même question fondamentale : la société israélienne peut-elle changer – ou est-elle bloquée dans un état permanent de violente rage anti-palestinienne ?

« L’opinion de la gauche israélienne est mitigée. Je ne pense pas que nous puissions changer l’opinion des gens de l’intérieur », a déclaré M., un(e) militant(e) du Bloc radical qui a préféré garder l’anonymat par crainte d’être victime d’un “doxxing”. « Nous ne convaincrons personne qui n’est pas déjà avec nous. L’objectif, dit-iel, n’est pas de faire changer d’avis les Israélien·nes, mais plutôt d’être la voix de la vérité dans une société qui est dans un état de déni presque compulsif de la violence qu’elle inflige ».

« Il y a ici le syndrome de David et Goliath », poursuit M.. « Nous [les Juifs/Juives israélien·nes] nous présentons toujours comme David, et il doit toujours y avoir un Goliath qui nous attaque. Même si nous tuons plus de 40 000 personnes, nous sommes toujours la victime ».

Yahav Erez voit les choses différemment. Le sionisme n’est pas une identité innée pour les Israélien·nes, affirme-t-elle, mais plutôt une idéologie politique qui peut être remise en question comme n’importe quelle autre – et le faire reste une tâche essentielle pour les progressistes israélien·nes. « Je parle à des personnes dont les histoires sont la preuve vivante que l’on peut changer », a-t-elle déclaré à +972. « Le sionisme n’est pas une chose avec laquelle on naît, et qui nous habite pour le reste de notre vie ».

Yeheli Cialic, militant du Parti communiste israélien et ancien coordinateur du réseau de réfractaires à l’armée Mesarvot, abonde dans le même sens. « Je ne veux pas que les Israélien·nes soient décrit·es comme différent·es des autres connards du monde », a-t-il déclaré. « Si nous pensons que les personnes sont immobiles et que les choses ne peuvent pas être corrigées, nous ne faisons pas une politique de changement. Et c’est irresponsable, car il s’agit de vies humaines ».

Les différentes approches du public israélien tendent à faire surface autour du choix de la langue – que ce soit dans les pancartes de protestation, les discussions de groupe ou les messages sur les médias sociaux. En novembre 2023, les partenariats occasionnels entre le Bloc radical et le bloc anti-occupation plus large ont pris fin en raison de la réticence de ce dernier à utiliser le terme « génocide » pour décrire les actions d’Israël à Gaza. « Leur stratégie consistait à s’adresser autant que possible au courant dominant », explique M.. « Notre stratégie consistait à être intransigeants·e dans nos déclarations   si le grand public ne peut pas [nommer le génocide pour ce qu’il est], au moins nous disons la vérité ».

Yeheli Cialic, quant à lui, décrit l’utilisation d’un langage intransigeant au sein de la gauche israélienne et parmi les militant·es à l’étranger comme la preuve d’une mentalité de « perdant ». « Il s’agit d’une politique d’expression personnelle et non d’une politique de construction du pouvoir ou d’un jeu pour gagner », affirme-t-il. « Lorsque vous tenez une pancarte dans la rue en hébreu, vous participez à une conversation, vous essayez de communiquer quelque chose au public israélien. Si votre message incite immédiatement les personnes à se refermer, ou s’elles ne le comprennent même pas et se mettent en colère, alors vous avez échoué dans votre acte de communication et vous avez échoué dans cette action politique ».

Les militant·es qui tentent d’attirer l’attention du public israélien se heurtent à l’imperméabilité totale du gouvernement israélien actuel à la pression populaire. Même si les protestations contre le cessez-le-feu devaient se multiplier, il est peu probable qu’elles aient un impact sur les actions militaires d’Israël. Et cela n’est pas seulement vrai en Israël, mais dans le monde entier : des États-Unis à l’Allemagne en passant par l’Égypte et la Turquie, d’immenses manifestations ont envahi les rues pour réclamer la justice en Palestine, sans que les politiques de leurs gouvernements n’en soient affectées. Ce problème conduit à un sentiment plus large d’absence de but parmi les militant·es, où il est pratiquement impossible de mesurer si leurs efforts font une différence.

« Il n’y a pas un seul élément au sein du gouvernement qui vaille la peine d’être mis sous pression », a déclaré Amjad Shbita, secrétaire général du parti Hadash et citoyen palestinien d’Israël. Même sous les gouvernements précédents de Netanyahou, lorsque nous descendions dans la rue, nous disions : « D’accord, Bibi ne va pas nous écouter, mais il y a d’autres éléments plus modérés sur lesquels la pression fonctionnera ». Ce n’est plus la situation actuelle.

Avec les maigres résultats de leurs protestations, les progressistes israélien·nes ne peuvent compter que sur les forces extérieures : pressions diplomatiques et candidatures à l’État palestinien, tribunaux internationaux, mouvements de boycott et sanctions. Fin octobre 2024, plus de 3 500 citoyen·nes israélien·nes ont signé une lettre ouverte appelant à toutes les formes possibles de pression mondiale sur Israël pour qu’il arrête le génocide à Gaza. « Malheureusement, la majorité des Israéliens·ne soutiennent la poursuite de la guerre et des massacres, affirment-iels, et un changement de l’intérieur n’est actuellement pas possible.

Un partenariat fracturé
Ne disposant que de peu de moyens pour faire pression sur leur gouvernement ou persuader leurs concitoyen·nes, de nombreuses et nombreux Israéliens de gauche ont tenté de soutenir une lutte commune entre Palestinien·nes et Juifs/Juives. Pourtant, les attentats du 7 octobre et les violences massives qui ont suivi à Gaza ont poussé les organisations juives et palestiniennes au bord de la rupture.

« Au début du mois d’octobre, personne n’imaginait que l’on puisse s’asseoir au même endroit et reconnaître une douleur mutuelle. C’était inimaginable  , se souvient Abed, de Standing Together. Beaucoup de juifs et de juives israélien·nes de gauche ont changé leur vision de base de qui compte comme « nous » », a expliqué M. Levy de Hadash. Elles et ils considèrent désormais que « nous » sommes des Juifs et des Juives et « elles et eux » des Arabes qui doivent prouver qu’elles et ils sont « nos » partenaires. Soudain, le partenariat lui-même est devenu une question ».

Nisreen Morqus, secrétaire générale du Mouvement des femmes démocrates d’Israël (connu sous l’acronyme hébreu « Tandi »), affilié aux communistes, considère que ces tensions font naturellement partie de la lutte commune et qu’elles refont surface à chaque escalade de la violence. « Les sentiments nationalistes peuvent prendre le pas sur les principes et l’idéologie que nous partageons », a-t-elle déclaré. « Lorsque cela se produit, nous devons entendre le point de vue de chacun·e, mais nous devons également continuer à travailler pour influencer les politiques du gouvernement et du public. Pour cela, nous avons besoin d’une lutte commune, et non d’une lutte séparée ».

La lutte commune ne signifie pas qu’il faille s’associer à toutes les initiatives, a expliqué Shbita de Hadash ; les militant·es doivent plutôt discerner quand l’action commune est la plus stratégique. Pour Shbita, « les Arabes et les Juifs/Juives qui manifestent ensemble en public ont une valeur supplémentaire considérable ; les personnes nous voient ensemble et ressentent de l’espoir ». Mais lors des élections municipales ou nationales, où les partis judéo-arabes ont tendance à obtenir de moins bons résultats et sont confrontés à des obstacles politiques et bureaucratiques supplémentaires, il affirme qu’« une collaboration judéo-arabe trop étroite peut parfois s’avérer beaucoup moins efficace ».

Que certaines tactiques soient mises en œuvre conjointement ou séparément, conclut M. Shbita, « ce qui est important, c’est que les personnes aient le cœur à la bonne place, c’est-à-dire qu’elles soient ouvertes et qu’elless considèrent qu’il s’agit d’une lutte unique et unifiée ». Pour convaincre leur base de l’existence d’une telle lutte unifiée, les militant·es apprécient de pouvoir montrer que les intérêts juifs et palestiniens sont complémentaires et imbriqués – que les Israélien·nes juifs et juives ont quelque chose à gagner à ce que les Palestinien·nes acquièrent la liberté et des droits.

Ce point n’est pas évident pour la plupart des Israélien·nes en dehors de la gauche. Au contraire, la paix est souvent perçue comme une sorte de « générosité » envers les Palestinien·nes, qui aurait un coût pour la société juive-israélienne.

Face à cette vision dominante, la gauche affirme que les Juifs/Juives israélien·nes ont en fait intérêt à renoncer aux privilèges de la suprématie juive, car ces privilèges reposent sur un faux marché. L’assujettissement des Palestinien·nes exige des niveaux croissants de déshumanisation et de violence qui n’épargnent pas leurs bénéficiaires présumé·es ; le régime de suprématie juive ne peut être maintenu que par une société militarisée qui exige l’uniformité et l’obéissance de tous ses membres, en dirigeant sa violence vers l’intérieur également, vers les immigrant·es, les femmes, les homosexuel·les, les handicapé·es, les pauvres, les dissident·es et l’ensemble de la culture arabe.

Faire appel aux intérêts propres des Israélien·nes juifs et juive met beaucoup de gens mal à l’aise ; parler des peurs des Israélien·nes peut être cruel ou détaché, alors que le génocide israélien à Gaza crée chaque jour de nouvelles horreurs, dont on ne connaît pas encore toute l’étendue. En outre, dans le contexte d’un bras de fer au sein de la gauche mondiale entre des points de vue opposés sur la signification et la pratique de la solidarité, certain·es insistent sur le fait que la partie privilégiée – le colon – ne devrait pas être motivée par ses propres intérêts pour soutenir les opprimé·es, et ce de manière inconditionnelle.

Selon un autre point de vue, la solidarité n’est pas simplement l’expression discursive du soutien d’un groupe à un autre. Il s’agit plutôt d’un processus de transformation sociale et politique qui remplace la logique de séparation et les relations de violence par de nouvelles alliances politiques à travers une lutte politique commune. Cette solidarité commence par la reconnaissance du fait que les destins de tous ceux et toutes celles qui vivent entre le Jourdain et la mer Méditerranée sont matériellement et irrévocablement liés.

L’occupation est alimentée par des considérations économiques et matérielles
L’une des faiblesses persistantes des espaces traditionnels de lutte contre l’occupation a été le rejet fréquent et désobligeant de la moitié de la population juive du pays, considérée comme non pertinente pour la construction d’un pouvoir politique de gauche – c’est-à-dire les Mizrahim, dont l’héritage remonte au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord, et qui ont été historiquement marginalisés en Israël par les Juifs/Juives ashkénazes ayant leurs racines en Europe. Cette situation découle de l’idée reçue selon laquelle les Mizrahim sont attachés à la politique de droite, et en particulier au parti Likoud de M. Netanyahou.

« Il existe un stéréotype selon lequel les Mizrahim soutiennent la droite qui soutient l’occupation – si les Mizrahim n’étaient pas là, il n’y aurait peut-être pas d’occupation », explique le professeur Moshe Behar, cofondateur du Mizrahi Civic Collective (collectif civique mizrahi). Ce point de vue perdure dans les espaces anti-occupation, malgré les études montrant que la différence entre le vote de droite des Mizrahi et des Ashkénazes fluctue considérablement dans le temps, et que l’éducation est un indicateur de vote plus significatif que l’appartenance ethnique.

Selon M. Behar, la gauche anti-occupation considère les divisions entre les classes ethniques des citoyen·nes israélien·nes comme une « question de second ordre ou marginale » dans la lutte pour les droits des Palestinien·nes. Pourtant, les deux ne peuvent être séparés, poursuit-il, car « la question de la Palestine ne repose pas seulement sur des problèmes politiques au sein de deux nations, l’une juive et l’autre palestinienne ; l’occupation est alimentée par des considérations économiques et matérielles ». Et c’est « précisément la déconnexion par la gauche traditionnelle des divisions ethniques et des droits politiques des Palestinien·nes occupé·es et apatrides de Cisjordanie et de Gaza qui a affaibli la gauche depuis 1967 », a-t-il ajouté.

Cette faiblesse s’est manifestée de manière flagrante lors des manifestations de l’année dernière en faveur de la démocratie, qui n’ont pas réussi à mobiliser les Mizrahim, ni même à les interpeller. Les manifestations n’ont pas tenu compte de l’impact des réformes judiciaires de l’extrême droite sur les pauvres, la classe ouvrière et les communautés privées de leurs droits en Israël – un oubli qui a galvanisé la réaction des militant·es mizrahis et des mouvements de gauche.

Comme l’explique M. Behar, les manifestations pour la démocratie n’ont fait   aucune mention du système de protection sociale, de la syndicalisation, des droits du travail ou de la manière dont les réformes judiciaires allaient complètement démanteler les systèmes publics d’éducation et de santé ». Il a donc été facile pour la droite de mobiliser le ressentiment populiste et la politique identitaire revancharde des Mizrahi contre l’élite ashkénaze, le groupe d’électeurs et d’électrices qui a dominé les manifestations.

Selon Sapir Sluzker Amran, avocate spécialisée dans les droits des êtres humains et cofondatrice du mouvement féministe mizrahi Shovrot Kirot (qui a récemment annoncé qu’il cesserait ses activités à la fin de l’année), la droite a réussi à caricaturer les manifestations en les présentant comme « des ashkénazes riches, privilégiés·e et de gauche qui ont contrôlé [le pays] pendant toutes ces années, et qui pleurent maintenant parce que quelqu’un essaie de toucher à leurs privilèges ».

En mettant l’accent sur la justice redistributive parallèlement au démantèlement de l’occupation, le Mizrahi Civic Collective et Shovrot Kirot remettent en question la cooptation populiste et conservatrice de l’ensemble de la lutte mizrahi. En cela, elles et ils représentent une approche matérialiste revigorée de l’activisme mizrahi.

Selon M. Behar, au cours des 15 dernières années, « une grande partie de ce qui constituait la gauche mizrahi a été canalisée vers des questions de culture, de représentation, de musique et d’art », reléguant au second plan les questions palestiniennes et socio-économiques. « C’est l’abandon de sa base matérielle qui a permis à la droite de coopter si facilement la lutte des Mizrahi ».

Pour Netta Amar-Shiff, avocate et cofondatrice du Mizrahi Civic Collective, la gauche israélienne doit cesser de considérer l’opposition à l’occupation comme un marqueur de classe, de statut ou d’éducation. « Le soutien à la paix n’est pas un bien culturel accessible uniquement aux Israélien·nes d’une certaine origine, a-t-elle souligné. « Nous offrons quelque chose qui n’existe pas actuellement dans le camp de la paix : une compréhension plus large, un éventail plus large d’approches politiques. Et si vous choisissez de nous écouter, alors tous et toutes ensemble, peut-être, nous serons capables de faire face à l’inégalité et à la guerre ».

La bataille pour la périphérie
En reliant les luttes contre l’apartheid et les luttes ethno-classiques, les progressistes israélien·nes pourraient être en mesure de capitaliser sur les petites fissures dans le soutien du régime dans ce qu’Israël appelle sa « périphérie » – les régions autour du Néguev/Naqab dans le sud du pays et de la Galilée dans le nord. C’est particulièrement vrai pour les Bédouin·es, les Mizrahi et les habitant·es de la classe ouvrière des régions entourant la bande de Gaza, qui faisaient partie des communautés les plus gravement touchées par l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas. Leur abandon par le gouvernement ce jour-là, ainsi que dans les plans de réhabilitation qui ont suivi, était une continuation évidente d’une longue histoire de discrimination institutionnelle.

Aujourd’hui plus que jamais, les sympathies politiques des communautés négligées et vulnérables semblent être à gagner- un fait qui n’est pas passé inaperçu à droite. Omer Rahamim, directeur du Conseil de Yesha, qui regroupe les conseils municipaux de colons, a averti que les sondages de la droite montrent que « le public le plus important qui a toujours voté pour le Likoud mais qui l’abandonnerait est le public traditionnel de Mizrahi ».

Entre-temps, de nouvelles initiatives, telles que « Okef Israel » de Shovrot Kirot, visent à construire une infrastructure politique alternative grâce à laquelle les représentant·es des villes et des villages non reconnus de la périphérie peuvent participer à la collecte de fonds et à l’élaboration de politiques.

« Il y a une ouverture à de nouvelles approches [parmi les résident·es] », a déclaré Netta Amar-Shiff. Mais la droite est mieux préparée à tirer parti de ces ouvertures. « Je peux venir à Ofakim [ville du sud d’Israël à majorité mizrahi, qui a connu l’une des batailles les plus importantes du 7 octobre] en tant que gentille dame et offrir mon aide à la communauté pour atteindre ses objectifs politiques, mais il y a aussi le Garin Torani [réseau religieux-sioniste de nouvelles communautés missionnaires visant à « judaïser » davantage de quartiers et de villes]. Et ils ne se contentent pas de belles paroles ».

« Ils peuvent offrir des armes, des logements, des services de garde d’enfants et des programmes parascolaires », poursuit-elle.

« Et ils apportent leur propre version du judaïsme, qui est un judaïsme de haine ».

Le Mizrahi Civic Collective, quant à lui, pratique ce qu’il appelle le « sauvetage mutuel », c’est-à-dire l’idée que différentes communautés matériellement vulnérables de la région – les habitant·es des « périphéries » géographiques et sociales d’Israël, par exemple, et les Palestinien·nes des zones rurales de Cisjordanie – ont le pouvoir de se sauver mutuellement de la violence et de la dépossession, et qu’une telle collaboration est éminemment politique.

Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui, à gauche, se méfient des initiatives de coexistence dépolitisées et critiquent toute affirmation d’équivalence entre Juifs/Juives israélien·nes et Palestinien·nes, et rejettent cette idée. Mais comme l’explique Netta Amar-Shiff, elle ne propose pas que les Juifs/Juives et les Palestinien·nes opèrent sur un pied d’égalité. « La mise en commun ne démantèle pas en soi la hiérarchie entre Israélien·nes et Palestiniens·ne, ni les hiérarchies au sein de ces sociétés », a-t-elle déclaré. « Il y a [toujours] une hiérarchie ; il n’y a pas de symétrie ».

« Je ne dis pas que le peuple juif est actuellement confronté à une menace existentielle », a affirmé Netta Amar-Shiff. « Je dis que je porte en moi cette menace, à la fois parce que je suis originaire du Yémen, où nous avons connu nos propres atrocités, et en tant que juive. Nous ne pouvons pas laisser la droite être la seule à parler de cette [peur], parce qu’elle la porte à un niveau violent d’anéantissement mutuel ».

En effet, les horreurs du 7 octobre ont révélé le pouvoir du sauvetage mutuel à la plupart des militant·es juifs/juives-israélien·nes avec lesquels +972 s’est entretenu, qui se sont souvenu·es des moments où des ami·es ou des camarades palestinien·nes ont exprimé leur solidarité et leur inquiétude immédiatement après les attentats. Plus que toute autre chose, leurs relations politiques avec les Palestiniens·ne ont renforcé leur détermination et leur engagement à résister au régime israélien, en brisant le désespoir et l’impuissance qui prévalaient.

Netta Amar-Shiff, qui travaille comme avocate pour lutter contre le déplacement des communautés palestiniennes, a déclaré que ses collègues palestinien·nes étaient « les personnes qui m’ont appelée et qui se sont inquiétées pour moi [le 7 octobre]. Ce sont des personnes qui voulaient me sauver, qui m’auraient sauvé s’iels l’avaient pu, à l’heure de vérité. Je le sais. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé le pouvoir du secours mutuel ».

Hadas Binyamini. Publié sur « Entre les lignes, entre les mots ».
Hadas Binyamini écrit sur la politique juive et le conservatisme dans l’histoire américaine. Elle est candidate au doctorat à l’université de New York.
Twitter : @hadasbinyamini https://www.972mag.com/duty-of-the-israeli-left-in-genocide/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)