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Public vs Privé : « Rallumer la guerre scolaire… » ?

Sebleouf

Les conclusions de la mission parlementaire sur le financement de l’école privée sous contrat, dont les rapporteurs sont Paul Vannier (LFI, Val d’Oise) et Christopher Weissberg (RE, 1ère circonscription des français de l’étranger), ont été publiées mardi 2 avril dernier. Elles pointent en premier lieu l’opacité qui règne sur le montant des dépenses publiques allouées à l’enseignement privé, cela alors que la mobilisation pour un plan d’urgence pour l’éducation en Seine St-Denis se poursuit depuis plusieurs semaines et fait face à la surdité accablante du gouvernement. Cette situation souligne à quel point les batailles actuelles autour de l’école portent sur des enjeux cruciaux et correspondent à un moment de bascule où l’idée même d’un droit universel à l’éducation garanti par le service public est attaquée par le gouvernement et menacée par la concurrence générale du privé.

Le moins que l’on puisse dire en effet est que Macron et ses gouvernements sont « en guerre » contre l’école publique. D’une école commune pour toutes et tous ils ne veulent pas : haro sur l’enseignement professionnel public, fin du collège unique et accentuation des inégalités grâce aux groupes de niveaux (qui cachent en réalité des classes de niveaux) et au « choc des savoirs », port de l’uniforme, service national universel, ponction sur le budget, etc., etc., etc.

Ils nous disent : « tout le monde voit bien que l’École va mal… il faut la réformer… pour la mettre par terre ». Ils disent la même chose pour l’hôpital et tous les services publics. On entend en permanence qu’il faut regarder les choses « concrètement », que « la fête est finie », que « la concurrence du privé est saine » et qu’elle permet la liberté de choix des usagers et qu’il faut la garantir quitte à financer massivement le secteur privé au détriment du public.

Parlons du réel et du concret. Chiche ! Reprenons l’exemple de la Seine Saint-Denis (93) : suite à l’état des lieux conduit par l’intersyndicale de l’Éducation du département, le constat est très clair (on est concret, hein). Il manque des moyens humains dans tous les domaines (enseignement, vie scolaire, service social et de santé), les remplacements ne sont plus assurés depuis des années et le bâti est délabré… État des lieux qui a conduit à l’élaboration d’un plan d’urgence (très concret) dont on ne mentionnera ici que le chiffrage : 358 millions d’euros supplémentaires sont nécessaires pour satisfaire à l’exigence d’égalité avec le niveau de dotation des autres académies ou… de l’enseignement privé.

L’un des moteurs principaux de la mobilisation engagée depuis des semaines dans le 93 est évidemment l’égalité.

Bien sûr, la seine Saint-Denis est le département le plus pauvre de France métropolitaine, les difficultés y sont plus importantes qu’ailleurs. Mais la situation qu’il connaît, sans qu’elle atteigne partout un tel niveau de rupture, est bien celle à laquelle est confrontée l’Éducation nationale dans tout le pays. Pourtant, à quelques kilomètres, au lycée Saint Stanislas, établissement privé catholique sous contrat d’association avec l’état, les élèves nagent dans des piscines (trois) et pratiquent les activités sportives sur des plateaux sportifs intégrés (sept) privés. Bien entendu ils portent des uniformes, et incidemment, apprennent l’homophobie dans des cours de catéchisme non-mixtes… La nomination choquante d’Amélie Oudéa-Castéra à la tête d’un super ministère couvrant l’Éducation, a permis la mise en lumière du scandale que représente l’existence d’un tel établissement financé par l’Etat, symbole d’une caste privilégiée et réactionnaire qui a fait sécession.

Dans ce moment de bascule pour l’avenir du droit à l’éducation, il y a donc une colère légitime qui monte parmi les personnels mobilisés, les jeunes et leurs parents. Une colère qui porte sur la distorsion de moyens et d’obligations entre privé et public. Au détriment du public. Et c’est vrai que cette distorsion est considérable et qu’elle s’appuie sur l’opacité la plus totale des conditions de financement public de l’enseignement privé. Pour preuve, un état des lieux de la cour des comptes publié le 1er juin 2023 constatait que les « relations entre l’État et les établissements privés sous contrat doivent être rénovées en profondeur » du fait que « la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années ».

A la lecture du rapport parlementaire sur le financement de l’école privée sous contrat publié le 2 avril, on soulignera que les deux rapporteurs, pourtant d’horizons politiques très éloignés l’un de l’autre, affirment ensemble qu’aucune administration n’est en mesure de « fournir un montant consolidé des dépenses en faveur de l’enseignement privé sous contrat ». Le chiffre de 10 milliards est avancé mais selon ses auteurs il est sous-estimé et 13 milliards seraient plus proches de la réalité (le concret, hein!). On retiendra aussi que les contrôles concernant l’utilisation de ces fonds sont presque inexistants, puisque la probabilité qu’un établissement privé soit contrôlé est « d’une fois tous les 1500 ans ». Chouette non ? Si ce n’est pas de la confiance ça ! Et surtout, au nom du « caractère propre » l’enseignement privé sous contrat fait un peu ce qu’il veut des ressources qui lui sont attribuées. Il y a de nombreux exemples dans le rapport. Ainsi les établissements font ce qu’ils veulent avec le forfait d’externat versé par les collectivités territoriales : possible rémunération d’heures fictives, organisation des cours sur 50 mn au lieu de 55 mn pour récupérer des moyens et pouvoir ouvrir des options « attractives », etc. On se rappellera peut-être avant tout que le privé n’est pas soumis à la carte scolaire et que donc il sélectionne ses élèves. Il est même là pour ça. C’est son principal argument.

La mission parlementaire fait 55 propositions pour que ce « financement public élevé (soit) associé à davantage de contreparties imposées aux établissements ». Pourtant, le secrétaire général de l’enseignement catholique (SGEC), Philippe Delorme, nommé par la conférence des évêques de France  (95 % de l’enseignement privé sous contrat est catholique) trouve que c’est trop demander aux établissements qu’il représente auprès de l’Etat… et qu’il s’agit d’un « combat d’arrière-garde ». Chacun.e appréciera.

La Ministre de l’Education nationale, Nicole Belloubet, interrogée par la commission déclarait le 27 mars dernier : « Je ne veux pas rallumer la guerre scolaire. Mais je suis dans l’état d’esprit que nous devons porter ensemble un certain nombre de priorités. La mixité est importante ». On ne peut pas dire que cela l’engage beaucoup. Et de toute façon, comme ce n’est pas elle qui décide, cela ne mange pas de pain…

Depuis près de 30 ans les gouvernements néo-libéraux ont engagé une réaction anti-égalitaire de grande ampleur contre le service public de l’Éducation Nationale. Avec la volonté de casser le principe d’une école démocratique à même d’assurer un droit égal et universel à l’éducation pour tous les enfants et les jeunes du pays. Et dans cette offensive, l’enseignement privé est une pièce essentielle à leur service, au service du bloc bourgeois. Quarante ans après l’échec de la tentative d’Alain Savary en 1984 de créer un « service public unifié et laïque de l’Éducation nationale » et le recul de F. Mitterrand face aux mobilisations de la droite et du clergé catholique, il faut oser redire qu’une des causes de l’inégalité (pas la seule) est l’existence de l’école privée qui bénéficie de budgets de plus en plus importants et incontrôlés.

Macron et consorts défendent leur école, dont le modèle est le privé (d’ailleurs pour beaucoup ils en viennent), avec la ségrégation et la concurrence comme principes. C’est eux qui mènent la « guerre scolaire » contre l’école du plus grand nombre : le service public d’éducation.

C’est donc projet contre projet qu’il faut les affronter. Dans notre camp social le principe est l’égalité : il faut une école commune construisant une culture de haut niveau pour toutes et tous. Une école démocratique. C’est possible. Pour cela, il faut commencer par mettre fin au financement public de l’enseignement privé. Il faut dénoncer le scandale du financement sans contrôle et sans contrepartie de l’enseignement privé et réaffirmer que l’argent public doit aller à l’école publique.

Olivier Le Pichon et Emmanuel Arvois, pour la commission éducation de la GéS