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Pour une école de l’émancipation

L’école à la maison à cause du confinement, s’est révélée souvent difficile voire impossible pour de nombreux élèves. Contrairement à ce qu’a affirmé Jean Michel Blanquer, la continuité pédagogique ça n’existe pas. Ce qu’a révélé cette période c’est l’explosion des inégalités. Il est temps de redéfinir un vrai projet émancipateur pour l’école.

L’épidémie du covid 19 a conduit à l’arrêt, pendant près de 2 mois, de tous les établissements dans notre pays, écoles, collèges, lycées. Une reprise dans les écoles maternelles et primaires, échelonnée à partir du 11, a été imposée par le gouvernement. Au delà du débat que suscite cette rentrée impréparée et contestée, il est désormais impératif de se poser un certains nombre de questions concernant le confinement et ce qu’a été (et continue à l’être) l’école à la maison.

Certains diront qu’il n’est pas encore l’heure des bilans. Pourtant il est possible de tirer d’ors et déjà des enseignements, à l’aune des retours d’expériences, des articles, des enquêtes menées par la première fédération de parents d’élèves, la FCPE et de celles menées par les organisations syndicales enseignantes. En tant qu’élue régionale, présidente de la commission éducation, jeunesse au conseil régional Occitanie, et en tant qu’enseignante en LP, je souhaite aussi apporter ma contribution, grâce à mon propre vécu.

La « continuité pédagogique » : ça n’existe pas !

Jean Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, nous a assommé-e-s de propos lénifiants dès le début du confinement, sur la continuité pédagogique, les outils numériques mis à disposition et censés remplacer l’apprentissage en classe. Sortant des chiffres d’on ne sait où, M. Blanquer a assuré que seulement 5 % des élèves avaient un problème de connections ou d’équipement informatique. Outre que 5% de 12 millions d’élèves cela fait tout de même 600 000 élèves, le ministre était loin de la réalité, il a dû lui même réévaluer ce chiffre mais les retours via les moyens cités au dessus, révèlent que de nombreuses familles, évidement les plus modestes et les plus démunies, n’avaient pas d’ordinateurs, ou bien un ordinateur pour toute une fratrie ( un ordinateur pour cinq enfants scolarisés par exemple ), sans parler de mauvaises connections qui rendaient difficile la lecture des consignes et des leçons. Aucune politique pour faire face à ces manques d’ordinateurs qui isolaient de très nombreux élèves, n’a été mise en œuvre par le ministère. Ce premier problème a été géré au sein des différentes collectivités et par la mobilisation bien souvent, des équipes pédagogiques.

Quant aux enseignant-e-s, ils ont mobilisé leur équipements personnels sans que cela ne fasse réagir notre cher ministre.

Première inégalité donc à laquelle ont été confrontées les familles : la fracture numérique.

« Continuité pédagogique » vraiment ?

Mais revenons à ce concept très curieux de « continuité pédagogique », curieusement contesté par personne, surtout au sein des médias dominants ou pourtant il ne manque pas de « spécialistes et d’experts ». Personne, tout du moins au début du confinement, n’a contesté cette affirmation pour le moins péremptoire de « la continuité pédagogique ».

Comment peut on parler de continuité pédagogique quand il n’y a plus classe? Sauf à penser que le professeur peut concevoir un cours de la même manière qu’il soit en classe ou devant son ordinateur. C’est peut être ce qu’imagine le ministre de l’éducation. N’a-t-il jamais assisté à un cous ? Un cours c’est un tout : des élèves, un-e enseignant-e, un mise en musique (pédagogique), de l’émulation, du débat, de l’interaction. Et de l’attention portée à tous les élèves et en particulier à ceux et celles qui manifestent le besoin d’une aide plus soutenue du professeur-e, d’explications répétées ou reformulées.

« L’école à la maison » est un moindre mal évidemment dans le cadre de cette crise sanitaire qui a imposé le confinement. Mais il n’y a aucune continuité pédagogique dans cette situation. Tout au mieux un contact plus ou mois solide, parfois ténu, parfois difficile ou impossible, a été établi entre les familles, les élèves et les enseignant-e-s, ces dernier-e-s utilisant tous les outils possibles d’internet pour maintenir le fil. Jusqu’à utiliser ceux proscrits par l’éducation nationale (comme Discord », plateforme de joueurs), le système D avant tout au vu des problèmes rencontrés par les outils numériques fournis par l’éducation nationale !

Mais la réalité sur la continuité pédagogique ce sont les parents d’élèves qui en parlent le mieux notamment grâce aux enquêtes effectuées par la FCPE (première fédération de parents d’élèves ) auprès des familles.

Ce qui ressort dans celle concernant mon académie, l’académie de Toulouse, c’est avant tout les difficultés rencontrées par les parents, pas toujours en capacité d’accompagner leurs enfants, dans des conditions matérielles compliquées (espaces dédiés au travail, télétravail, suivi d’une fratrie).

Dans un article du Monde, le baromètre Datacovid révèle « que la scolarisation à domicile n’a pas été pour tout le monde facile à mettre en œuvre. Ainsi, 41 % des personnes interrogées reconnaissent qu’elle a été « source de tensions importantes » avec leur enfant. Plus du tiers (38 %) avoue avoir parfois eu du mal à comprendre les documents envoyés. Un grand nombre de parents (42 %) assurent cependant que leur opinion sur le travail des professeurs s’est améliorée à la faveur de cette épreuve ».

Rapidement donc les parents font remonter leurs difficultés et angoisses, car « ils ne sont pas enseignant-e-s », et être enseignant-e-s c’est un métier à part entière. Beaucoup de parents l’ont bien compris à l’aune de cette crise et l’ont exprimé. Est-ce que Jean Michel Blanquer le comprendra également ? C’est loin d’être sûr ! Les propos du ministre sur la place du numérique peuvent laisser prévaloir le pire (cours en distanciel, formation des enseignant-e-s de la même manière, suppressions de poste et économies sur le dos de l’école au final).

Mais inquiets les enseignant-e-s le sont aussi. L’enquête diligentée par le SNUIPP FSU (premier syndicat d’enseignant-e-s dans le premier degré) confirme que les professeurs des écoles comme ceux du second degré, ont joué un rôle essentiel pendant le confinement, mais « plus des trois quarts d’entre eux considèrent difficile d’exercer leur métier durant le confinement. Ils n’ont pu compter que sur eux-mêmes et sur leurs collègues. Plus du tiers d’entre eux déclarent n’avoir eu aucune relation avec l’institution, tandis que près de trois sur quatre n’ont pu disposer d’outils institutionnels facilitant le travail ».

Surtout les enseignant-e-s, bien conscient-e-s de la réalité de la continuité pédagogique, avouent qu’ils ont privilégié le plus souvent le renforcement des acquis plutôt que d’envisager l’apprentissage de nouvelles leçons.

Les inégalités ont explosé

L’école à la maison ce n’est donc pas l’école en classe. Mais surtout cette situation a aggravé les inégalités déjà existantes. Elles les a mêmes faites exploser, révélant deux choses essentielles :

– D’abord les plus fragiles scolairement et socialement ont été les premiers à éprouver des difficultés à se mettre au travail et à suivre les injonctions des équipes pédagogiques. La plupart du temps ces élèves n’ont pu bénéficier d’aide à la maison car les parents ne sont pas tous la possibilité d’aider leurs enfants dans la compréhensions des leçons, des devoirs et des consignes. C’est déjà vrai en temps normal, cela s’est accru dans ce temps de confinement. Les inégalités socioculturelles qui sévissent au sein de l’école français (très régulièrement mises en exergue par les enquêtes PISA, Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves), ont été révélées par la crise sanitaire et se sont accrues puissance dix.

– Ensuite d’une certaine manière, en creux, cette crise a révélé combien l’école, à qui on fait souvent le procès d’accentuer les inégalités, est en réalité vectrice d’égalité. Même mise à mal par les attaques dont elle est victime depuis longtemps en tant que service public, ou par les dernières réformes, l’école essaie de jouer son rôle : celle d’un lieu d’apprentissage pour toutes et tous.

Sans cette école, même imparfaite mais dont les acteurs et actrices principaux-ales, les enseignant-e-s défendent les principes républicains d’une école pour tous les élèves, il n’y a plus d’égalité de traitement. Le confinement en a fait l’éclatante démonstration.

Une école malmenée et en danger

De manière malhonnête et fallacieuse le gouvernement a expliqué la réouverture le 11 mai pour « les élèves décrocheurs ». Il est temps de se soucier de ces élèves là ! Si le gouvernement et particulièrement notre ministre de l’éducation sont inquiets du devenir de ces jeunes parmi les plus fragiles, il s’agit ni plus ni moins de donner les moyens au sein des établissements pour lutter contre ce fléau. Mais ce n’est pas l’orientation suivie, ni par Macron, ni par ces prédécesseurs, tant sur l’éducation prioritaires que sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre le décrochage. Certes le gouvernement peut se vanter d’avoir dédoubler les CP et CE1 en REP et REP+, mais une écrasante majorité d’enfants qui auraient besoin d’un tel dispositif, n’en bénéficient pas car c’est une minorité de classes qui est concernée. Quant à la lutte contre le décrochage elle est bien insuffisante au vu des besoins. Un exemple : ce n’est pas avec 400 classes relais en France, accueillant un maximum de 12 élèves (décrocheurs, en rupture avec l’école), qui vont suffire pour faire face aux problèmes.

C’est en amont qu’il faut agir. Dans « Enfances de classe, de l’inégalité parmi les enfants », sous la direction de Bernard Lahire, ouvrage (paru à la rentrée de 2019) qui synthétise une enquête inédite prenant en compte tout ce qui entoure l’éducation d’un enfant, le sociologue et ses chercheurs, révèlent que beaucoup de choses se jouent dès le début de la scolarisation, déjà en grande section de maternelle. Une des grands qualités de cet ouvrage (et elles sont nombreuses) c’est de donner à voir le quotidien de nombreux enfants de 5 à 6 ans vivant dans la même société, fréquentant souvent (mais pas toujours ) les écoles publiques, mais n’évoluant pas dans le même monde. Car en effet ces enfants vivent dans des contextes différents en matière de logement, de lieux de vie, d’accès aux sports, à la culture, à une alimentation saine et équilibrée, aux loisir, aux vacances etc.… Les enquêtes menées permettent de comprendre comment les inégalités (de classe) se reproduisent et induisent dès 5 ou 6 ans des avenirs plus ou moins enviables pour les enfants.

C’est donc à toutes ces injustices sociales qu’il faut s’attaquer d’une part et c’est à un projet pour une école pour tous qu’il faut s’atteler d’autre part.

Ce n’est pas le projet de JM Blanquer. Le sien est à combattre. Les réformes du ministre de l’éducation sont des réformes réactionnaires, dangereuse pour l’école, accentuant les inégalités de classe, mettant au cour de l’école, du lycée notamment la compétition de tous contre tous. Cette orientation est décriée au cœur même de l’institution. Jeudi 14 mai, une tribune d’un groupe anonyme dit de « Grenelle », expliquait qu’il n’était plus possible de « se taire » devant la politique du ministre de l’éducation : “Nous observons, consternés, un système éducatif détourné de ses fondements républicains et de ses valeurs et ne pouvons nous taire”. 

Lorsque même des hauts fonctionnaires peu habitués à ce genre d’exercice, s’expriment ainsi, il est temps de prendre conscience du danger que l’orientation imposée par JM Blanquer fait peser sur l’école. Désormais sa démission s’impose.

Mais delà de cela il est temps donc et au vu de ce qu’a révélé la crise que nous vivons, de poser la question de l’école que nous voulons et dont nous avons besoin

Pour une école de l’émancipation

Dans notre monde libéral, injonction est faite à l’école de s’adapter au système. C’est pour cela que l’école voulue par JM Blanquer est une école qui sélectionne, compartimente selon l’origine sociale et tant pis pour ceux et celles qui ne suivent pas et sortent sans diplôme du système scolaire. La vision libérale est une vision utilitariste de l’école où on vient « consommer » des cours, acquérir des « compétences » (minimales pour un futur « exécutant » ).

Notre école n’est pas celle là. Notre projet est celui d’une école émancipatrice dans la quelle tous les élèves ont le droit de s’instruire et s’épanouissent grâce à l’acquisition de connaissances qu’ils doivent pouvoir se réapproprier à leur rythme.

Il est légitime de vouloir le meilleur pour tous les élèves : la réussite scolaire mais pas sans le plaisir d’apprendre, la joie d’être à l’école et le droit de s’y sentir bien.

C’est donc l’école de la coopération, de l’entre aide qu’il faut promouvoir et non celle de la compétition.

Elle doit délivrer des savoirs émancipateurs, c’est à dire permettant à chaque élève de devenir l’acteur ou actrice social-e et le citoyen-n-e de demain, à même de comprendre les enjeux et défis devant nous. C’est donc aider chaque élève à construire un esprit critique et autonome. C’est le savoir partagé, d’où une émancipation individuelle et collective, qui rend libre et permet de repousser et d’éliminer même les dangers que provoquent l’ignorance.

Pour mener ce projet à bien il faut ouvrir l’école : école lieu de savoir, d’apprentissage mais aussi de partage et d’écoute. Refonder l’école c’est le faire avec les parents, les élèves, les associations d’éducation populaire.

C’est aussi mener des politiques en son sein et autour pour que tous les élèves accèdent à des savoirs, des loisirs, des activités aujourd’hui réservés qu’à une partie des enfants.

L’école émancipatrice que nous souhaitons et appelons de nos vœux ne peut être dissociée d’un projet de société alternatif au libéralisme, pour l’émancipation humaine.

Myriam Martin