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Portugal. Le Bloco et le gouvernement du Parti socialiste

Le jour où je finis cet article, Catarina Martins, porte-parole du Bloco, et plusieurs députés (dont José Soeiro, en charge des questions du travail), participent à un repas-débat avec deux cents travailleurs des carrières de la région de Porto (ainsi que leurs familles) pour célébrer leur victoire : ils auront finalement droit à un statut spécial de retraites anticipées (déjà appliqué aux mineurs), du fait que c’est un métier très dur, qui se traduit par une usure prématurée, excessive, et qui a beaucoup affecté leur santé. C’est un exemple qui montre bien la démarche du Bloco : ces travailleurs ont commencé à se réunir avec le Bloco en 2016 pour faire connaître leur situation. Le Bloco a réalisé et diffusé une vidéo, ils ont adressé une pétition au Parlement, le Bloco a fait des propositions pour le budget, négocié avec le gouvernement PS et réussi à faire inclure leurs demandes au budget 2019. Ce régime sera appliqué aux travailleurs qui travaillent à l’extraction de la pierre, aussi bien qu’à ceux qui la transforment. Il consiste à anticiper la retraite d’un an pour chaque deux ans de travail dans les carrières. La grande majorité de ces travailleurs ayant commencé à travailler à l’âge de 11 ans, cela signifie qu’ils pourront prendre leur retraite à 50 ans. Environ 5 000 travailleurs pourront bénéficier de ce régime.

C’est surtout et avant tout leur victoire, de leur courage et de leur détermination. Mais c’est aussi une victoire pour le Bloco qui a pris en charge leur situation et ne les a pas laissés pour compte.

Précaires travaillant pour l’État

On pourrait multiplier les exemples. Mais la victoire la plus importante pour le mouvement ouvrier et pour le Bloco fut d’obliger le gouvernement PS à accepter que les travailleurs précaires des services publics obtiennent le statut de fonctionnaires titulaires. Cette possibilité concerne plus de 30 000 personnes (soit 7 % des travailleurs du secteur public) qui ont postulé.

Dès le début de cette législature, le Bloco s’est battu publiquement pour un programme d’intégration et de régularisation des milliers de travailleurs précaires de la Fonction publique, une initiative inédite et sans précédent au cours des deux dernières décennies.

Au fur et à la mesure que le projet de loi était élaboré et discuté, le Bloco a fait des centaines de réunions dans tout le pays, conscient que les situations de précarité étaient bien plus diverses. Il ne s’agissait pas seulement des travailleurs des écoles, des hôpitaux ou des mairies qui avaient été inclus au début, mais c’étaient aussi les chercheurs boursiers, des enseignants de l’Université, des travailleurs du public qui travaillaient pour des entreprises de travail temporaire. Et aussi les stagiaires successivement envoyés par les programmes de stages de l’Institut de Formation professionnelle, dont les formateurs eux-mêmes étaient souvent sous statuts précaires.

Le Bloco a fait que toutes ses situations soient incluses dans la loi. Le processus aurait dû être conclu à la fin 2018. Mais il ne l’est pas encore. Des résistances des différents ministères ou des bureaucraties intermédiaires des différents services ont provoqué un retard considérable. Mais cette initiative a permis l’organisation de secteurs qui se trouvaient très isolés. Le mouvement « Precários do Estado » a vu le jour en décembre 2016, avec pour but de lutter pour l’intégration de tous les précaires de l’État. Et on a vu des mobilisations de tous les secteurs où exercent des précaires (hôpitaux, stagiaires, enseignants de Polytechnique). Dans toutes ces mobilisations le Bloco a été présent et solidaire, discutant les différentes situations et comment légiférer de telle sorte que « personne ne soit laissé de côté ». Pour nous, il ne s’agissait pas d’un processus simplement administratif, mais d’une opportunité pour que ces mouvements s’organisent de manière autonome. Et, en 2018, beaucoup de précaires ont fait grève afin de lutter pour leur intégration.

Bilan de trois années d’accords, désaccords et conflits

Les lecteurs et lectrices de ContreTemps connaissent la situation particulière du Portugal depuis 2015 et l’expérience d’un gouvernement minoritaire du Parti Socialiste (32,3 %, 86 députés) qui a été obligé de passer des accords écrits avec le Bloc de Gauche (10,2 %, 19 députés) et la CDU (PCP + Verts, 8,3 %, 17 députés) pour faire une majorité au Parlement et empêcher la droite de gouverner (1) (2). Plus récemment, d’autres articles publiés dans ContreTemps et Inprecor (3) (4) détaillent la démarche du Bloco et donnent des éléments de bilan.

Nous l’avons déjà dit plusieurs fois : nous n’avons aucune intention d’exporter cette expérience ou de l’ériger un modèle, parce qu’elle ne l’est pas. Elle découle de circonstances particulières, mais pendant ces trois dernières années le Bloco a réussi à changer la politique au Portugal. Non seulement il lui manque un enracinement plus profond dans la gauche sociale et les mouvements des travailleurs, mais il lui faut être conscient que les défis et les choix les plus difficiles sont à venir. En ce sens, l’année 2019, avec les élections européennes en mai et les élections générales en octobre, va exiger de combiner audace, solidité des choix stratégiques et une tactique très fine.

Un bilan doit toujours être dressé face aux objectifs proposés. Le Bloco n’a jamais entretenu d’illusions quant aux limites des accords avec le PS. Il faut rappeler ici les déclarations de Catarina Martins juste après la signature des accords avec le PS en novembre 2015 : « Le Bloco ne peut pas faire partie d’un gouvernement qui défend des engagements avec lesquels on n’est pas d’accord, et en outre pour lesquels le peuple n’a pas été écouté et qui ne permettent pas de rompre complètement avec l’austérité », a-t-elle commenté en mentionnant le Traité budgétaire et aussi le refus du PS d’inclure dans son nouveau programme de gouvernement la restructuration de la dette. Néanmoins cela ne veut pas dire une dévalorisation de la signification de l’accord : « Cet accord ne garantit pas la transformation dont le pays a besoin. Mais il représente un tournant, la fin d’un cycle où la pauvreté n’a cessé d’augmenter en même temps que les salaires et les retraites n’ont pas arrêté de diminuer. Le grand défi commence maintenant. Cet accord et la défaite de la droite sont un bon point de départ ».

Le PS s’est-t-il conformé aux accords ? En général, oui. Mais il fut un moment où le PS a failli céder à la pression de la Confédération patronale, qui voulait une diminution de ses contributions pour la Sécurité sociale en échange de l’augmentation du salaire minimum. Le Bloco (et le PCP) n’ont pas cédé et le gouvernement a été obligé de faire marche arrière. Tout au long des trois dernières années, le Bloco a poussé le plus possible les accords et fait des centaines d’autres propositions. Les limites et les obstacles, comme expliqué ci-dessous, découlent des positions du PS et de son obéissance à l’UE, ainsi que d’un rapport de forces où le Bloco n’a pas (encore) l’avantage. Un des obstacles est le refus du PS de changer les lois sur le travail introduites du temps de la Troika.

Principales mesures, avec leurs effets économiques ou sociaux, accomplies ou à accomplir en 2019

Les privatisations ou concessions établies par le gouvernement de droite dans les transports publics (compagnie aérienne nationale et transport public des deux plus grandes villes) ont été annulées.

De nouvelles privatisations ont été explicitement interdites.

Le salaire minimum augmenté par étapes jusqu’à atteindre 20 % d’augmentation le 1er janvier 2019.

Quatre jours de vacances ont été rétablis après avoir été supprimés par le gouvernement précédent.

Les retraites n’ont pas été gelées (au niveau du taux d’inflation) et les plus basses ont été augmentées chaque année de 3 à 4 %.

Le programme de déplacement des fonctionnaires contre leur volonté a été annulé.

Le processus de négociation collective des fonctionnaires a été rétabli.

La taxe sur la consommation dans les restaurants est passée de 23 % à 13 % .

Tous les enfants auront une place en crèche d’ici 2019.

Les manuels scolaires sont offerts à tous les élèves jusqu’à l’âge de 17 ans, par étapes successives.

La taxe extraordinaire imposée sur les salaires et les retraites par la troïka a été abolie.

Les impôts sur le revenu du travail ont été réduits et l’impôt sur les grandes entreprises a augmenté.

Une nouvelle taxe sur l’immobilier de luxe a été créée.

Les saisies immobilières sont suspendues pour les personnes âgées ou handicapées qui logent au même endroit depuis 15 ans, et la loi sur les loyers est en cours de révision pour protéger les locataires.

De nouvelles règles ont été appliquées pour les travailleurs indépendants qui fournissent des services à différentes entreprises en leur assurant la protection de la sécurité sociale.

Abaissement de l’âge de la retraite pour ceux qui ont commencé à travailler très jeunes.

Réduction des frais d’Université de 20 % en 2019.

Réduction des prix d’énergie de 5 % en 2019 et 5 % en 2020.

Réduction du prix des cartes de transport public.

Réduction de la TVA pour les spectacles de 13 % à 6 %.

Augmentation des retraites à partir de janvier 2019.

Augmentation du salaire minimum de 600 € en janvier 2019 (635 € pour le secteur public).

À ces mesures il faut en ajouter d’autres qui changent la vie de beaucoup de gens et qui représentent une avancée face au conservatisme social et pour les libertés civiles. L’IVG est redevenue gratuite (le gouvernement de la droite avait imposé des frais « pour empêcher son utilisation »). Le droit à l’adoption a finalement été approuvé pour les couples homosexuels ou lesbiennes. L’accès à la PMA (procréation médicalement assistée) a été étendu aux femmes seules et aux lesbiennes. L’usage médical du cannabis est devenu légal. Sur plusieurs de ces questions, le Parti communiste portugais (PCP) a voté avec les partis de droite ou s’est abstenu. En mai 2018, le Bloco et le PS ont présenté au Parlement une loi visant la légalisation de la mort assistée, après deux ans de débats dans la société. La loi n’est pas passée à cause d’ une différence de 5 voix, le PCP votant avec les conservateurs.

On ne se trompe pas d’analyse. On n’a pas renversé le capitalisme et il n’y a pas eu de changements stratégiques. Mais on a réussi à imposer la récupération des pensions et salaires perdus du temps de la Troïka (la droite expliquait que cette récupération conduirait à la catastrophe) ainsi que des améliorations significatives de la vie des gens. Bien sûr le PS n’a pas changé de nature. Ce qui a permis ces changements, c’est le rapport de forces politique né des élections d’octobre 2015.

Depuis l’investiture du gouvernement PS, et au-delà des discussions du budget, le Bloco a été présent dans toutes les luttes, solidaire avec toutes les grèves et a fait le travail difficile de lier les luttes à des propositions concrètes au Parlement. Parfois pour gagner, dans d’autres cas pour élever le niveau de la confrontation politique. Entre beaucoup d’autres, les deux exemples évoqués au début de ce texte (travailleurs des carrières et intégration des précaires de l’État) ne faisaient pas partie des accords écrits de 2015. Mais le Bloco ne s’est pas limité aux accords, chaque jour on a essayé d’aller aussi loin que possible dans la défense des droits du travail, sociaux ou civiques.

Dans un texte récent (août 2018), Francisco Louçã (ancien député et coordinateur national du Bloco) a proposé une réflexion et une élaboration à propos de l’expérience du Bloco visant à lier la lutte sociale et la représentation politique parlementaire, ses succès, les dangers et les défis qui se posent. Je cite seulement un de ses 11 points : « Un parti populaire doit disputer la représentation électorale. Il n’a pas de succès s’il ne parvient pas à créer un rapport de forces politique et s’il ne l’exprime pas par des confrontations qui débouchent sur des résultats. Une stratégie alternative de lutte sociale sans représentation ne serait guère plus qu’une justification de l’isolement. Un parti de gauche socialiste lutte pour la majorité et ne se laisse gagner ni par le complexe minoritaire ni par la vision anarchiste ou autonomiste d’un monde social présumé extérieur à la confrontation électorale, au sein duquel il faudrait s’exiler » (5)

Au cœur de la stratégie, toujours et plus que jamais, la position face à l’UE

Dans des articles précédents, nous avons expliqué en détail l’évolution des positions du Bloco face à l’UE (6). En juillet 2015, la direction nationale du Bloco a adopté une résolution qui analyse l’ultimatum imposé à la Grèce et les conséquences politiques qu’il faut en tirer. L’expérience grecque et la faillite de Syriza ont mis à jour les limites d’un programme politique qui refusait de se confronter avec l’ordre de l’UE, ses institutions non élues, qui oscillent entre le niveau inter-gouvernemental et le supranational. Le Parlement européen, la seule instance qui soit élue directement, a néanmoins moins de pouvoir de décision que la plupart des parlements nationaux. La gauche radicale, si elle arrive au pouvoir, doit être préparée pour rompre avec les institutions européennes.

Au dernier Congrès du Bloco (novembre 2018) la résolution majoritaire (83,7 % des délégués) expliquait : « En face de la désintégration européenne, les tâches de la gauche sont de construire une alternative populaire aux politiques du Centre capable de faire face à la droite et à l’extrême droite. Cette voie exige la rupture totale avec les traités européens.

(…) Avec la capitulation de ses défenseurs institutionnels, les propositions d’une réforme progressiste de l’UE ont disparu. Une politique alternative à l’austérité et au néolibéralisme ne sera possible qu’en rupture avec les traités, ce qui signifie une confrontation avec le directoire européen. Le bilan du chantage européen contre la Grèce est clair : si on n’a pas une alternative souveraine en dehors de l’euro, un gouvernement de gauche, même avec un soutien majoritaire, perd son espace de négociation.

Les traités européens criminalisent l’investissement public, le renforcement de l’État social et le contrôle public des secteurs stratégiques. La pression pour le dérèglement du travail et pour la privatisation des systèmes de pensions est au centre de l’attaque aux peuples européens. Seule la récupération démocratique de sphères fondamentales de souveraineté démocratique permettra de répondre à la crise sociale et économique, reconstruire la légitimité des États et un programme de solidarité entre les peuples. »

De nouvelles alliances européennes ?

Depuis sa fondation en 1999, le Bloco a toujours entretenu des relations avec des organisations de gauche très diverses. Quand le premier député européen, Miguel Portas, a été élu en 2004, le Bloco a naturellement intégré le Groupe de la gauche unitaire au Parlement européen (GUE/NGL). Le GUE/NGL est un groupe de partis très hétérogène, qui inclut beaucoup de partis fort différents, allant du Parti de Gauche de la Suède à l’AKEL de Chypre, le PCP, Sinn Fein, Die Linke, Podemos, PCF, Front de Gauche, Bloco de Esquerda, l’Alliance Rouge-Verte du Danemark, Bildu (Pays Basque), Izquierda Unida, PCF, Syriza. Entre 1999-2004, la coalition LCR/LO a aussi intégré le groupe. En ce moment il compte 52 députés (contre 35 entre 2009-2014). Mais, à la différence des autres groupes parlementaires (PPE, Socialistes, ALDE, les Verts), la GUE n’est pas un parti européen. Beaucoup de ses délégations sont membres du PGE (Parti de la Gauche Européenne), et d’autres pas. Par contre, le PGE a aussi plusieurs membres permanents qui ne sont pas à la GUE du fait qu’ils n’ont pas d’élus au Parlement européen, par exemple Demain (Belgique) ou déi Lénk (la Gauche) du Luxembourg.

Le Bloco est membre permanent du PGE depuis 2004. De 2010 à 2016, Marisa Matias (eurodéputée) a été l’une de ses vice-présidentes. Aux élections européennes de 2014, le PGE a présenté Alexis Tsipras comme candidat à la présidence de la Commission européenne. Le Bloco a soutenu cette candidature, non pas du fait d’illusions par rapport aux institutions européennes mais parce que Tsipras représentait à l’époque la résistance des peuples d’Europe du Sud face à l’austérité imposée par l’UE.

Depuis 2015, le PGE en tant que tel n’a pas changé de cap. Non seulement il est « interdit » de critiquer Syriza, mais surtout on n’a pas tiré des leçons politiques de la catastrophe grecque. Les illusions face à l’UE continuent, comme s’il était possible de changer les institutions et de les démocratiser. Le Bloco refuse cette voie.

En ce sens et dans ce contexte, un slogan comme « Une autre Europe est possible » peut conduire à des ambiguïtés, pour ne pas dire plus.

Le Parti de Gauche français a quitté le PGE il y a un an (à peu près), tandis que le Bloc de Gauche et l’Alliance Rouge-Vert du Danemark et l’Alliance de Gauche finlandaise sont restés. Podemos et le Parti de Gauche de la Suède n’ont jamais été membres du PGE.`

Il est donc normal que de nouvelles convergences aient vu le jour. En 2015, un manifeste est lancé pour un plan B. Il y a eu les réunions du plan B en 2016 et 2017 (Madrid, Copenhague, Rome et Lisbonne), avec des niveaux de participation différents, mais toujours avec l’enjeu de trouver des convergences entre partis politiques et mouvements sociaux en ce qui concerne une alternative pour l’UE. (7)

Un pas en avant a été franchi le 12 avril 2018 à Lisbonne, avec la signature d’une déclaration commune par Catarina Martins, Pablo Iglesias et Jean-Luc Mélenchon pour une révolution citoyenne en Europe (8)

Plus tard, en juin, une nouvelle déclaration était signée, cette fois-ci avec la participation de l’Alliance Rouge-Verte du Danemark, du Parti de Gauche Suédois et de l’Alliance de gauche finlandaise. Trois partis de la gauche radicale de l’Europe du Sud et trois de l’Europe du Nord. (7)

Il ne s’agit pas du tout de créer un nouveau parti européen, mais d’établir une coopération entre partis qui défendent la rupture avec les traités, la récupération de souveraineté et la solidarité entre les peuples européens.

Entretemps, d’autres textes ont été publiés, dont celui-ci sur l’Europe pour les peuples (droits sociaux, droits démocratiques, accueil des réfugiés), signé par Catarina Martins, Jean-Luc Mélenchon, Pablo Iglesias e Søren Søndergaard. (9)


Et à l’occasion de la COP24 en Pologne,
Younous Omarjee, Marisa Matias, Xabier Benito, Søren Søndergaard et Jens Holm ont publié une déclaration au sujet du besoin d’une politique climatique audacieuse et des limitations imposées par les traités. (10)

D’autres déclarations et des initiatives communes sont prévues avant et pendant la campagne électorale. La tête de liste du Bloco sera Marisa Matias, eurodéputée depuis 2009 et candidate à la présidentielle en 2016.

En 2019 le Bloco se présentera avec un programme de gouvernement à gauche

« Si le PS avait eu la majorité absolue en 2015, il n’y aurait pas eu de récupération de salaires ou de retraites », a déclaré Catarina Martins dans son allocution d’ouverture du Congrès du Bloco en novembre 2018.

C’est tout à fait exact. Seule la pression d’une gauche à la gauche du PS, avec les accords écrits mais aussi en relevant, au-delà des accords, les défis permanents et quotidiens, a garanti les acquis.

Le scénario politique sorti des élections de 2015 ne va sans doute pas se répéter. La droite parlementaire classique est affaiblie, l’ancienne coalition de droite s’est divisée, il n’est pas possible qu’elle gagne les élections. Pourtant, il y a beaucoup de facteurs imprévisibles, comme l’abstention, mais aussi la possibilité du surgissement d’une droite plus dure, que certains intellectuels, journalistes et de sites de fake-news ne cessent de promouvoir. D’un autre côté, existent des divisions au sein du PS : certains veulent poursuivre et privilégier les alliances avec la gauche du PS. Mais la position dominante, explicitée au Congrès du PS en mai dernier, va dans le sens de considérer l’expérience des trois dernières années comme une sorte de parenthèse dans son histoire (ce qui ne nous a pas du tout étonnés, il faut le dire).

La stratégie du PS consiste tout d’abord à viser une majorité absolue, ce qui semble improbable. Le second choix serait de passer des alliances avec le PSD (parti de droite, qui a changé de président cette année) et de recréer une majorité parlementaire au « centre ».

Pour le Bloco, il s’agit, comme toujours, de se présenter seul, avec un programme ambitieux de gouvernement, mais aussi de défendre l’idée que si le PS obtient la majorité absolue, on risque de stagner ou même de subir des revers.

Comme l’explique la résolution du récent congrès du Bloco : « Ce sera un programme de changement économique et social, dans une perspective socialiste, écologiste, féministe et antiraciste. Au centre de ce programme seront les droits du travail et de l’embauche collective, pour combattre la précarité et défendre le plein emploi. (…) Le Bloco propose la restructuration de la dette publique et la nationalisation des secteurs stratégiques, une révolution fiscale qui puisse assurer le financement de l’État social et permettre des réponses universelles pour le Service national de santé, l’école publique, la justice, la culture, la science et le droit au logement. (…) En 2019 le Bloco veut devenir une force de gouvernement, mais dans un autre rapport de forces ».

C’est sans doute un programme ambitieux, mais le seul qui vaut la peine.

Encore quelques défis avant la fin de la législature

D’ici-là beaucoup de défis vont se présenter. La première semaine de janvier, seront discutés au Parlement les projets du PS, du PCP et du Bloco sur le droit au logement. La spéculation immobilière et la gentrification, surtout dans les grandes villes (Lisbonne et Porto), ont créé une situation limite : les plus pauvres sont expulsés et il est impossible de trouver des loyers à des prix raisonnables. En outre, pendant les années de la Troïka, beaucoup de gens qui avaient des hypothèques à la banque et qui ont cessé de les payer ont été obligés de donner leur appartement à la banque sans pour autant liquider la dette. Le Bloco propose, par exemple, que dans des situations limites comme celle-là, la saisie de l’appartement suffise pour liquider l’hypothèque. Encore, et surtout, des programmes d’investissement public dans le logement.

Une autre question centrale et décisive est l’avenir du Service national de santé (SNS) qui depuis trop d’années déjà est au centre de l’offensive des financiers contre les services sociaux. Il implique des décisions cruciales en matière de budget. En ce moment, 40 % du budget de la santé va au secteur privé. L’État a noué des partenariats public-privé (cela depuis le temps du gouvernement PS avec Sócrates comme premier-ministre) qui font que le secteur public paye pour transférer au privé les services (consultations, examens, chirurgie) qu’il n’est pas capable de réaliser à temps. Cela montre comment l’idéologie néolibérale a gagné et détruit (partiellement) un des meilleurs services de santé d’Europe. Vers la fin 2017, António Arnaut (ex-président honoraire du PS et fondateur du Service national de santé moderne issu de la révolution d’avril 1974 – il était ministre de la Santé à la fin des années 1970) et João Semedo (ex-député du Bloc, qui a été son coordinateur, et un porte-parole bien connu du Parti pour les questions de santé), tous les deux médecins, ont travaillé ensemble et publié un projet de loi sous la forme d’un livre (Sauver le SNS) qui a eu un impact énorme. Arnaut a quitté le PS il y a quelque temps, mais lors du dernier congrès des socialistes (en mai 2018), déjà très malade, il a envoyé un message public au Premier ministre António Costa l’invitant à ne pas oublier le SNS. (11) Le Bloco a présenté au Parlement cette proposition de loi de base en mai 2018, mais le PS a demandé à reporter le vote. Le gouvernement vient de sortir sa proposition. Il très difficile que notre proposition soit adoptée par le Parlement, mais nous ne lâchons pas, nous ne sommes pas vaincus, nous cherchons les convergences les plus larges pour gagner une majorité sociale et politique.

Comme l’a dit en novembre dernier Catarina Martins lors du vote du budget : « La campagne électorale n’a pas encore commencé et la législature n’est pas finie. Le Bloco ne renoncera pas à faire de chaque jour qui reste une opportunité pour lutter pour les droits de ceux et celles qui en ont moins ». Un dernier exemple : en décembre, sur proposition du Bloco, le Parlement a adopté une loi qui concède des visas temporaires de séjour à tous le migrants qui travaillent et qui payent des contributions pour la Sécurité Sociale depuis un an.

Alda Sousaco-fondatrice du Bloc de Gauche et députée européenne de 2012 à 2014. Publié dans le numéro 40 de la revue Contretemps.

  1. https://www.contretemps.eu/une-nouvelle-situation-politique-au-portugal-entretien-avec-francisco-louca/ (2015).

  2. « Portugal : un nouveau cycle politique », Alda Sousa, ContreTemps nº 29 (2016).

  3. Portugal : la démarche du Bloco. Alda Sousa et Adriano Campos, ContreTemps nº 36 (2018).

  4. Enseignements de l’expérience du Bloc de gauche, un « non-modèle ». Maria Manuel Rola, Adriano Campos et Jorge Costa (http://www.inprecor.fr/article-Portugal-Enseignements.
  5. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article45921.

  6. https://www.ensemble-fdg.org/content/bloc-de-gauche-portugal-la-democratie-contre-le-capitalisme-financier (2015).

  7. https://euro-planb.pt/appel-plan-b-lisbonne/ (https://euro-planb.pt/ on peut aussi voir liste des signataires).

  8. https://lafranceinsoumise.fr/2018/06/27/le-mouvement-europeen-maintenant-le-peuple-selargit.

  9. https://m.huffingtonpost.fr/jean-luc-melenchon/face-a-macron-et-salvini-une-europe-pour-le-peuple_a_23570630/.

  10. https://reporterre.net/Les-traites-europeens-empechent-une-politique-climatique-ambitieuse.

  11. Malheureusement, António Arnaut et João Semedo sont tous les deux décédés en 2018.