Macron espérait se relancer avec sa tournée du centenaire de 14-18. C’était assez bien vu, mais c’est raté. D’abord parce que la crise sociale s’est invitée, avec les revendications sur le pouvoir d’achat et le prix de l’essence, avec la mobilisation des ouvriers de Renault, criant à Macron : « Vous n’êtes pas le bienvenu ». Mais aussi parce que le président jupitérien s’est pris les pieds dans le tapis à propos de Pétain, à qui un hommage devait être rendu en même temps qu’aux autres maréchaux français. Hommage qu’a justifié Macron, avant de reculer piteusement.
Or, c’est évidemment une question éminemment politique, dans la mesure où ce que l’on dit du passé éclaire la vision du présent et les projets que l’on a pour l’avenir. Jusqu’à Chirac et à son discours de juillet 1995 admettant la responsabilité de Vichy dans la déportation des Juifs, tous les présidents de la Vème République ont rendu, à des moments mémoriels, des hommages au « vainqueur de Verdun ». Le recordman en la matière est Mitterrand, qui a fait fleurir la tombe du maréchal pendant 10 ans !
Cette fois, Macron justifie l’hommage prévu en parlant à propos de Pétain d’ « un grand soldat » qui a fait « des choix funestes en 1940 ». Il y aurait beaucoup à dire sur la glorification de ceux qui menèrent à la boucherie des millions d’êtres humains en 1914-18, inaugurant ainsi un siècle barbare. Mais, en regard des hauts faits d’armes ainsi prêtés à Pétain, Macron parle de « choix funestes », ajoutant même que « la vie politique » et « l’humaine nature » sont « parfois plus complexes que ce qu’on voudrait croire ». Tout cela est bien vague, voire tend à excuser le personnage, un grand homme qui aurait dérivé, mais la vie est compliquée en quelque sorte ! Voyons donc ce que furent ces « choix funestes ».
Philippe Pétain, pour nous, ce n’est pas essentiellement un traître, ce qui justifia sa condamnation en 1945. Ce fut avant tout le chef d’un Etat basé sur les idées de l’extrême droite. Cette extrême droite qui nous dit aujourd’hui ne jamais avoir été essayée. Si, elle l’a été, entre 1940 et 1944. Et cela a donné le statut des Juifs (que Pétain a personnellement aggravé) les excluant de la vie du pays, les jardins interdits « aux chiens et aux Juifs » et surtout les déportations exécutées grâce à la police française, comme la rafle du Vel d’Hiv en 1942. Des Juifs déportés de France à Auschwitz, seuls 3 % revinrent. Et si beaucoup échappèrent à la déportation, ce fut essentiellement grâce à l’aide d’une partie de la population française (les « Justes »), mais nullement grâce au gouvernement de Vichy, contrairement à ce qu’essaye de faire croire encore aujourd’hui le sinistre Zemmour.
Les errances de Macron nous rappellent combien il est important d’être clairs sur cette période. Au-delà de l’histoire, au-delà de la mémoire, il s’agit bien d’un combat politique essentiel dans la France d’aujourd’hui, dans le monde d’aujourd’hui. A l’heure où l’extrême droite progresse, arrivant même parfois au pouvoir, comme en Italie ou au Brésil, à l’heure où l’on apprend que les actes antisémites ont augmenté de 69 % de janvier à septembre 2018 par rapport à la même période de 2017, le rappel de ce que fit cette extrême droite pendant la Seconde Guerre mondiale demeure une arme pour les progressistes.
Il convient donc certes de rappeler que Pétain fit fusiller des soldats mutinés contre l’absurdité de la guerre en 1917. Qu’il trahit en collaborant avec l’Allemagne nazie, utilisant l’’image patriotique que lui avait donnée la Guerre 14-18. Jean-Luc Mélenchon l’a fait dans son discours de Pau. Mais, nous avons avant tout à dire ce que fut l’extrême droite au pouvoir sous la direction de Pétain entre 1940 et 1944. Quel rôle elle a joué dans l’extermination des Juifs. Pour réaffirmer ce que nous refusons, à l’heure où les héritiers de Vichy désignent d’autres boucs émissaires.
Robert Hirsch