Écologiste et penseur de la décroissance, Paul Ariès entre en guerre contre les théoriciens du véganisme. Son dernier livre est la première publication du réseau fraîchement créé No Vegan, qui s’attaque à « l’élevage bashing ». Entretien.
Le réseau No Vegan a été lancé cette semaine. Avec quelle vocation ?
Celle d’en finir avec l’opposition simpliste, opérée par certains, entre protéines végétales et protéines animales. Plus synthétiquement, nous voulons prendre à contre-pied « l’élevage-bashing », qui fait aujourd’hui beaucoup de bruit. Nous voulons rendre publiques des initiatives telles que celles lancées par le réseau Abattoir à la ferme, qui agit pour un élevage respectueux des animaux, ou encore le mouvement Slow Food, organisé autour de la défense de l’élevage fermier.
Dans votre « Lettre ouverte aux mangeurs de viande qui souhaitent le rester sans culpabiliser », vous êtes particulièrement virulent à l’égard des vegan. Ils sont, dites-vous, les idiots utiles du capitalisme…
Les vegan sont les chevaux de Troie de l’industrialisation et de la dépolitisation des enjeux agricoles et alimentaires. Voilà plusieurs années que de grands PDG, tels ceux de General Electric, Google, Virgin ou encore Bill Gates, affirment qu’il faut en finir avec la viande d’élevage. Leur objectif est d’imposer sur le marché les fausses viandes, qu’elles soient végétales ou cellulaires. Ces dernières relèvent de la prouesse biotechnologique. Jeremy Coller, imposant financier européen, est parvenu à réunir en consortium de grandes sociétés, principalement nord-américaines, pesant à elles toutes 2,6 billions (milliers de milliards) de dollars, pour les généraliser. La fausse bonne nouvelle d’une étude présentée à Davos, il y a une dizaine de jours, préconisant que l’Occident réduise de 90 % sa consommation de viande ajoute une touche à ce tableau.
Vous-même, pourtant écologiste, défendez la nécessité de consommer moins de viande…
Oui, mais je n’oppose pas protéines végétales et protéines animales. Or, c’est cela, le piège tendu. On est en train de nous faire croire que notre régime alimentaire d’omnivores a intrinsèquement une responsabilité dans la crise climatique ou celle de la faim. Or c’est faux. C’est le développement de l’élevage industriel et intensif qui conduit aux travers environnementaux et sanitaires que l’on sait. Et c’est précisément cette responsabilité que le capitalisme refuse de nommer. Ce n’est pas par hasard si Laurence Parisot, ex-patronne du Medef, est en bonne position pour prendre la direction de la Fondation Brigitte Bardot, elle qui trouve scandaleux qu’on ait encore 1,3 milliard de petits paysans qui osent utiliser la traction animale.
Qui sont les vegan dont vous parlez dans votre livre ?
Les théoriciens d’une pensée qui reste à la fois très développée et très glissante. Le mouvement vegan est la figure de proue du courant antispéciste, derrière lequel on trouve un philosophe clé, Peter Singer, auteur de la Libération animale, qui prône l’égalité entre tous les êtres vivants. Cela peut paraître une belle idée, mais il nous dit très vite qu’un jeune chien est plus digne d’intérêt qu’un nourrisson, qu’un grand handicapé ou qu’un vieillard sénile. Il réintroduit de la division, et elle n’est pas spécifiquement favorable à nos frères humains. Quand Aymeric Caron (1) dit que 95 % des humains sont des salauds et qu’il assume cette position de haine, il faut prendre cela au sérieux. Le véganisme exprime une façon binaire du monde – les méchants omnivores et les gentils vegan. Si je suis anti-vegan, ce n’est pas pour défendre mon droit au beefsteak, mais pour défendre l’unité du genre humain.
On ne peut pas amalgamer ces théoriciens et tous ceux qui font le choix, aujourd’hui, de ne plus manger de viande pour des raisons personnelles ou éthiques…
Bien sûr que non. Et c’est aussi à eux que s’adresse mon bouquin. Je leur dis : vous vous faites avoir, le véganisme n’est pas ce que vous croyez. Notre contre-attaque peut paraître agressive et être mal comprise. Mais c’est une provocation à penser, qu’il nous semble urgent de lancer.
Entretien réalisé par Marie-Noëlle Bertrand. Publié dans le site de l’Humanité.