Alors que le parlement européen a décidé de mettre en œuvre les dispositions de l’article 7 du Traité de l’Union Européenne, ouvrant la voie à des sanctions contre la Hongrie, le Parti Populaire Européen a décidé de ne pas prononcer de sanctions contre Viktor Orbàn, chef du gouvernement hongrois. Pourtant les députés du PPE ont voté la résolution le 12 septembre dernier. Comment expliquer cette contradiction de fait au sein du premier parti politique européen ? Explications
Une procédure vouée à l’échec
La mise en application de sanctions contre la Hongrie par le biais de l’article 7 du Traité de Maastricht, à savoir le fait de suspendre certains droits de ce pays, dont le droit de vote au sein des institutions de l’UE, n’a aucune chance d’aboutir. La procédure longue et fastidieuse demande, après l’adoption d’une résolution parlementaire un vote du conseil de l’union européenne, à la majorité des quatre cinquièmes, qui adressera des recommandations à la Hongrie. En cas de non respect de ces recommandations le conseil pourra alors voter pour la mise en place de sanction, dont la suspension du droit de vote au sein des institutions européennes. Ce vote doit être adopté à l’unanimité. Autant dire qu’il n’y aura jamais de sanctions prononcées contre la Hongrie, en dépit de l’alerte sonnée par le parlement européen concernant « une grave détérioration de l’État de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux ces dernières années ». De nombreuses inquiétudes existent concernant la liberté d’expression, l’indépendance de la justice et les droits fondamentaux des migrants. Ni Salvini, ni les chefs de gouvernement nationalistes au pouvoir dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale ne donneront un blanc seing à des sanctions prononcées contre celui qui est un modèle pour beaucoup d’entre eux depuis son accès au pouvoir en 2010.
La perspective de sanctions institutionnelles étant donc écartée, il revenait au PPE de prononcer des sanctions disciplinaires contre un de ses éminents représentants. Le président de la commission européenne en personne, Jean-Claude Juncker estimait il y a une semaine qu’Orbàn n’avait « plus sa place au sein de l’union européenne ». Pourtant les dirigeants du PPE n’ont pas prononcé la moindre sanction à son endroit, laissant entrevoir les profondes contradictions qui traversent le premier parti européen.
L’alliance des austéritaires et des autoritaires
Le PPE, fondé en 1976, se définit comme un parti de «centre droit », regroupant toutes les organisations ayant une ligne résolument libérale et conservatrice au sein de l’Union. C’est à ce titre que sont membre les républicains de Wauquiez, le CDU de Merkel, Le PP de Rajoy mais aussi le Fidesz d’Orbàn sans que cela ne pose de problème jusqu’alors. Ce parti avait aux origines de l’UE un programme proposant une construction résolument fédérale, qui a cependant été remisée au placard il y a quelques années, dans la continuité du repli identitaire déjà à l’œuvre dans les droites européennes. Ce que le PPE n’a jamais renié, c’est la promotion et la mise en œuvre du néolibéralisme à tous les échelons et dans toutes les zones de l’Union européenne. L’ouverture des marchés à marche forcée, la dérégulation générale, la libre circulation des biens et des capitaux, sont autant de mesures à mettre au crédit du PPE, qui occupe la présidence de la commission européenne depuis 2004. L’autre repère idéologique de ce parti européen est la promotion d’un atlantisme forcené, notamment par une incitation active à l’adhésion à l’OTAN, à l’entretien d’une stratégie de la tension vis-à-vis de la Russie et un alignement global sur la politique étrangère étasunienne. Au-delà de ce socle commun revendiqué, il est aisé de constater que les différentes composantes du PPE agitent le même discours de repli nationaliste d’un bout à l’autre de l’Europe, a fortiori depuis l’augmentation des flux migratoires depuis 2015. Alors que les chiffres des primo-arrivants en Europe sont en baisse cette année, cette rhétorique se maintient pourtant dans le discours des membres du PPE. A aucun moment, alors que l’autoritarisme d’Orbàn se renforce depuis des années, il n’y a eu de malaise au sein du PPE concernant l’appartenance de formations politiques ouvertement xénophobes et réactionnaires à l’organisation, où la Hongrie ne fait pas figure d’exception. A titre d’exemple, Sebastian Kurz gouverne l’Autriche au sein d’une coalition comprenant le FPO, mouvement d’extrême droite, sans que cela ne pose de problème, ni à Juncker, ni à Merkel. Tant que les membres respectent la « règles d’or » budgétaire et appliquent sans mot dire les cures d’austérité et de destruction des services publics, ils ont la garantie que jamais le PPE ne se désolidarisera de leur action. Ce constat n’est pas simplement celui d’un ajustement du PPE aux thématiques en vogue dans la droite européenne, il est celui d’un poids sans cesse croissant de partis nationaux ayant conquis le pouvoir sur la base d’une critique radicale du « multiculturalisme occidental », en y opposant un retour aux valeurs nationales et réactionnaires.
Le groupe de Visgràd, l’antichambre de la Réaction européenne
La tête de pont de cette révolution conservatrice, qui contamine l’europe entière, trouve ses racines dans la création du groupe de Visgràd, et se nourrit de l’ambiguité historique des relations entre la droite dite traditionnelle et l’extrême droite. Fondé en 1991 par la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie, ce groupement d’intérêt au statut d’organisation internationale avait pour objectif d’accélérer une double admission au sein à la fois de l’Union Européenne et de l’Otan. Ce groupe, autrement appelé V4 depuis la dissolution de la Tchécoslovaquie, est resté peu connu du grand public jusqu’en 2015 et l’arrivée dans l’actualité de la question migratoire. C’est pourtant un cadre d’élaboration politique néoconservateur depuis de nombreuses années. Fervents adeptes du libéralisme économique, les états membres de ce groupe promeuvent néanmoins une idéologie hostile aux droits des minorités, militent résolument contre toute idée d’Europe sociale, le tout couplé à une pratique autoritaire du pouvoir, aux limites de la démocratie. C’est ainsi, à titre d’exemple, que le peu de droit à l’avortement existant en Pologne s’est vu remettre en cause par le pouvoir, que la Hongrie a pu s’attaquer aux fondements de la séparation des pouvoirs. Il est donc profondément inquiétant de constater l’influence croissante de jour en jour du V4 sur l’intelligentsia du PPE et l’ensemble des partis membres.
Au-delà de la question d’Orbàn, c’est donc toute la conversion de la droite européenne aux théories réactionnaires qu’il faut dénoncer sans relâche, et combattre partout où c’est possible. Notre campagne européenne « maintenant le peuple » est, dans la période, le seul levier démocratique à actionner pour s’opposer concrètement à la droite la plus extrême, notamment en rappelant que la souveraineté nationale n’a de sens que si elle est populaire et solidaire.