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Nous avons marché pour la forêt, notre bien commun…

A l’appel de l’intersyndicale de l’Office National des Forêts (ONF) et d’ONG de protection de la nature et des écosystèmes, une initiative inédite s’est déroulée pendant 40 jours, avant de se rassembler le 25 octobre à St Bonnet Tronçais (forêt de Tronçais entre l’Allier et le Cher) où 1 5000 forestier-es et soutiens citoyens se sont réunis.

Quatre marches parties de Strasbourg, Valence, Mulhouse et Perpignan ont vu des forestier-es et des citoyen-es se relayer pour converger le 24 octobre à Cérilly. Il y avait près de 300 personnes à l’arrivée avant le grand rassemblement du 25 octobre à Tronçais. Tout au long du parcours, des rencontres dans les villes et la diffusion du film « Le temps des forêts » étaient organisées. Toutes les personnes n’ont pas été comptabilisées à cette occasion, mais, par exemple, à Pontarlier (18 000 habitants), la projection du film a mobilisé 100 personnes. Il faut également souligné une organisation remarquable et un accueil très attentif des soutiens citoyens venus marcher.

Beaucoup d’émotion, de chaleur humaine et de convivialité ont marqué cet événement. L’intersyndicale a voulu de cette manière à la fois tirer une sonnette d’alarme et amener à populariser les enjeux autour des forêts.

Un enjeu écologique et climatique

A l’heure où la mobilisation contre le réchauffement climatique impose de protéger tous les écosystèmes, dont les forêts qui ont une grande capacité de captation et de stockage du carbone, mais participent aussi au stockage de l’eau et à la réserve de biodiversité, le gouvernement Macron accentue la privatisation et la casse de ce service public emblématique, le plus ancien de France, composé d’agents assermentés avec mission de police de l’environnement.

C’est d’ailleurs par cet argument que débute le « Manifeste de Tronçais » adopté le 25 octobre dernier 1 : « La planète Terre n’a pas besoin d’émissions de CO2 supplémentaires. Elle a besoin de résilience et de forêts qui la refroidissent. C’est en ces termes que le 25 septembre 2017, 190 scientifiques de la communauté internationale ont interpellé les responsables de l’Union Européenne, posant ainsi en termes clairs l’enjeu vital pour la biosphère d’une gestion forestière réellement durable. La forêt n’est pas un objet de spéculation financière de court terme. C’est le rempart de nos enfants face à une crise écologique et climatique qui s’emballe. »

Un enjeu de service public

Actuellement, la forêt publique française représente 25 % des surfaces forestières de France métropolitaine. Au delà des aspects strictement écologiques mais vitaux évoqués plus haut et dont seul le service public peut être le garant, « l’exploitation » de la forêt, c’est-à-dire son utilisation économique pour le produit bois, connaît un tournant industriel et commercial au détriment de la durabilité et de l’intérêt à long terme de cette forêt publique.

Depuis les années 2000, un tournant de rigueur et de casse du service public a été entamé et un quart des effectifs a été supprimé entre 2002 et 2016 (l’ONF comptait 15 000 agents il y a 30 ans, ils sont désormais 9 000).

Le contrat d’objectifs et de performance 2016-2020 entre l’Etat et l’ONF a clairement signifié un tournant puisque il a été rejeté par toutes les organisations syndicales et environnementales. Au printemps 2018, une mobilisation de 1000 agents à Paris avait dénoncé la privatisation rampante voulue par la direction qui ne remplacera pas les départs de fonctionnaires.

Mais ce document prévoit aussi et surtout l’augmentation des prélèvements de bois en forêt dans une sorte de course en avant puisque la balance entre les coûts et les recettes ne s’équilibre plus depuis bien longtemps (5 milliards d’euros de déficit commercial). Il n’est pas possible d’indexer le budget de l’ONF sur les ventes de bois alors que d’autres missions de service public sont assurées et que l’ensemble de la filière bois est victime d’une désorganisation massive (concentration de grosses unités de sciage standardisées, exportations de bois bruts qui reviennent sous forme de meuble de basse qualité avec un fonctionnement d’économie du Tiers Monde …).

Sur le terrain, les agents sont poussés au non respect des plans de coupes prévues dans les aménagements forestiers, fruits d’une planification pluri séculaire.

Cette industrialisation de la forêt pour se plier aux appétits des marchands de bois qui se sont jetés sur la biomasse pour faire de nouvelles centrales subventionnées (voir l’exemple de Gardanne) va à l’encontre de toute l’éthique et du savoir professionnel des agents de l’ONF, mais aussi bien sûr à l’encontre de l’intérêt à long terme de toute la société vis à vis des enjeux que représentent les forêts.

La gestion durable, d’une sylviculture « douce » n’est pas compatible avec une privatisation et une industrialisation de la gestion des forêts.

Or, le régime forestier public sert en quelque sorte de référence pour toute la gestion de la forêt, y compris privée. Les différents tournants ont déjà bien mis à mal les relations de confiance entre l’ONF et les communes propriétaires de forêt qui confient la gestion à l’ONF, et c’est tout ce régime forestier public qui est menacé.

C’est désormais la direction de l’ONF et la COFOR (fédération nationale des communes forestières) qui décident de l’évolution du régime forestier, alors que cette modalité de gestion de la forêt publique devrait dépendre de la représentation nationale, et donc du Parlement. La forêt n’est plus traitée de manière républicaine, et ses agents doivent voir leurs missions d’intérêt général (protection et connaissance de la biodiversité, éducation à l’environnement, police de la nature …) reconnues et développées.

Plan social sans précédent

Les dernières annonces font état d’un plan de suppression de 1 726 postes sur les 6 prochaines années.

« Ce n’est pas un drame », voilà ce qu’écrit la direction pour « faire passer » les suppressions de poste et réorganisations territoriales au coup par coup. Quand on connaît l’attachement des agents forestiers au patrimoine territorial et naturel dont ils ont la charge et que la direction leur explique que l’on peut les supprimer sans aucun problème, c’est une véritable maltraitance qui leur est appliquée, eux qui sont de surcroit et de part leurs missions, déjà isolé-es sur le terrain. Par ailleurs, il faut savoir que le mode de recrutement désormais privilégié sera celui de contractuels et non plus le passage par un concours (selon une technique bien connue dans les autres services publics…).

L’augmentation du nombre de suicides dans les effectifs n’est certainement pas sans lien avec ces injonctions contradictoires permanentes et la pression exercée sur les agents forestiers.

Le nouveau ministre de l’agriculture Didier Guillaume n’a d’ailleurs écrit qu’une seule fois le mot « forêt » dans la lettre de cadrage envoyé aux agents, ce qui a provoqué colère et dépit.

Convergence des résistances pour la forêt

L’intersyndicale de l’ONF a compris que le mouvement de défense du bien commun qu’est leur service public devait s’élargir et converger au delà d’une défense de type corporatiste. Des associations comme SOS forêt ou le Réseau pour les Alternatives Forestières ont vu le jour. Ces dernières et d’autres mettent en avant la revendication d’un service public national de forêt, et public et privée, selon des modalités coopératives à trouver avec le secteur privé et dans le respect des droits de chaque partie.

Cette convergence, dans laquelle on a pu aussi noter la présence des militant-es engagé-es contre grands projets inutiles et imposés, permet de poser dans le même mouvement la préservation des écosystèmes et la défense des emplois du service public.

Le rassemblement du 25 octobre et le manifeste publié à cette occasion illustrent dans les faits, de manière pratique, cette convergence. Il est alors question d’inventer une nouvelle propriété collective pour se débarrasser de la propriété privée.

L’événement que constitue la Marche pour la forêt 2018, comme un pied de nez au gouvernement Macron « en marche arrière » continue, est le signe que les résistances s’inventent et se renforcent dans leur diversité. La marche pour la forêt a permis à chacune et chacun de se saisir de sens, de bien commun, de solidarité, d’échanges et de liens profondément humains.

En matière de lutte comme en écologie, la diversité des origines et des générations est un gage de résistance dans le temps. Les forestier-es sont bien placé-es pour le savoir. Soyons à leurs côtés et popularisons leur lutte.

Matthieu Barberis, Laurence Lyonnais.

1 https://marche-pour-la-foret.webnode.fr/_files/200002878-e0df4e1d7c/Manifeste%20de%20Tron%C3%A7ais.pdf