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Marseille : l’espoir et la voie de la réussite

Enfin ! Il eût été politiquement et moralement insupportable que la Droite s’en sorte à Marseille après 25 ans d’un règne calamiteux. L’espoir s’ouvre avec l’élection de Michèle Rubirola. Mais les défis sont immenses, et il lui reste à affermir l’ancrage populaire.

La fin de règne de la Mairie Gaudin s’est apparentée à un chemin de croix. D’abord pour celles et ceux qui l’ont payée de leur vie avec l’écroulement des immeubles de la rue d’Aubagne. Mais aussi pour la Droite, confrontée à son bilan désastreux, et à une levée en masse inédite. Et, par voie de conséquence à une division profonde qui s’est maintenue jusqu’au deuxième tour. Paniquée, la Droite s’est vautrée dans les fraudes indécentes, et a mené une campagne grotesque, prédisant « un coup d’Etat castriste ». Et a perdu le peu d’honneur que ceux qui ne la connaissait pas lui prêtaient encore avec la recherche honteuse et ratée du soutien du RN. En fait de coup d’Etat elle s’apprêtait bien pourtant à un coup de force légal contre un vote incontestable en faveur du Printemps.

Son remplacement est de salubrité publique et la possibilité d’un nouveau chemin s’ouvre, avec le Printemps Marseillais allié à EELV et à Samia Ghali. Mais la Ville, meurtrie, divisée, civiquement affaiblie a impérativement besoin que cet avenir soit une réussite. Et ce ne sera pas simple.

Tout d’abord pour des raisons objectives qui s’imposent aux meilleures bonnes volontés. L’héritage est désastreux et la Ville est massivement endettée alors même que les besoins sont immenses (ne serait-ce que si on considère les questions brûlantes du logement et des écoles). De plus Michèle Rubirola a un ennemi puissant en la personne de Martine Vassal, toujours présidente du très riche Conseil Départemental. La Région aussi est à droite, et ces deux données sont fixes jusqu’aux élections de 2021. De plus les succès de la Droite dans le département lui promettent probablement la direction de la Métropole (laquelle détient une large part des choix de ce qui fait la vie des marseillais-e-s). Ensuite le haut encadrement de la Ville est notoirement incompétent (ayant essentiellement été recruté sur bases clientélistes), quand il n’est pas directement corrompu. Enfin parce qu’il faudra bien se confronter à la main mise du syndicat maison, FO, si l’on souhaite rendre dans de bonnes conditions les services publics à la population. Le dernier qui s’était essayé à en réduire l’influence, Vigouroux, n’avait pas poursuivi un mois sur ce choix à l’issue d’une élection pourtant triomphale. Il n’y a aucun doute que la nouvelle majorité ne soit au fait de toutes ces difficultés dans le détail. Il n’y aura donc pas de miracle immédiat et il est normal dans ces conditions qu’on ne lui fasse pas porter des responsabilités qui ne sont pas les siennes.

Mais il faudra alors beaucoup de détermination à la nouvelle équipe pour relever les défis. Et pour cela, elle aura besoin d’un appui massif dans la population. Or, c’est le plus délicat de l’affaire, elle est loin d’en disposer. D’abord parce les voix obtenues par le Printemps s’élèvent à 13.12% des inscrits (et 14.1% en rapatriant les voix du premier tour dans le 7ème secteur d’où la gauche était absente au second).  Faible, mais ni plus ni moins que d’autres gagnants ailleurs dans le pays. En revanche, si l’on s’en tient aux seuls votes exprimés, l’alliance PM et EELV obtient 38,28%. Ce n’est que par un classique effet d’optique qu’on la dit majoritaire, alors que (sans faire d’exégèse toujours contestable sur les abstentions) plus de 60% des exprimés lui ont refusé leur soutien. Une base fragile face aux immenses difficultés notées ci-dessus. Qui plus est le score de Rubirola n’est pas constitué n’importe comment. Il se fait massivement sans les secteurs les plus populaires. Dans le global, puisque les deux secteurs du Nord lui échappent. Et surtout dans le détail puisque l’abstention a été bien plus massive dans les bureaux rattachés aux quartiers populaires. Quelques exemples. Un des bureaux de l’école Clair Soleil, dans le 14ème, avance une participation de 13.5% au premier tour et 11.2% au second, quand la gauche était absente. Plus significatif encore, les bureaux proches de la Rue d’Aubagne manifestent une abstention record (autour de Noailles et Belsunce). Même la Cité Air Bel, où une lutte massive s’est déroulée pour protester contre l’épidémie de Légionellose, ne dépasse pas au second tour les 15.82% de votants, dans un secteur à fort enjeu (celui qui a concentré les fausses procurations). Ceci à quelques jours à peine des puissantes mobilisations antiracistes. Deux mondes séparés ? Qu’on ne s’y trompe pas, c’est un problème d’ampleur nationale, puisque cette désaffection est à peu près générale dans le pays pour ces zones populaires. Le premier secteur, celui remporté haut la main par Sophie Camard (suppléante de Mélenchon) a pourtant montré en partie ce qui était possible, par sa dynamique, comme par son engagement populaire. Avec la seule liste respectant la promesse de plus de 50% sans étiquette partisane, remportant un retentissant 75% dans le populaire premier arrondissement et parvenant quand même à s’adresser avec succès au plus favorisé 7ème arrondissement.

La poussée citoyenne qui a suivi les effondrements de la Rue d’Aubagne a donc aidé à la victoire du Printemps, mais n’a pas trouvé complètement de répondant à la hauteur. Fin Juin 2019, des Etats Généraux ont été pourtant réunis avec succès, mais sans la volonté (ni la possibilité ?) de prendre sur eux-mêmes la responsabilité de se porter candidats. Ce qui ouvre un débat dépassant le seul cas marseillais : souvent invoquée comme le Graal pour ressourcer la gauche, le passage du social à l’institutionnel a rarement rempli ses promesses. Et si c’est difficile pour des municipales, ce l’est plus encore pour d’autres échéances électorales. Mais sans cette force citoyenne (en partie regroupée dans un « Pacte Démocratique », lui-même sous estimant ses propres limites, aux méthodes assembléistes parfois contestables malgré la volonté de bien faire) tout devient plus compliqué devant les difficultés qui s’annoncent.

La gauche gagne au final 7 points par rapport à 2014, avec une droite explosée et LREM effondrée, mais perd 4000 voix. Qui plus est avec une faiblesse manifeste pour le Printemps dans le Nord de la Ville (autrement dit sa partie la plus populaire) puisque son nombre de voix cumulées dans les 15/16 et les 13/14 s’élève au premier tour à 5938, soit moins que dans le seul secteur du 6/8, traditionnellement à droite, avec 7127.

Dans le 7ème secteur, celui dont le RN Ravier était Maire après 2014 (et dont j’étais élu sortant) la gauche était divisée au premier tour. Pourtant tout semblait possible. Sept réunions se sont tenues entre le Printemps, Debout Marseille (écolos), et le Pacte Démocratique. Dépassant un à un tous les obstacles. Sauf un, celui de la tête de liste. Dont nul ne doutait plus qu’il allait être aisément surmonté, avec un peu de sens des responsabilités. Avant que brutalement le Printemps n’annonce unilatéralement le lancement de sa propre liste. Etre en seconde position, une évidence si l’union l’avait emporté, échappait donc à la gauche. Le Printemps n’avait pas mesuré combien la gauche PS traditionnelle était hors course dans les Quartiers Populaires (43% des inscrits du secteur). Mais quand même, au final, la somme des voix de gauche permettait d’être à la hauteur de Ravier. Sans garantie de victoire évidemment mais avec la possibilité de mener bataille au second tour et de la gagner, surtout avec un RN en aussi mauvaise forme. Le PM s’est pourtant retiré de la course, suivi par la liste Ghali. Abandonnant à leur sort les habitant-e-s. Qu’est-ce qui a bien pu conduire le Printemps à ce choix est un mystère qui s’éclaircira peut-être avec le temps.

Toujours est-il que la gauche, unie au second tour, a réussi à mettre Rubirola en tête à Marseille, mais sans ses quartiers nord et sans des bureaux les plus populaires. Il a fallu en passer par un accord (entièrement justifié au demeurant) et des tractations « à l’ancienne » avec Samia Ghali, héritière directe de pratiques largement rejetées, et qui, pendant des mois, s’était déclaré « Macron compatible ». Lui confirmant le label qu’elle s’est auto décernée de « représentante des quartiers nord » ce qui n’est pas de bonne augure pour l’avenir immédiat.

Dans des conditions objectivement difficiles la nouvelle majorité a donc des tâches immenses à accomplir pour que la promesse d’un été soit couronnée de succès. Travailler à résorber la cassure démocratique qui s’est manifestée par un taux ahurissant d’abstention, mais c’est une question pour toute la gauche dans le pays. Plus spécifiquement résorber ce qui ressemble malheureusement à une fracture avec tant un pan de la ville. Dans son premier discours de Maire, Rubirola a pointé avec justesse très exactement cette nécessité. La conscience de l’enjeu est là. La volonté aussi certainement. Et le soutien doit lui être acquis. Nous avons l’obligation morale, humaine, écologique, sociale, démocratique, de parvenir, enfin, à ce que le « vivre ensemble » à Marseille soit une réalité et pas seulement un souhait. Pour la première fois depuis 25 ans (et en fait bien plus !) Marseille en a la possibilité. Tout faire, toutes et tous, pour qu’elle y parvienne : il n’y aura pas de nouvelle chance.

Samuel Johsua. Publié sur Médiapart.