Notre vie ralentit par l’effet du confinement et s’accélère au gré des annonces et informations qui s’enchainent, générant leur lot quotidien de nouvelles inquiétudes. Nous sommes potentiellement pris de panique, à l’échelle individuelle et collective, et c’est le moment de tenir bon et d’agir avec le maximum de rationalité. La situation est chaotique, instable, fragile. Il n’est pas simple de prendre du recul mais je veux livrer ici quelques convictions sur ce que nous traversons.
D’abord, conformément à ce que je peux lire des autorités sanitaires, du monde médical et scientifique, des expériences comparées à l’échelle internationale, il apparaît clairement que rester chez soi et se montrer disciplinés dans l’application des gestes barrière est la seule solution pour ralentir la progression du coronavirus. Sans doute avons-nous tardé, les recommandations des pouvoirs se sont révélées parfois bien contradictoires d’un jour à l’autre mais aujourd’hui, c’est la conscience partagée du danger, la mobilisation populaire pour se prémunir collectivement, l’entraide au service du bien commun, de la santé, de la vie qui doit prendre le dessus.
L’heure n’est pas à la polémique avec le gouvernement, toute attitude perçue comme bassement politicienne serait indécente. Il n’en reste pas moins que la démocratie doit rester notre cadre de fonctionnement, elle est vitale. Aussi les cohérences de pensée, qui structurent le champ politique, ne peuvent être balayées d’un trait : elles sont même des points d’appui pour agir maintenant et pour demain. Je l’affirme sans détour : ce que nous vivons renforce mes partis pris idéologiques. Face à la crise sanitaire, ce sont les valeurs de partage et de solidarité qui, prenant le dessus, peuvent sauver le plus de vies. Nous faisons l’expérience concrète des dimensions dévastatrices de trente ans de politiques néolibérales. Tous ces lits d’hôpitaux qui ont fermé pour répondre à la Doxa de la rentabilité manquent cruellement. Tous les personnels soignants épuisés avant même que ne démarre la bataille face au Covid 19, nous placent dans une situation de tension plus grande. Toutes ces lois qui ont diminué les droits et protections – je pense en particulier à ceux des chômeurs, pour lesquels le gouvernement est contraint de suspendre les dispositions régressives qu’il avait fait voter – ne nous tire pas vers le haut mais vers le bas. Tous ces marchés à qui l’on a donné tant de pouvoir pour décider du cours des choses dévissent aujourd’hui en bourse et contribuent à aggraver la mise en danger de la vie économique. Toute cette Union européenne qui devrait agir urgemment et solidairement est humiliée en une image, une réalité : l’arrivée des Chinois pour porter secours aux Italiens. Et cette mesure de report de l’accès à l’AME – aide médicale d’État – pour les migrants trouve ici toute son absurdité : si les migrants ne peuvent se soigner face au coronavirus, le risque de transmission augmente… Nos sorts sont liés. C’est l’humanité qui est la valeur fondamentale pour sortir par le haut des crises que nous traversons.
Un monde s’écroule. C’est ce que je me dis ensuite, et j’y pense toute la journée. Ce monde, c’est celui du court-termisme, de la concurrence libre et non faussée, de l’austérité budgétaire, et du déni face au danger climatique qui en résulte. Fait symptomatique : après la crise du H1N1, la recherche sur le virus de type Covid 19 n’a pas eu les moyens nécessaires pour se développer. Or la science ne peut pas être rentable immédiatement, elle suppose du temps et de l’anticipation. Mais voilà, nos sociétés zappent, elles n’investissent plus dans la durée et sur le nécessaire. L’échelle des valeurs est dangereusement altérée. La santé des marchés financiers prime sur celle des êtres humains. La crise sanitaire que nous traversons met à nu des décennies de politiques de destruction des services publics et de marchandisation de la société. Même le Président de la République semble redécouvrir les vertus de « l’État providence » – et c’est tant mieux ! – alors même qu’avec LREM, il n’avait pas dérogé jusqu’ici à l’obsession de la règle d’or et de l’idée qu’il faut « libérer les énergies », c’est-à-dire déréguler plus encore l’économie.
Cette crise sanitaire ressemble malheureusement à une grande répétition générale si l’on considère les crises liées au réchauffement climatique qui nous attendent. Nous réalisons à quel point nos sorts sont liés à l’échelle planétaire et à quel point pour se sauver individuellement, il faut de l’entraide collective. À chaque échelle de territoire, c’est la souveraineté dans la satisfaction des besoins qui doit être assurée – nous le voyons de façon éclatante avec la production des médicaments que l’on ne peut laisser fabriquer à l’autre bout du monde au risque non seulement d’accroître les CO2 en raison du transport nécessaire mais aussi de manquer en approvisionnement.
Le chacun-pour-soi façonne nos modes de pensée et d’agir contemporains. Ces scènes dans les supermarchés où l’on se rue pour faire le plein indiquent l’état d’anxiété de la société mais aussi à quel point nous pensons d’abord à notre propre intérêt à court terme. Il me semble que la crise que nous traversons doit nous faire réfléchir sur l’interaction entre le « je » et le « nous ». L’individu, pour s’épanouir et être libre, a besoin du collectif – qui lui-même a besoin de pouvoir s’appuyer sur des individus les plus libres et épanouis possibles. Or le collectif a été mis à mal durement et nous réalisons sans doute aujourd’hui à quel point cela rejaillit sur les individus. Le lien social ne s’oppose pas à l’intérêt de l’individu, il est un élément fondamental pour que la personne puisse devenir accéder à la liberté et au bonheur.
La menace du coronavirus et le confinement sont une occasion, aussi dramatique soit-elle, de penser à la façon dont nous voulons faire société et à nos besoins véritables. Nous redécouvrons combien se soigner, se nourrir, se loger dignement, avec accès à la citoyenneté, la convivialité, à l’éducation, à la culture et au sport sont les éléments les plus précieux pour nos vies. La suractivité marchande est-elle indispensable ? La chute drastique de la pollution en Chine – l’épidémie aurait conduit à une réduction de 200 millions de tonnes de rejet de C02 dans la pays -, par l’effet du confinement, fait réfléchir. 1,1 millions de décès en Chine sont dus à la polllution. Pour l’instant, environ 7.000 morts sont à constater à l’échelle mondiale à cause du Covid 19. Il faut arrêter la pandémie du coronavirus. Il faut aussi penser au changement radical indispensable de notre modèle de développement qui privilégie aujourd’hui les intérêts du capital à court terme et dévitalise les biens communs.
J’ai bien conscience que le parti du repli et de l’autoritarisme se croit des ailes dans ce moment de grands troubles. Une réponse néofasciste peut convaincre des esprits gagnés par la peur et si préparés avec la banalisation de l’extrême droite. C’est pourquoi nous devons répondre présent plus que jamais pour argumenter sur le sens des réponses et sur la société à (re)construire. Il y aura un avant et un après le coronavirus. Mettons à profit le temps que nous avons pour réfléchir à l’essentiel. L’intérêt humain.
Clémentine Autain