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L’impasse de la circulaire Valls mis en lumière par les grèves de sans-papiers

Depuis plus de 10 mois, la mobilisation des grévistes sans-papiers des trois piquets CHRONOPOST, DPD et RSI n’a pas faibli pour exiger la régularisation et l’égalité des droits. Ils dénoncent un système de surexploitation qui les livre comme main d’œuvre corvéable à merci dans de nombreuses branches d’activité : colis postal, restauration, BTP, nettoyage …

Pour CHRONOPOST et DPD, filiales de LA POSTE, l’implication de l’Etat est directe car celui-ci est actionnaire de cette entreprise à 34 %, sans compter les liens avec la Caisse des dépôts, actionnaire majoritaire à 66 %.

Reçus au ministère du travail le 30 août 2022, les grévistes ont contraint le nouveau ministre du travail, Olivier Dussopt, à prendre ses responsabilités vis-à-vis d’un montage frauduleux mis à jour depuis plusieurs mois par les services d’inspection du travail : cascade de sous-traitance, prêt de main d’œuvre, marchandage et travail dissimulé. Ainsi, des pourparlers seraient engagés avec le ministère de l’intérieur pour débloquer la situation. C’est une reconnaissance tardive d’un mouvement collectif de grève ignorée et méprisée jusqu’ici par les préfectures de l’Essonne, des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne.

Mais les sans-papiers grévistes ne se battent pas uniquement pour leur régularisation mais pour le démantèlement de la politique répressive de l’Etat frappant la main d’œuvre étrangère.

Depuis 10 ans, la soupape de ce système est la circulaire Valls du 28 novembre 2012. Elle enferme des centaines de milliers de travailleurs dans la précarité. Publié par le ministre de l’intérieur de François Hollande, tout juste arrivé au pouvoir, elle apparaissait comme une avancée suite aux grands mouvements de grèves sans-papiers déclenchés à partir de 2008 en fixant des critères nationaux de régularisation.

Cependant, par ces critères restrictifs (principalement durée de séjour et durée du contrat de travail attestée par des bulletins de paie) et son application discrétionnaire, la circulaire est vite apparue comme un véritable piège. De plus, l’initiative de la procédure de régularisation exceptionnelle étant dans les mains de l’employeur, la dépendance du sans-papiers perdure. Seul des grèves courageuses et déterminées de sans-papiers ont permis d’élargir le cadre ponctuellement.

Le ministère de l’intérieur cité dans un article de l’Express du 21 juillet 2015 tirait déjà le bilan de la circulaire Valls du 28 novembre 2012 en révélant sa logique profonde :

« Pour les travailleurs, l’impasse est totale : il leur faut justifier de feuilles de paie alors que la plupart sont employés au noir ; lorsqu’ils sont déclarés, ils le sont sous un nom d’emprunt.

Quelques grèves menées par la CGT, comme celle du boulevard de Strasbourg à Paris ou dans le Val-de-Marne, permettent une poignée de régularisations. Pour le reste… le ministère de l’Intérieur le reconnaît : “C’est une grosse limite, mais nous ne voulions pas encourager le travail irrégulier.” Avant d’admettre : “Si nous avions opté pour un simple système déclaratif “Oui, je travaille”, nous aurions débouché sur une régularisation massive – il y a, en France, de 300 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière – et nous ne le voulions pas.”

De fait, le flux des régularisations exceptionnelles par le travail n’a pas substantiellement augmenté au regard de la situation observée sous Nicolas Sarkozy dans les années 2000. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, le pic a été atteint en 2017 avec 7592 titres délivrés dans ce cadre alors qu’en 2021, le chiffre estimé est de 5751 titres.

La Loi asile et immigration de 2018 a de plus renforcé l’arsenal administratif et juridique. Elle impose notamment au ou à la salariée, à chaque changement d’employeur, de faire déposer par ce dernier une nouvelle demande d’autorisation avec le risque de se voir opposer un refus à chaque renouvellement.

Enfin, le verrouillage total des préfectures ces dernières années, notamment à la faveur de la pandémie de la COVID 19, a définitivement réduit la circulaire Valls à un accessoire marginal car les sans-papiers n’ont même plus accès aux guichets. La numérisation des prises de rendez-vous notamment a servi de rempart pour bloquer tout examen des dossiers de régularisations. Par jugement du 3 juin 2022, suite à la saisine de plusieurs associations de défense des droits des étrangers, le Conseil d’Etat a d’ailleurs estimé que l’Etat était fautif en la matière et devait impérativement prévoir des solutions de substitution aux démarches administratives en ligne.

La politique française apparait ainsi particulièrement réactionnaire et raciste au regard des politiques menées dans plusieurs pays européens. Au début la période de la pandémie de COVID 19 en 2020, des régularisations sont intervenues au Portugal et en Italie. En Allemagne, un projet de loi adopté par le gouvernement allemand vise à régulariser environ 130 000 sans-papiers. Cet été, l’Espagne a aussi adopté une législation qui devrait permettre la régularisation de milliers de sans-papiers.

Sans surprise, la nouvelle loi immigration annoncée par le ministère de l’intérieur, Gérard Darmanin, renforcera la longue chaîne de maltraitance des étrangers pour donner des gages à l’extrême droite.

Il est pourtant urgent de lever les obstacles notamment dans le cadre de la régularisation par le travail en inscrivant dans la loi des droits qui s’imposeraient aux Préfets :

– Régularisation des sans-papiers sur simple preuve de la relation de travail sans condition de durée, ni de séjour, ni d’emploi

– Pouvoir de régularisation de l’inspection du travail sur simple constat d’une relation de travail

Dans ce contexte, le rapport de force face au gouvernement et à son ministre de l’intérieur sera déterminant dans les prochains mois. Il est dès lors crucial que le mouvement des sans-papiers s’unisse dans sa diversité syndicale et associative pour initier et renforcer les luttes. La NUPES doit aussi prendre au sérieux ce combat en soutenant les revendications des travailleuses et travailleurs sans-papiers, en renforçant le soutien à leurs mobilisations et en portant le débat au niveau législatif. La Gauche Ecosocialiste contribuera avec toutes ses forces à la construction de ce front unitaire au côté des sans-papiers pour l’égalité des droits.

Thomas Dessalles