Instagram RSS

L’extrême-droite par le bas : une enquête de terrain

Le score du Rassemblement National aux élections européennes, puis législatives, a suscité de nombreux débats, tant sur la sociologie et les motivations de son électorat. Dans ce cadre, il nous a semblé important de présenter les analyses et les conclusions de Félicien Faury, qui propose dans « Des électeurs ordinaires » Ed. Du Seuil, une lecture très éclairante des ressorts du vote Rassemblement national, notamment dans le sud-est de la France, terrain qu’il a arpenté entre 2016 et 2022.

Inégalités et racisme systémique, telles sont les l motivations principales des électeur·ices du FN/RN.

Pour comprendre les ressorts sociologiques qui motivent des électeur·ices à donner leur suffrage à l’extrême droite, Félicien Faury s’est efforcé, par l’enquête de terrain d’identifier les logiques d’attraction que peut exercer sur eux un parti comme le RN.

Il prend le contre-pied d’une posture qui tend à minorer, voire ignorer la composante raciste du vote pour le FN/RN, au profit d’autres raisons. L’auteur montre que le facteur déterminant du vote RN est racial, et s’inscrit dans un contexte d’un racisme systémique qui se déploie bien au-delà des seules électeur·ices du RN.

L’étude de Félicien Faury se centre sur des ménages de classes populaires stables ou de classes moyennes et met en lumière l’insécurité (vécue et/ou ressentie) vis-à-vis de l’avenir qui les inquiète.  Cette insécurité sociale permet de comprendre leur rejet de la fiscalité et de la redistribution.

En effet les ressorts du vote Rassemblement National qui sont expliqués à partir de l’environnement social au sein duquel il s’inscrit démontre que si le racisme est un des déterminants du vote pour le Rassemblement National, la critique de la redistribution par l’impôt et les prestations sociale sont vécues comme une forme de dépossession territoriale et culturelle. Les électeur·ices interviewé·es contestent systématiquement le principe de solidarité par la redistribution et l’usage des ressources communes.

S’ajoute à ce sentiment de déclassement, le souhait de se rattacher au groupe des dominant.es c’est à dire « Blanc ». Le vote RN ne se fait pas par méprise ou manque d’éducation mais bien pour défendre un ordre du monde, racial et dominant. Le fait est, que ces électeu.rices se sentent envahies/remplacés par des minorités « visibles » dans l’espace public. Et iels ont l’impression d’être de moins en moins chez eux, craignant que leurs privilèges soient fragilisés.

Le choix du vote RN et non pour la gauche, pour certain.es, [s’inscrit dans ce sentiment d’avoir subi des épreuves et découvert progressivement une certaine vérité sur la conflictualité de la vie sociale. Et ce à l’inverse de ces individus « qui ne voient pas le problème » parce qu’ils n’en ont pas, qui « donnent des leçons » Ceux-ci sont, très souvent dans les entretiens assimilés à la gauche. P187]. [… la gauche est considérée (…) comme systématiquement favorable aux « immigrés » sur le plan tant économique (…) que régalien. P191.]
Mais le succès du RN qui s’accélère, s’explique aussi [majoritairement par la radicalisation progressive de l’électorat de droite, notamment populaire. C’est la droiet déçue (bien plus que la gauche) qui a, avant tout alimenté les succès lepénistes. P193]

Cet ouvrage démontre que, dans un contexte de service publics dégradés, en particulier l’Education nationale, la santé, de bashing constant d’une justice considérée laxiste, la normalisation politique du Rassemblement National au sein du champ médiatique et politique permet d’assumer son acceptation. Voter pour le RN comme et avec ses proches, ses collègues, ses voisins… fait ressortir l’évolution grandissante de l’intolérance envers l’immigration et en particulier celle des musulmans (ou supposés dans le cas de la non-blanchitude de certain.es considéré.es comme étranger.es)
La dimension raciste, qu’elle soit sociale, résidentielle et/ou relationnelle, souvent issue de perceptions subjectives, est toujours fondamentale dans le vote RN.

Avec cet ouvrage, Félicien Faury n’a pas pour ambition de fournir tous les éléments d’analyse sociologique qui expliquent les diversités du vote RN dans tous les différents territoires, ni de fournir les clés pour une stratégie d’ensemble de lutte contre l’extrême-droite. Mais ce livre est indispensable pour comprendre les imbrications complexes des motivations raciales et sociales qui fondent un socle très solide de vote RN dans la région PACA et, plus largement dans la représentation raciale de la société véhiculée par le RN.

Camille Boulègue

Félicien Faury est également l’auteur de « l’espace clivé du militantisme, une mobilisation électorale du Front National dans le Sud de la France ». Cette étude de la campagne présentielle de 2017 forme le chapitre 3 de l’ouvrage « Sociologie Politique du RN » coordonné par Safia Dahaini et Estelle Delaine, Presses Universitaires du Septentrion , 2023.