Ce samedi 17 avril après-midi, en France, les chaînes généralistes (TF1, France 2, TV5 Monde) tout comme les chaînes françaises d’information en continu (BFM TV, CNEWS, LCI, France TV Info) ont fait une large place à la retransmission des obsèques du prince Philip et, pour faire bonne mesure, au chagrin obligatoire du peuple britannique.
Mais, à part être le mari de la reine Élisabeth, qui était-il donc pour mériter un tel faste et de tels hommages ? Il suffit de grappiller quelques-unes des citations du Prince Phillip pour se rendre compte de la nature du personnage. Que l’on en juge …
Le Prince a dit…
« Les femmes britanniques ne savent pas cuisiner ».
Lors de la crise économique de 1981 : « Tout le monde voulait avoir plus de loisirs. Maintenant, les mêmes se plaignent parce qu’ils sont au chômage »
Au Kenya, à une femme qui lui remettait un petit cadeau : « Vous êtes bien une femme, n’est-ce pas ? ».
A un groupe d’étudiants britanniques, au cours d’une visite royale en Chine : « Si vous restez ici encore longtemps, vous aurez bientôt les yeux bridés ».
A un ressortissant britannique rencontré en Hongrie : « Ce n’est pas possible que vous soyez ici depuis longtemps : vous n’avez pas de bedaine ! »
A un habitant fortuné des Iles Caïman : « Est-ce que la plupart d’entre vous ne descendent pas des pirates ? »
A un moniteur d’auto-école écossais : « Comment empêchez-vous suffisamment longtemps les autochtones de boire pour réussir l’examen ? »
A propos d’une boîte à fusibles ancienne, lors d’une visite dans une usine près d’Edinburgh : « On dirait que ça a été installé par un Indien ».
A un aborigène, lors d’une visite en Australie : « Vous utilisez toujours des lances ? »
A une infirmière d’origine philippine (lors d’une visite à l’hôpital Luton et Dunstable) : « Les Philippines doivent être à moitié vides, car vous êtes tous ici à la tête du NHS ».
Contrairement aux commentaires amusés et aux excuses dont la grande presse britannique – mais aussi continentale et française – n’est pas avare s’agissant de la famille royale, les sorties du Prince Philip n’étaient pas des plaisanteries ou des « gaffes ». C’étaient autant d’expressions marquées du sceau de l’éternelle l’arrogance des puissants et, de plus, révélatrices d’un sexisme grossier et d’un racisme nourri des préjugés les plus crasses. Hasard du calendrier, ce rappel de ces caractéristiques du clan royal survient quelques semaines après les remous créés par les déclarations de Meghan Markle qui, déjà, mettait en cause le racisme version Windsor. De quoi entacher sérieusement la monarchie ?
C’est en tout cas suffisant pour légitimer interrogations et analyses sur la fonction de cette institution dans la domination de classe au Royaume-Uni… Et c’est ce qu’ont fait quelques sites de la gauche radicale britannique auquel on emprunte ici quelques extraits.
François Coustal
Ce que nous coûte le Prince
Extrait d’un article de Lindsey German, “The price we pay for the Prince” sur le site Counterfire (1).
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En pratique, on nous demande de prendre le deuil d’une personnalité publique qui n’a pas été élue, qui a eu une vie extrêmement privilégiée et confortable, financée par nous-autres et dont les opinions exprimées publiquement – pour celles exprimées dans l’intimité, on ne peut que deviner… – indiquent un homme qui avait une vision du monde réactionnaire et raciste.
Ce deuil forcé ignore le fait qu’en Grande-Bretagne une minorité très importante de gens est républicaine et ne veut pas du tout de la monarchie. On peut supposer de manière tout à fait plausible que ce chiffre augmenterait s’il y avait un débat séreux et honnête sur l’institution monarchique, au lieu de l’actuel royalisme sanctifié par l’Etat et présent dans tous les organes d’information, relayé par des « correspondants royaux » flagorneurs.
La monarchie est dépendante de cette flagornerie – l’une des choses particulièrement révélatrices de l’interview de Meghan Markle était précisément l’évocation de la relation symbiotique entre la famille royale et la presse tabloïde – et réclame un flux constant d’évènements, de mariages, de naissances, de jubilés afin de garder sa place aux yeux du public.
La classe dominante utilise la mort du parasite Prince Philip pour pousser à « l’unité nationale »
Extrait d’un article de Sam Ord, «Rulers use parasite Prince Philip’s death to push ‘national unity’ » publié dans Socialist Worker, l’hebdomadaire du SWP (2)
Les derniers jours ont démontré que la monarchie compte pour les dirigeants britanniques. Ils y voient un moyen utile pour mettre en avant l’idée de l’unité nationale. La classe dominante britannique espère que la mort du Prince Philip constituera une diversion par rapport au terrible glas des morts du Covid, au développement du chômage et aux coupes budgétaires.
Les médias tout comme les politiciens préfèrent prétendre que tout le monde participe à un deuil partagé. Après un décès royal, tous les médias font la course pour produire des numéros spéciaux et des kilomètres de lignes pour couvrir le sujet. Brusquement les panneaux d’information se transforment en célébration de celui qui était un parasite et un raciste.
Même ce qui passe habituellement pour de la démocratie est suspendu. Comme une période de deuil de 8 jours a été annoncée, les partis politiques ont suspendu leurs campagnes électorales pour les élections du mois prochain, « en marque de respect ».
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On ne le sait pas en lisant la grande presse, mais en Octobre dernier un sondage indiquait que seulement deux tiers des britanniques préféraient un monarque à un chef d’état élu. Ce qui signifie qu’il y a des millions de gens qui ne soutiennent pas la famille royale et ne vont pas participer au deuil de masse comme les médias et les hommes politiques l’attendent de nous.
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La famille royale s’accroche aussi à d’immenses richesses.
La fortune personnelle de la Reine est estimée à plus d’un milliard et cent cinquante millions de livres.
La famille royale est plus qu’une relique inoffensive. C’est un outil utile au moyen duquel la classe dominante justifie sa domination.
Sympa, cette série autour du Duc d’Édimbourg ?
Extrait d’un article de Dave Kalleway, “Prince Philip – Isn’t the Duke of Edinburgh Scheme Fantastic?” sur le site de Anti*Capitalist Resistance (3).
Ca a déjà commencé ! Le Guardian a abandonné son suivi régulier du Covid au profit de nombreux articles sur le Grand Homme. Il y a même un « fil » où les grandes personnalités peuvent présenter en direct leurs sincères condoléances. Ainsi, pour Sadiq Khan (4), c’était un homme extraordinaire. Vraiment ? Avoir été quelques temps officier dans la Marine puis accompagnateur de la Reine, c’est extraordinaire ? Etre astronaute ou marquer pendant des siècles pour la sélection britannique, ça c’est extraordinaire !
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Sir Keir (5) n’a pas traîné non plus. Dans sa bouche on retrouve le terme « extraordinaire ». Mais cette fois le Prince Philip n’est plus seulement un homme extraordinaire mais un homme de « service public » – un fonctionnaire – extraordinaire ! Est-ce qu’il travaillait pour le NHS ou comme enseignant à temps partiel ? Non, mais Keir est preneur de toutes ces balivernes selon lesquelles les cérémonies auxquelles participe la Famille Royale constituent un travail réellement dur et qui contribue au bien public de façon extraordinaire.
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Naturellement, personne de demandait à Keir Starmer ou Sadiq Khan de faire des déclarations appelant les gens à danser sur la tombe du Prince Philip ou à abolir la monarchie. Mais quelque chose de plus sobre et des condoléances basiques auraient parfaitement fait l’affaire…
Une institution arriérée
Extrait d’un article de Mona Kamal, « Royal racism isn’t new, the whole monarchy’s got to go » publié sur le site de Counterfire (6).
Le racisme et le parasitisme sont des raisons suffisantes pour se débarrasser de la monarchie. Mais il existe une raison supplémentaire : aussi longtemps qu’elle existe, les sévères inégalités sociales et les divisions selon des lignes de classe ou de race – dont la pandémie actuelle a révélé qu’elles constituaient littéralement une question de vie ou de mort – seront de plus en plus ancrées dans la société.
La monarchie sert d’incarnation à l’idée que les inégalités ne sont pas seulement inévitables mais qu’elles sont vertueuses et que ces privilèges ne sont dus qu’à la famille royale et la classe qu’elle représente. La monarchie est le symbole de l’illusion selon laquelle le pouvoir et la richesse d’une petite minorité sont le résultat d’un « ordre naturel » des choses et non que ce pouvoir et cette richesse sont enracinés dans des relations de pouvoir profondément inégales qui ont été fabriquées et ne sont donc pas à l’abri de la contestation. Tel est le système et l’idéologie qui le sous-tend. Un système qu’ils feront tout pour maintenir, y compris apparemment conduire une femme à développer des intentions suicidaires (7)
Mais cette illusion est aussi « arriérée » que les pays auxquels, selon eux, nous devions apporter la civilisation. La monarchie est totalement incompatible avec la construction d’une société reposant sur les principes de démocratie et de justice. Et c’est pourquoi il faut l’abolir.
Notes
(3) https://www.anticapitalistresistance.org/post/prince-philip-isn-t-the-duke-of-edinburgh-scheme-fantastic?utm_campaign=4b337b70-7dd8-499d-887bf3290934b084&utm_source=so&utm_medium=mail&cid=d7a77351-b5b8-4c7a-93c5-082f508dc7a8 . Anti*Capitalist Resistance s’est récemment créée comme coalition de militants de la gauche révolutionnaire britannique ouverte. Socialist Resistance (qui regroupe les militants de la IV° Internationale en Angleterre et au Pays de Galles) participe à Anti*Capitalist Resistance.
(4) Sadiq Khan est le maire de Londres. Il appartient à l’aide modérée, « anti-Corbyn », du Parti travailliste
(5) Il s’agit de Keir Starmer, qui a succédé à Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste et en a entrepris une normalisation droitière accélérée.
(7) Plus ancien que les autres articles, celui-ci fait allusion à l’interview accordée par Meghan Markle (et le Prince Harry) à Oprah Winfrey.