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Les négateurs de l’épidémie de la Covid-19 n’appellent pas à la révolution

Alors que la seconde vague est là, d’éminents « universitaires, scientifiques, professionnels de la santé, du droit, de l’éducation et du social » brandissent dans une tribune publiée par regards.fr des sottises complotistes en les présentant comme des démonstrations implacables. Le débat public, c’est bien, l’honnêteté intellectuelle… c’est bien aussi.

Ses adeptes ont suivi le gourou de Marseille depuis des mois, et on ne les imagine pas revenir en arrière désormais, même si certains se font discrets ces jours-ci. L’épidémie de Covid-19 n’était d’abord qu’une grippette, puis elle était terminée. Ensuite, elle reprenait effectivement, mais n’aurait pas l’envergure de la première vague. D’ailleurs il n’y aurait pas de deuxième vague, car le virus était moins virulent. Puis, virulent, il l’était quand même mais parce qu’il avait muté… et ainsi de suite. Tant d’efforts pour nier la gravité de l’épidémie, et pourtant la réalité résiste !

En France, 36.800 décès ont été comptabilisés en neuf mois, et au-delà de ce décompte macabre, ce sont à ce jour 156.000 personnes qui ont été hospitalisées depuis le 1er mars 2020. Sans doute ces derniers étaient-ils des mythomanes et des tirs au flanc qui ne voulaient pas travailler ! A l’échelle mondiale, 46 millions de cas ont été officiellement comptabilisés – l’OMS estimant le nombre réel à 760 millions –, et 1.175.000 décès sont attribués au Covid-19, chiffre notoirement sous-estimé faute de dispositifs de surveillance épidémiologique performants dans de nombreux pays et du fait du déni des gouvernements (Brésil, États-Unis, Chine, Inde…).

Quand on est complotiste, on rapporte le nombre de décès à la population générale et on multiplie par cent… et on ricane devant le nombre de zéro après la virgule. Quand on est un partisan de l’émancipation, on se dit que la maladie s’ajoute à tant de drames humains sur la planète, qui le plus souvent ne représente « que » 0,00…% de la population, que l’on ne saurait en négliger aucun. Quelle honte, en fait, ces podiums des drames humains, destinés à nier la gravité de l’épidémie et qui, en définitive, tendent à mettre les causes sanitaires en concurrence ! Mais au fait, dirait-on que les accidents de voiture ne sont pas en France un fléau, parce qu’annuellement les morts se comptent « seulement » en quelques milliers ?

Mettre en cause que la France connaisse une seconde vague de l’épidémie relève au mieux du déni, au pire d’une insensibilité irresponsable. S’il y a quelques semaines ignorer la possibilité d’un rebond relevait d’une forme de cécité, aujourd’hui il s’agit d’un mensonge.

Lorsque les autruches manipulent les chiffres

Dénonçant un « gonflement artificiel » des chiffres officiels, les auteurs de la tribune [1] dénoncent une « manipulation ». C’est qu’en effet, le 27 octobre, Macron et certaines télés ont eu tort d’annoncer 523 morts en 24 heures. Le chiffre était « faux » puisqu’il additionnait les morts comptabilisés en 24 heures dans les hôpitaux et les décès en EPHAD sur trois jours. La belle affaire ! On est impressionné par nos détectives : ils ont lu (un peu) les données de Santé publique France qui, depuis des mois, additionnent les données des EHPAD aux données quotidiennes, deux fois par semaine (le mardi et le vendredi). Eh bien, ils auraient bien fait de se documenter un peu plus, en regardant les données hebdomadaires des dernières semaines, ce qui évite les effets de yo-yo des données publiées quotidiennement.

En fait, tous les indicateurs sont en forte hausse et l’épidémie est hors de contrôle. Ainsi, en flux, après avoir augmenté de 58% la semaine passée, le nombre de nouvelles hospitalisations a augmenté de 62% cette dernière semaine (de 7739 à 12.176), selon les données publiées le 29 octobre. Le nombre de nouvelles personnes en réanimation a augmenté lui de 35% cette semaine (de 1343 à 1816), après la hausse de 48% la semaine d’avant. Le nombre de décès a augmenté de 51%, après une hausse de 40% la semaine précédente.

Ce que cela donne en chiffres bruts, c’est-à-dire en nombre de personnes concernées : 18.978 hospitalisées au 29 octobre, contre 12.458 une semaine avant et 8949 deux semaines plus tôt ; 2918 personnes en réanimation à la même date, contre 2178 le 22 octobre et 1642 le 15 octobre. Et le nombre de décès est passé en deux semaines de 505, à 872 puis 1318. Autrement dit, mettre en cause que la France connaisse une seconde vague de l’épidémie relève au mieux du déni, au pire d’une insensibilité irresponsable. S’il y a quelques semaines, le déni concernant la possibilité d’un rebond relevait d’une forme de cécité, aujourd’hui il relève d’un mensonge.

Ainsi, contrairement à ce que disent les auteurs, mettre en cause le président du Conseil scientifique évoquant le risque d’une deuxième vague « plus forte encore que la première » ne relève pas d’une « prédiction catastrophiste » ou d’une « manipulation » mais bien d’une forte probabilité appuyée sur de nombreux travaux. N’est-il pas opportun, au lieu d’instruire le procès de Jean-François Delfraissy, figure de la lutte contre le VIH, de souligner que Macron et son gouvernement ont constamment sous investi les avis du Conseil scientifique ? Il faut se rappeler du recadrage sec de son président par Emmanuel Macron, le 10 septembre dernier, alors qu’il venait de presser le pouvoir de prendre des mesures fortes, dans les huit jours, pour prévenir le rebond aujourd’hui constaté.

Si chaque année il y a tension à l’hôpital à la même époque, on n’est habituellement pas obligé de déprogrammer massivement les opérations non urgentes, voire de renoncer à des opérations vitales.

Mauvaise foi, désinformation, contre-vérités

Mauvaise foi quand les auteurs soulignent que sur « près de 15 millions de tests effectués à ce jour, 93% sont négatifs », en omettant qu’au 31 octobre, le taux de tests positifs atteint 20,2%. Et ce chiffre s’explique-t-il par des doublons, des triplons de personnes positives qui multiplieraient les tests ? Non, Santé publique France explique que la semaine passée : « 1.379.372 personnes ont été testées pour la première fois et le test s’est avéré positif pour la première fois pour le SARS-CoV-2 pour 258.852 personnes », ce qui fait près de 19%.

Désinformation quand les auteurs expliquent que « parmi les 7% restant de la population testée positive, plus de 85% ont moins de 60 ans ; il s’agit donc essentiellement de personnes qui ne risquent pas de faire une forme grave de la maladie ». En fait, incluant les 15 millions de plus de 60 ans, le nombre de personnes fragiles risquant d’avoir des complications graves en cas de contamination par le Covid19 atteint en France 22 millions de personnes. Il s’agit des personnes ayant des antécédents cardiovasculaires, un diabète non équilibré ou présentant des complications, une pathologie chronique respiratoire susceptible de décompenser lors d’une infection virale, une insuffisance rénale chronique dialysée, un cancer évolutif sous traitement, une obésité, certaines cirrhoses, un syndrome drépanocytaire majeur ou ayant un antécédent de splénectomie, une immunodépression congénitale ou acquise, ainsi que les femmes qui sont au troisième trimestre de la grossesse. De plus, des cas graves et des séquelles durables se révèlent aussi parmi des personnes en bonne santé, voire jeunes, et s’ils sont peu nombreux en proportion, ils le deviendraient en cas de généralisation plus forte encore qu’aujourd’hui des contaminations.

Les tribuniciens nous expliquent que le nombre d’individus hospitalisés entre le 1er septembre et le 20 octobre, représente 0,5% des personnes testées et celui des entrées en réanimation 0,009% d’entre eux (eh oui, les personnes négatives ne vont pas en réanimation !). Ils ajoutent que la probabilité de ne pas être hospitalisé est de 99,5% et celle de ne pas être admis en réanimation est de 99,91%. Et d’en tirer que « le reconfinement de 67 millions de Français sur cette base s’appelle un délire ». Sauf que quand on parle de 1% des personnes, on parle en France de 660.000 personnes, et à l’échelle de la planète on parle de 78 millions de femmes et d’hommes. Un détail ?

Et ça continue encore dans les contrevérités. L’hôpital ne serait pas submergé par le Covid, puisque l’on compte comme malades du Covid des personnes qui viennent pour d’autres pathologies. « Les chiffres de l’hospitalisation et de la réanimation augmentent bel et bien » ? « Cela n’a rien d’exceptionnel ». En réalité, si chaque année il y a tension à l’hôpital à la même époque, on n’est habituellement pas obligé de déprogrammer 80% des opérations non urgentes comme c’est déjà le cas dans plusieurs régions – dont l’Île-de-France, 12 millions d’habitants – à l’heure où ces lignes sont écrites. Ces déprogrammations commencent d’ailleurs déjà à concerner des malades risquant des dommages graves en cas de report de soins. De plus, on ne s’apprête pas, habituellement, à devoir choisir massivement entre des patients ayant des complications graves.

Et ce n’est pas tout. Sur le mode confusionniste consistant à tourner le dos aux alertes préventives des soignants, les auteurs font semblant que l’on parlerait partout d’une situation constatée de saturation des réanimations, là où en fait les professionnels de la réanimation soulignent qu’un tel risque existe à échéance de quelques semaines. Ceux qui soignent en première ligne devraient-il attendre que les cadavres s’amoncellent pour alerter ?

Une stratégie non assumée, éthiquement problématique

En creux de leur discours, la stratégie non dite par les auteurs, mais à laquelle mène directement leurs propos, est la suivante : laisser le virus circuler, avoir (peut-être) une politique spécifique pour les personnes âgées, faire au mieux dans les hôpitaux. Or, c’est là une option dangereuse à plusieurs titres. Elle est irresponsable car elle induit que de très nombreuses personnes seront contaminées parmi les 22 millions de personnes fragiles en France. Elle est irresponsable car elle aurait comme conséquence de passer par pertes et profits de très nombreuses personnes pour la raison que les auteurs donnent eux-mêmes : en l’état actuel du système de santé, les lits manquent… et, ajoutons-nous, les soignants aussi. Et enfin, cette stratégie est irresponsable car elle induit que les soignants seraient abandonnés. Ce n’est pas pour rien qu’ils nous conjurent de prévenir la diffusion du virus et qu’ils sont massivement favorables à un confinement !

Évoquons à ce propos la position de l’OMS, par la voix de son directeur général Tedros Adhanom Ghebreyesus : « Laisser le virus circuler sans contrôle signifie permettre des infections, des souffrances et des morts inutiles […] Jamais dans l’histoire de la santé publique, l’immunité collective n’a été utilisée comme stratégie pour répondre à une épidémie, et encore moins à une pandémie. […] C’est scientifiquement et éthiquement problématique. Laisser libre cours à un virus dangereux, dont nous ne comprenons pas tout, est tout simplement contraire à l’éthique. Ce n’est pas une option ». Et, en réponse au chef du cabinet du président américain, Mark Meadows, qui venait d’indiquer que les États-Unis allaient renoncer à « prendre le contrôle de l’épidémie » tout en « protégeant les plus vulnérables » en misant sur les vaccins et les traitements (qui n’existent pas !), Tedros Adhanom Ghebreyesus soulignait le 27 octobre : « Nous ne devons pas baisser les bras et c’est pour cela que nous disons que si nous sommes d’accord avec le chef de cabinet que protéger les plus vulnérables est important, renoncer à prendre le contrôle (de la pandémie) est dangereux. […] Le gouvernement doit faire sa part et les citoyens doivent aussi, sinon le virus est dangereux. Si on le laisse circuler librement il peut créer des ravages en particulier tant que nous n’avons pas de vaccin disponible ».

Confinement : on nous cache tout !

Tout ne serait que secret et complot ! Nos auteurs prétendent révéler un « secret de polichinelle : le reconfinement était envisagé depuis l’été dernier ». Sans blague, nous on en a entendu parler depuis des mois, puisque le confinement est évoqué noir sur blanc comme une des hypothèses possibles, en cas d’échec de la stratégie de prévention, dans les avis du conseil scientifique accessibles à tous sur le Net depuis des mois.

Un exemple ? L’avis du 27 juillet évoquait : « L’enjeu des “20 grandes métropoles”, dans lesquels les risques de propagation du virus sont important, est essentiel. Un “confinement local” plus ou moins important en fonction de l’épidémie doit faire l’objet d’une préparation dans ces zones à forte densité de population ». Et parmi les scénarios formulés pour la suite : « Dans le quatrième scénario, la dégradation critique des indicateurs traduirait une perte du contrôle de l’épidémie, et exigerait des décisions difficiles, conduisant à choisir entre un confinement national généralisé, permettant de minimiser la mortalité directe, et d’autres objectifs collectifs, économiques et sociaux, s’accompagnant alors d’une importante mortalité directe ». Comment les initiateurs de l’appel ont-ils pu entraîner 300 personnes à signer un appel qui évoque dans ce domaine un « secret de polichinelle » ?

Et voilà une nouvelle affirmation problématique : « La vérité est que le confinement (qui sera peut-être prolongé au-delà du 1er décembre) crée bien plus de problèmes qu’il n’en résout ». Premièrement, les auteurs affirment péremptoirement que « son bilan mondial n’est associé à aucune réduction mesurable de la mortalité ». Pour notre part, nous connaissons les études menées à ce propos, qui soulignent notamment que le confinement mis en œuvre lors de la première vague a permis de diminuer de près de 80% la circulation du virus. Non parce qu’il s’agirait d’une panacée, mais parce qu’il a concrètement stoppé d’un coup les interactions sociales qui permettent la diffusion du virus. De même, les mesures de confinement mises en œuvre en Europe ont ainsi permis de réduire considérablement le taux de reproduction de l’épidémie, le ramenant en dessous de 1 (niveau permettant d’endiguer la dynamique épidémique). Une étude menée à partir des données de onze pays européens montre ainsi que « les interventions actuelles ont été suffisantes pour ramener Rt en dessous de 1 » avec « un effet important sur la réduction de la transmission ». Ainsi, si l’OMS considère que le confinement doit être utilisé en dernier ressort, lorsqu’on a perdu le contrôle de l’épidémie, ce n’est pas en considérant qu’il serait inefficace au plan sanitaire mais en raison de ces dommages économiques, sociaux, psychologiques.

Sur le même sujet du confinement, les auteurs estiment que le « principal résultat observable est d’abord de mettre au chômage des centaines de milliers et peut-être demain des millions de personnes », et de « menacer de disparition la plupart des petites entreprises, souvent familiales, autres que les commerces de bouche ». Propose-t-il quoi que ce soit pour éviter un tel carnage social ? Rien du tout, puisqu’il suffirait de refuser le confinement… comme si la crise sociale n’était pas déjà là.

Peut-être parce que les auteurs se sentent-ils coupables de faire partie des privilégiés ayant eu des conditions de confinement satisfaisantes, ils évoquent à juste titre que les « mesures de confinement ont pour effet d’amputer la vie sociale de la plupart des liens sociaux autres que familiaux ». Mais, même chose que pour les conséquences économiques et sociales : ils ne proposent rien. Et c’est la même chose concernant l’explosion des inégalités sociales, l’échec scolaire, les violences intra-familiales, les troubles psychologiques et les renoncements au soin.

Et la démocratie ? A juste titre, les auteurs soulignent qu’« elle est mise sous cloche par l’état d’urgence permanent et le confinement ». Et d’interroger : « Qu’est-ce qu’une démocratie sans liberté d’aller et venir, de se réunir et de manifester ? Qu’est-ce qu’une démocratie où il n’y a quasiment plus personne dans les hémicycles des assemblées parlementaires ? » Et encore : « Qu’est-ce qu’une démocratie où tout ceci s’impose par la peur et la culpabilisation, voire la censure et la mise en accusation de quiconque refuse d’y céder ? » Sauf sur la fin, on est bien d’accord, même s’il manque la critique – remarquablement formulée par Jean-Luc Mélenchon – du recours systématique par le Président-directeur-général de la France à un Conseil de défense qui permet au pouvoir de se protéger en remplaçant les institutions pluralistes. Cependant, là encore, ces questions peuvent-elles se régler par le non confinement, ou relèvent-elles de la construction d’une alternative politique ? Manque de pot, les auteurs expliquent : « Nous n’appelons pas à la révolution et nous ne faisons pas de politique partisane ». C’est dommage, parce que, faire la révolution, c’est pourtant la question posée, plutôt que nier la gravité de l’épidémie et l’efficacité sanitaire du confinement.

Gilles Alfonsi. Publié sur le site de Regards.

Notes

[1] On peine à trouver au bas du même appel les noms du sociologue Laurent Mucchielli, de Christian Perronne et de la militante anti-IVG, anti-PMA, pro-Manif pour tous et adorée de l’extrême droite Alexandra Henrion Caude.