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Les convergences entre extrêmes-droite et fondamentalistes musulmans

Il est logiquement admis et avéré que la droite européenne s’oppose à l’islam politique. Il existe cependant dans certains cercles des partis conservateurs et populistes de droite une affinité répandue, quoique peu connue, pour l’islam politique, considéré alors comme un allié contre des ennemis communs. L’histoire entre l’extrême-droite européenne et l’islamisme est un phénomène qui remonte au milieu du siècle dernier.

L’un des premiers militants d’extrême droite occidentale à avoir flirter ouvertement avec un islam politique a été Robert Gordon-Canning, responsable de la politique étrangère de l’Union britannique des fascistes dans les années 1930. Pendant le second conflit mondial, les Nazis allemands et les fascistes italiens ont su utiliser un certain islam au service de leur politique (ex:Johann von Leers). Dans les années 50, c’est le négationniste suisse Ahmed Huber qui a poursuivi cette alliance.

En France, cette convergence se traduira par la publication d’un mensuel antisémite en langue arabe, El-Rachid, dirigé par ex membre de la Cagoule et du Rassemblement national populaire, Mohamed El-Maadi. Ce dernier prendra la tête de la BNA (Brigade nord africaine, milice) et participera à la répression nazie au coté de la division SS Das Reich. Toujours sur le plan militaire, la Phalange africaine, liée à la Légion des volontaires français (LVF), intégrera la Wehrmacht.

La défaite de 1945 va inverser le sens de la collaboration, un nombre significatif de criminels de guerre trouvant asile et protection dans plusieurs pays arabes tels l’Egypte et la Syrie. A l’occasion de la guerre des Six jours de 1967, des Etats du Moyen et Proche Orient (Libye, Syrie, Irak, Iran) vont utiliser/instrumentaliser des groupuscules ou partis politiques d’extrême-droite européens aux fins d’un diplomatie parallèle ou dans le cadre de leurs basses besognes.

Dans les années 2000, le FPÖ autrichien de Jörg Haider a été soupçonné d’avoir bénéficié d’un financement émanant des régimes libyen et irakien. En janvier 2018, Vona Gäbor, chef du parti d’extrême-droite hongrois JOBBIK, qualifia l’islam de rempart contre la mondialisation occidentale et le déclin des valeurs traditionnelles.

En France, le rôle de Dieudonné

En France, cette stratégie de nouvelles convergences est théorisée par le regroupement VoxNR du nationaliste révolutionnaire Christian Bouchet. Elle vise les populations immigrées ou issues de l’immigration, via le levier de l’antisionisme,en s’adressant aux organisations laïques et confessionnelles qui se revendiquent d’un islam conservateur afin de créer les passerelles de la « réconciliation nationale ».

Mais, c’est surtout la « galaxie Dieudonné » qui va être un acteur majeur du rapprochement entre l’ED et les fondamentalistes musulmans, par le biais de l’ultra-droite rouge-brune radicale dont l’antisémitisme est intrinsèquement lié au nationalisme. De ce point de vue, il convient de souligner le rôle de la mouvance Egalité et Réconciliation (E&R) d’Alain Soral.

Deux de ses membres vont créer des passerelles entre courants d’extrême-droite et fondamentalistes musulmans : D’une part, Albert Ali (alias Abdelelaali Baghezza), fondateur du Club des Musulmans du terroir et du Rassemblement des Musulmans souverainistes. Ensuite, Kamel Bechikh, porte parole du Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens.

La rencontre de Dieudonné avec l’extrême-droite militante s’opère donc via Égalité et Réconciliation. Il rencontre Marc George, secrétaire général d’É&R en 2004 et l’année suivante Soral. Marc George sera d’ailleurs son directeur de campagne lors de sa candidature avortée à la Présidentielle de 2007. Deux ans avant, il participe à la conférence Axis for peace de Thierry Meyssan, adepte de la théorie du complot. Le conspirationnisme est, au même titre que l’antisémitisme, un thème favorisant les synergies entre l’extrême droite et les fondamentalistes musulmans.

Le personnage Abdelhakim Sefrioui

C’est aussi à cette période que Dieudonné se rendra aux journées de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), visite qu’il renouvellera en 2007 – chaperonné par un certain Abdelhakim Sefrioui (collectif Cheikh Yassine) et 2009.

L’assassinat du professeur Samuel Paty fait ressurgir du passé les liens entre le conseiller du parent d’élève, Abdelhakim Sefrioui, et des figures de l’ultra droite, Frédéric Chatillon et Axel Lousteau. Ces anciens du GUD (aujourd’hui membres du premier cercle de Marine Le Pen) ont participé en janvier 2009 à une manif “pro Palestine” en compagnie de Sefrioui -via le Collectif Cheikh Yassine – mais aussi de Dieudonné et de la négationniste (ex EELV) Ginette Skrandani (lire à ce sujet :

(https://lahorde.samizdat.net/2020/10/20/a-propos-dabdelhakim-sefrioui-et-du-collectif-cheikh-yassine).

Se revendiquant de «la gauche du travail et de la droite des valeurs », E&R cultive généralement un intérêt pour des régimes autoritaires ou nationalistes tels la Syrie, la Libye ou la Russie. 2006 marque d’ailleurs le début des contacts internationaux de Dieudonné avec les régimes proches des rouge-bruns. Ainsi, cette année là, en compagnie de Meyssan, Chatillon et Soral, il part en Syrie puis au Liban pour apporter son soutien au Hezbollah. Ce voyage ne sera que le premier d’une longue série : 2009, 2010, 2011 et 2012, en Libye, en Syrie et en Iran.

Lors des élections Européennes en 2009, Dieudonné lance la Liste antisioniste. Parmi ses colistiers, on retrouve tout ce que l’extrême-droite produit de plus radical : des Musulmans proches du FN, Alain Soral, des anciens du Renouveau Français (groupuscule catholique, royaliste et contre-révolutionnaire), des dirigeants du Parti solidaire français (autre groupuscule) et de la la fraternité franco-serbe (la continuité des comités France-Serbie solidarité, créés par le FNJ en 1999). Participent aussi à cette aventure électorale des Musulmans du Centre Zahra, dirigé par Yahia Gouasmi (créateur du Parti antisioniste, dissous en 2019 par Castaner pour prêche en faveur du djihad).

Integristes catholiques et musulmans côte à côte

Cette convergence prend un autre aspect à l’automne 2011 à l’occasion d’un rassemblement, hétéroclite en apparence, devant le Théâtre de la Ville à Paris contre la pièce de théâtre de Romeo Castellucci sur le concept du visage du fils de Dieu. On remarque la présence de militants de Forsane Alizza (groupuscule dissous quelques mois plus tard, issu du rapprochement entre Abdelhakim Sefrioui et le mouvement pro-jihadiste Sirat Alizza «la voie de la fierté», qui donnera plus tard Forsane Alizza «les cavaliers de la fierté») Ces fondamentalistes musulmans côtoient alors les Catholiques intégristes de Civitas et de la Fraternité St Pie X, arrivés sur place après la manifestation contre la “christianophobie”. Et on retrouve aussi des militants ultra radicaux du Renouveau français et du GUD.

La protection des cultures nationales et dans le cas présent la lutte contre le « blasphème », ont été l’occasion d’alliances qui peuvent paraître contre-nature : catho intégristes marchant main dans la main avec des islamistes.

Dernières illustrations en date de cette proximité : figure de la mouvance identitaire nordiste (ancien barbouze, ex-membre du DPS, le service d’ordre du FN), Claude Hermant – par ailleurs indic des gendarmes – est fortement suspecté d’avoir été, fin 2014, le fournisseur en armes du tueur de l’Hyper Casher et de Montrouge, Amedy Coulibaly. Reste le cas de Camel Bechikh. Porte-parole de 2012 à 2016 de la Manif Pour Tous, ayant participé au congrès du FN (où Marine Le Pen prend la succession de son père) à Tours en 2011, ce membre de l’UOIF va fonder l’association Fils de France. Lancée publiquement en 2012 lors d’un colloque auquel participent notamment Nicolas Dupont Aignan et Robert Ménard, cette association prône un «islam patriote» et respectueux des racines chrétiennes de la France.

La sympathie de l’extrême droite pour l’islamisme est loin d’être morte : elle est en réalité bien présente en Europe de l’Est. Pourtant, malgré l’attrait réciproque, l’islam politique a toujours constitué un défi pour l’extrême-droite. Si elle considère l’islam politique comme une force positive, elle rejette avec ferveur l’immigration de Musulmans en Europe pour des raisons xénophobes.

Camille Boulègue